Le 29 avril 2021, la Commission européenne (CE) a ouvert le débat sur le statut réglementaire des nouvelles techniques génomiques (NGT New Genomic Techniques) dans l’Union européenne (UE) en publiant un texte de positionnement[1]. En utilisant ce concept de NGT, elle indique que cette réflexion ne porte pas uniquement sur les plantes, mais aussi sur les micro-organismes et les animaux qui seront traités ultérieurement. Saluons le renouveau d’une politique aujourd’hui ouverte sur l’innovation biotechnologique pour mieux s’inscrire dans la durabilité.
Cette ouverture balaie l’arrêt de la Cour européenne de justice du 25 juillet 2018, qui indiquait que tous les produits issus des nouvelles techniques de modification du génome postérieures à 2001, particulièrement celles appliquées en sélection variétale (aussi appelées NBT pour New Breeding Techniques), devaient être réglementés comme des OGM. Cette réglementation européenne, particulièrement lourde, a pratiquement empêché le développement de la culture des OGM dans l’UE[2]. Or dans un monde où quasiment tous les pays se sont ouverts aujourd’hui, à des degrés divers, aux nouvelles techniques génomiques (NGT), l’UE peut-elle faire bande à part et les ignorer ?
L’enjeu est géopolitique. Si l’accès aux innovations biotechnologiques leur était refusé en raison d’une réglementation obsolète rejetant l’avancée des connaissances scientifiques, les États membres de l’Union seraient-ils en mesure de préserver leur agro-indépendance afin d’être en capacité de nourrir la population européenne et de pourvoir à ses besoins en toute souveraineté ?
Un clivage réglementaire
Le monde est aujourd’hui divisé entre pays probiotech (qui cultivent et importent/exportent des cultures OGM) et ceux qui sont plus réservés (qui importent des cultures OGM mais en refusent la culture comme la France) ; d’un côté, les continents américain et asiatique, la zone Pacifique-Océanie, de l’autre, le Moyen Orient, la Russie, une majorité de pays africains et de pays européens à l’exception de l’Espagne et du Portugal.
Ce clivage se retrouve dans l’accueil qui a été réservé aux produits issus des NGT au premier rang desquelles figure la technique phare de l’édition du génome CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats), qualifiée de « ciseaux moléculaires » et qui se révèle être une véritable rupture technologique. Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna qui l’ont publiée en 2012, ont été récompensées de cette découverte par l’attribution du prix Nobel de Chimie en 2020.
Cette acceptabilité des NBT se mesure à la réglementation qui leur est appliquée dans chaque pays. Aujourd’hui, les pays probiotech ont décidé de dispenser les produits obtenus par NGT de la règlementation appliquée aux OGM tandis que de nombreux autres pays mènent des réflexions pour déterminer le niveau d’exemption à accorder à ces produits en fonction de la modification du génome réalisée.
Sur une carte publiée récemment par Dima et Inzé [3], les pays favorables aux NBT sont de couleur verte, les pays dont la réflexion est en cours ou qui choisissent des positions réglementaires intermédiaires sont en orange tandis que ceux qui ont adopté une réglementation restrictive en assimilant les produits NGT aux OGM sont en rouge. On ne retrouvait en mars dernier dans cette catégorie que les seules Nouvelles Zélande et UE ; cependant la position de la Nouvelle Zélande est en cours d’évolution et celle de l’UE, après la récente publication du 29 avril 2021, également.
Vers un allégement réglementaire mondial pour les modifications génomiques mineures des NGT
Terre d’élection des plantes biotech depuis plus de 20 ans, les pays de l’Amérique du Sud ont été les premiers à avoir adopté une réglementation spécifique pour les NGT : l’Argentine en tête en 2015, suivie par le Chili en 2017, la Colombie et le Brésil en 2018, puis le Paraguay en 2019. Ces pays ont décidé de procéder des évaluations au cas par cas des produits obtenus par NGT, mais en dispensant de réglementation tout nouvel organisme génétiquement modifié qui n’aurait pas « de nouvelles combinaisons de matériel génétique »[4] : ceux qui n’intègrent pas d’ADN étranger ne sont pas considérés comme des OGM.
Aux Etats-Unis, de nouvelles règles, appelées SECURE (Sustainable, Ecologic.al, Consistent, Uniform, Responsible and Efficient) Rule appliquées aux nouvelles techniques d’édition du génome, ont été publiées le 18 mai 2020 après qu’une vaste consultation ait été organisée pour recueillir l’avis de tous. Une plante génétiquement éditée pour des modifications mineures du génome comme le changement ou encore suppression d’une paire de bases ou encore l’introduction d’un gène connu pour appartenir au pool génétique de la plante[5] sera exemptée de la réglementation fédérale appliquée aux OGM. Ce sont les caractéristiques du produit final qui sont désormais évaluées et non la méthode d’obtention. D’après l’APHIS-USDA[6], plus de 98% des nouvelles variétés qui lui seront soumises pour autorisation de mise sur le marché bénéficieront de cet allégement réglementaire. Autre pays d’Amérique du Nord, le Canada traite les produits issus de NGT comme les autres produits innovants qui ont des caractères nouveaux. Les propriétés du produit fini obtenu sont évaluées au cas par cas par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (CFIA Canadian Food Inspection Agency).
Sur les autres continents, le Japon et Israël ont décidé de ne pas réglementer les produits génétiques ne contenant pas de nouvel ADN étranger. L’Australie dispense de réglementation les produits ayant des modifications mineures du génome. La Russie a réaffirmé en 2020 son opposition à la culture et à l’élevage d’OGM agricoles sauf à des fins de recherche. Mais elle développe depuis 2019 un programme de recherche de 111 milliards de roubles (environ 1,23 milliards d’euros) pour développer une trentaine de variétés génétiquement éditées (NBT) de blé, d’orge, de betteraves à sucre et de pommes de terre, ces nouvelles variétés devant être considérées comme équivalentes aux variétés obtenues de manière conventionnelle[7]. La Chine n’a pas défini un statut réglementaire particulier pour les produits d’édition du génome mais a engagé des programmes de recherche pour 10 milliards de dollars US. C’est le pays qui possède le plus de brevets pour les applications agricoles de CRISPR[8]. Plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est poursuivent leur réflexion.
Quelles sont les conséquences de ces ajustements réglementaires ? Il semblerait qu’en Argentine qui a opté dès 2015 pour un allégement de la réglementation, la baisse des coûts d’homologation s’accompagne d’une offre élargie en nouveaux produits obtenus par NBT, favorisant le développement de nouvelles variétés plus efficientes pour s’adapter aux changements climatiques ou mieux résister aux agents pathogènes et insectes ravageurs des cultures8.
Nouvelle Zélande et UE : des positions en cours d’évolution
Le gouvernement de Nouvelle Zélande à la suite d’une décision de sa Haute Cour de Justice a statué en 2016 que les produits d’édition du génome devaient être considérés comme des OGM. Mais à la suite de débats conduits par la Société royale de Nouvelle Zélande les années qui suivirent, une réflexion est aujourd’hui en cours sur le statut des produits génétiquement modifiés sans ADN étranger qui pourraient être exemptés de la réglementation des OGM7.
Et maintenant, c’est au tour de l’UE de reconsidérer sa position réglementaire. Elle observe le décalage qui s’accroit de jour en jour entre elle avec les pays qui ont adopté largement les NGT avec une réglementation adaptée. La Commission européenne constate ainsi que réglementer comme OGM des produits issus de NGT introduit une distorsion de concurrence en matière d’échanges commerciaux internationaux, ce qui conduirait à la pénalisation les acteurs économiques des Etats-membres et affecterait la recherche publique et privée européenne. Elle souligne par ailleurs qu’il est difficile de différencier les produits issus de NBT qui ne contiennent pas d’ADN étranger, par exemple ceux issus de mutagenèse ciblée ou de cisgénèse, et indique que de nombreux produits obtenus par NGT s’inscrivent dans le « Pacte vert européen » et la « Stratégie de la ferme à la fourchette ».
Aussi, demande-t-elle au Portugal [9]qui préside actuellement l’UE de conduire un débat pour faire évoluer la réglementation de manière à ce qu’elle prenne en considération la protection durable de la santé et de l’environnement sans négliger les opportunités qu’offrent les innovations technologiques de NGT. On remarquera que le Portugal est un de deux Etats- membres de l’UE qui cultivent encore des OGM (du maïs MON 810, résistant à la pyrale et sésamie, insectes ravageurs majeurs de la culture qui s’étend sur 5733 hectares en 2018 dans ce pays), et qu’il a réussi par une législation appropriée à faire co-exister harmonieusement dans les régions de Lisbonne et de l’Alentejo les agricultures biotech, bio et conventionnelles[10].
A la reconquête de la souveraineté agroalimentaire
Dans un monde aujourd’hui globalisé, un pays peut-il adopter une position hostile aux nouvelles technologies de modification du génome ? Alors même qu’il n’est pas possible scientifiquement, comme l’a souligné le Haut Conseil des Biotechnologies, de distinguer au final entre des produits issus de mutation naturelle ou de mutation dirigée in vitro ou in vivo[11] ?
Le Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a insisté en conclusion des rencontres de l’Union des Semenciers française UFS du 6 mai 2021 sur la place qu’occupe le secteur semencier dans l’économie française. Avec le député de la Creuse LREM Jean-Baptiste Moreau, lui-même agriculteur, qui présidait ces échanges, il a souligné l’intérêt stratégique de mettre en œuvre les améliorations variétales par NBT pour « reconquérir notre souveraineté alimentaire »[12]. Ce qui est bon augure pour faire avancer cette révision réglementaire européenne sur les NGT, la France présidant l’UE en janvier 2022. Cette révision est cruciale pour notre avenir européen, et la présidence française se doit de faire face à cet enjeu majeur et historique.
En espérant que cette réflexion conduite d’abord sur les plantes s’élargira bientôt aux microorganismes et aux animaux, il faut aujourd’hui soutenir la nouvelle position réaliste de la Commission européenne qui permettra à l’Union de faire face aux défis du futur avec des outils biotechnologiques appropriés.
[1] Commission européenne (2021) EC study on new genomic techniques Brussels, 29.4.2021 SWD(2021) 92 final, https://ec.europa.eu/food/plant/gmo/modern_biotech/new-genomic-techniques_en
[2] Catherine Regnault-Roger (2018). La réglementation au cœur des débats, In Au-delà des OGM, Regnault-Roger C. et al (Dir), Presses des Mines, pp135-168
[3] Dima Iona. & Inzé Dirk (2021), The role of scientists in policy making for more sustainable agriculture Current Biology, 31, R219-220, March 2021 & Regnault-Roger Catherine (2021) Regulatory and politicial challenges of New Breeding Techniques, European Seeds 8 (2) : 30-33 (reproduction de la carte , courtoisie de Iona Dima)
[4] Sarah M Schmidt, Melinda Belisle & Wolf B Frommer(2020) The evolving landscape around genome
editing in agriculture, EMBO Reports (2020) 21: e50680 | Published online 19 May 2020
[5] Bernadette Juarez (2020) Sustainable, Ecological, Consistent, Uniform, Responsible and Efficient (SECURE Rule) Overview, USDA, https://www.aphis.usda.gov/aphis/ourfocus/biotechnology/biotech-rule-revision
[6] Service d’inspection de la santé animale et végétale (APHIS)[6] du département américain de l’Agriculture (USDA)
[7] Global gene editing regulation tracker, Human and Agriculture Gene Editing Regulations et Index https://crispr-gene-editing-regs-tracker.geneticliteracyproject.org/ ( in line l6.0. 2021)
[8] Catherine Regnault-Roger (2020) OGM et produits d’édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020, 56 pages
[9] Commission européenne (2021) EC study on new genomic techniques Brussels, 29.4.2021 SWD(2021) 92 final .Letter to the Portuguese Presidency https://ec.europa.eu/food/plant/gmo/modern_biotech/new-genomic-techniques_en
[10] Catherine Regnault-Roger (2020) Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l’environnement, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020, 56 pages
[11] Avis du HCB sur le projet de décret modifiant l’article D.531-2 du code de l’environnement, http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/sites/www.hautconseildesbiotechnologies.fr/files/file_fields/2020/12/11/avis-cs-hcb-projet-decret-modifiant-code-environnement-200707-rev-201203.pdf (en ligne le 9/01/2021)
[12] Les rencontres de l’UFS du 6 mai 2021. https://www.youtube.com/watch?v=O-36rFNLMys
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