Cet article fait suite à une autre publication, datant du 14 novembre dernier : Que nous révèle l’étude du National Toxicology Program sur les champs radiofréquences ?
Le 1ier novembre 2018, le NTP[1], programme gouvernemental de recherche américain annonçait par voie de presse[2] la parution « des rapports finaux sur les études chez le rat et la souris sur les rayonnements radioélectriques tels que ceux utilisés dans les technologies de téléphonie cellulaire 2G et 3G » où un lien entre certains cancers et l’exposition aux radiofréquences a été observé chez des rats mâles. Comme en attestent les retombées médiatiques[3], cette formulation conduit à penser que téléphoner peut donner le cancer. Pourtant, si les signaux de modulation utilisés correspondent à des réseaux de téléphonie 2G et 3G, les conditions d’exposition testées sont incomparables avec la téléphonie mobile. Les niveaux sont très supérieurs aux normes de sécurité en vigueur et l’ensemble du corps des animaux était exposé. Ces normes visent justement à limiter les niveaux d’exposition bien en dessous du seuil d’apparition d’effets sur la santé dus à l’échauffement des tissus vivants. Cette publication appelle donc quelques explications.
Les résultats de ces études menées (RF) chez des rats et des souris ont été produits en janvier 2018, dans deux rapports [1, 2]. Ceux-ci[4] étaient présentés comme provisoires en attendant l’avis d’un panel de relecteurs nommés par le NTP et auditionnés en mars 2018. Le résultat marquant était, chez les rats mâles uniquement, une augmentation d’une tumeur du cœur, le schwanomme malin (très rare chez l’Homme) aux niveaux d’exposition les plus élevés. Le NTP emploie quatre catégories pour évaluer le niveau de preuve que l’agent étudié soit la cause d’un effet observé, dans l’ordre décroissant : preuve claire (« clear évidence »), limitée (« some evidence »), équivoque (ou ambiguë, « equivocal evidence »), aucune preuve (« no évidence »). Ainsi, en raison des incohérences dans les observations entre mâles et femelles (par exemple une mortalité moindre chez les rats exposés), et avec les niveaux de DAS (pas d’effet-dose), les auteurs avaient jugé la preuve « limitée» pour les Shwannomes cardiaques, et au maximum « équivoque » pour les autres résultats indiquant des effets, gliome compris.
Les conclusions finales diffusées le 1ier novembre portent sur les mêmes données, mais l’appréciation du niveau de preuve a été revu à la hausse à l’issu du vote des relecteurs[5], conduisant à l’attribution de « preuve claire » pour les schwanommes et «limitée » pour les gliomes et les tumeurs de la glande surrénale, chez les rats mâles uniquement.
L’Anses a fait une synthèse[6] des conclusions des auteurs et des celles des rapporteurs, en pointant les incertitudes liées aux biais et faiblesses de l’étude. La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP[7]) a analysé ces travaux, en même temps qu’une étude produite par l’institut Ramazzini en avril 2018[8], dont les auteurs affirmaient avoir confirmé les résultats du NTP. Elle conclue « L’ICNIRP considère que les études du NTP et de Falcioni et al., ne fournissent pas un ensemble de preuves cohérent, fiable et généralisable pouvant servir de base à la révision des directives actuelles sur l’exposition humaine. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour répondre aux limitations ci-dessus». Les analyses de ces instances de référence dans l’évaluation du risque lié aux radiofréquences, confirment qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Ces travaux du NTP, fortement médiatisés, ont toutefois donné lieu à une véritable cacophonie dont l’origine provient en grande partie d’une communication ambiguë. Le NTP laisse entendre, sur son site et dans sa communication, que ces travaux visaient à étudier le risque lié à la téléphonie mobile à la demande de la Food and drug administration (FDA) qui fait autorité aux USA en matière de santé publique et juge de la pertinence des seuils d’exposition du public. Il précise que les expositions ne sont pas comparables avec l’usage d’un téléphone mobile[9], puis explique qu’il n’a pas étudié le Wifi et la 5G, qui feront l’objet de futurs travaux.
De son côté, la FDA a fait savoir[10] dès le 1ier novembre, qu’elle était d’accord sur le fait que ces résultats ne sont pas extrapolables à l’usage du téléphone mobile, mais qu’elle était « en désaccord avec les conclusions de leur rapport final concernant les «preuves évidentes» de l’activité cancérogène chez les rongeurs », en pointant les faiblesses de l’étude. Elle précise aussi que « nous devons nous rappeler que l’étude n’a pas été conçue pour tester la sécurité de l’utilisation du téléphone portable chez l’homme. Nous ne pouvons donc en tirer de conclusions sur les risques liés à son utilisation. Nous devons également évaluer en profondeur et prendre en compte la totalité des données, et ce, dans le contexte de l’ensemble des preuves, plutôt que de tirer des conclusions des résultats d’une seule étude».
Finalement, on peut se demander quel était l’objectif de cette vaste étude. Aucun objectif alternatif n’a été mentionné par le NTP, ni dans sa communication, ni dans les rapports. Maintenant, le Japon et la Corée ont annoncé leur intention de faire à leur tour des études animales pour vérifier ces résultats[11], tandis que le NTP projette de faire des études sur d’autres technologies avec de nouveaux équipements. Le feuilleton n’est donc pas encore terminé !
[1] https://ntp.niehs.nih.gov/
[2] 27 nov18 communiqué de presse : “National Toxicology Program releases final reports on rat and mouse studies of radio frequency radiation like that used in 2G and 3G cell phone technologies” 1ier nov. 2018
https://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2018/november1/index.cfm
[3] https://www.santemagazine.fr/actualites/une-etude-met-en-evidence-un-lien-clair-entre-ondes-telephoniques-et-cancer-334789?fbclid=IwAR1gyGIMrXSpt6DbTlC8Lugln4RvjGzgwexyF7ou9zLnMu06QB76o1mwmCs
« Une étude met en évidence un lien clair entre ondes téléphoniques et cancer »
[4] [1] NTP report on Toxicology and carcinogenesis studies in HSD:Sprague Dawley SD rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and Modulations (GSM and CDMA) used by Cell phones. https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/trpanel/2018/march/tr595peerdraft.pdf
[2] NTP report on Toxicology and carcinogenesis studies in B6C3F1/N MICE exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (1,900 MHz) and Modulations (GSM and CDMA) used by Cell phones. https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/trpanel/2018/march/tr596peerdraft.pdf
[5] Actions from Peer Review of the Draft NTP Technical Reports on Cell Phone Radiofrequency Radiation March 26-28, 2018
https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/trpanel/2018/march/actions20180328_508.pdf
[6] Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à une analyse des rapports provisoires de l’étude du National Toxicology Program américain sur l’exposition animale à des radiofréquences, 28 sept. 2018.
https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2016SA0176.pdf
[7] ICNIRP, Note on Recent Animal Carcinogenesis Studies. Icnirp.org, 4 sept. 2018
https://www.icnirp.org/cms/upload/publications/ICNIRPnote2018.pdf
[8] Falcioni L. & al. Report of final results regarding brain and heart tumors in Sprague-Dawley rats exposed from prenatal life until natural death to mobile phone radiofrequency field representative of a 1.8 GHz GSM base station environmental emission. Environ Res. 2018 Aug;165:496-503. doi: 10.1016/j.envres.2018.01.037
[9] Communiqué de presse du NTP, 1ier nov. 2018. National Toxicology Program releases final reports on rat and mouse studies of radio frequency radiation like that used in 2G and 3G cell phone technologies
https://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2018/november1/index.cfm
[10] https://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/ucm624809.htm
Statement from Jeffrey Shuren, M.D., J.D., Director of the FDA’s Center for Devices and Radiological Health on the National Toxicology Program’s report on radiofrequency energy exposure
For Immediate Release
November 1, 2018
[11] https://microwavenews.com/news-center/japan-korea-ntp-rf-project
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