La crise sanitaire et, plus encore, la guerre en Ukraine, viennent de rappeler au monde occidental le danger consistant à dépendre des importations dans des domaines aussi vitaux que les matières premières ou l’énergie.
Or les minéraux critiques nécessaires à la transition électrique sont d’autant plus concernés par cette menace qu’un déséquilibre s’installe entre leur demande mondiale et leur disponibilité. Pire encore, leurs ressources sont concentrées entre les mains d’un nombre très restreint de pays au sein desquels la Chine se taille la part du lion.
Il serait irresponsable de ne pas prendre toute la mesure de la voracité en minéraux critiques qui caractérise notre modèle de transition énergétique et d’en tirer immédiatement les conséquences. Au risque d’abandonner inéluctablement l’ensemble de notre économie à la Chine.
La leçon du gaz
L’Allemagne vient de se casser les dents sur son partenariat avorté avec la Russie et la trahison de sa filiale allemande GazpromGermania qui s’est abstenue de remplir ses capacités de stockage en Allemagne [1]et en Autriche dès le début du conflit. Aujourd’hui contrainte d’importer du gaz depuis la France, l’Allemagne voit s’écrouler l’ambition d’¼ de siècle de politique énergétique devant l’amener à devenir la plate forme européenne du gaz à horizon 2035 [2] et craint même pour son propre approvisionnement l’hiver prochain.
Pour autant l’Europe n’a pas pris la mesure d’une dépendance bien plus dangereuse encore vers laquelle elle fonce tête baissée, véritable traquenard que lui tend la Chine : celui de la dépendance aux minéraux nécessaires à sa transition énergétique.
Alors qu’on prend déjà conscience du gigantisme des réseaux d’influence de la Chine dans le monde et que les ambitions chinoises d’expansion vers Hong-Kong, mais aussi vers l’Afrique et le reste du monde ne sont plus un mystère.
L’insoutenable légèreté de la transition électrique
En moins de 20 minutes, la vidéo de Documentaire et vérité [3]dessine les contours de ce piège et en chiffre l’impossible équation. Du moins l’impossible adéquation avec les objectifs actuellement poursuivis, aussi bien économiques qu’écologiques.
En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie avait publié un rapport [4]chiffrant le « décalage imminent entre les ambitions climatiques renforcées du monde et la disponibilité des minéraux critiques qui sont essentiels à la réalisation de ces ambitions. »
Ce qui ne signifie pas que l’écorce terrestre ne recèle pas la quantité de minéraux nécessaire à la transition électrique et numérique envisagée, mais doit faire comprendre les conséquences géostratégiques et environnementale d’un modèle énergétique qui nécessite des quantités infiniment plus grandes de ces minéraux convoités tels que le lithium, dont les besoins seraient multipliés par 42 dans le « scénario de développement durable » (SDS) ainsi que le cobalt (x21), le cuivre ou l’aluminium. Parallèlement, le recyclage du lithium n’atteint pas 1% à l’heure actuelle (rapport AIE p 34).
L’obligation de réussite
L’Europe s’est fixé la date de 2050 pour parvenir à la neutralité carbone.
La Chine, celle de 2049, qui célébrera le centenaire de la fin de son « siècle d’humiliation » (1839 1949) et qu’elle considère emblématique de sa volonté de domination sur le monde.
Pour sortir des énergies fossiles, il n’y a pas d’alternative à l’électrification des usages, que ce soit directement ou par le truchement de l’hydrogène, des batteries ou de tout autre vecteur.
Et quelles que soient les technologies retenues, les besoins en minéraux critiques seront considérables, ne serait-ce que pour le réseau électrique, dont les besoins arrivent en 2ème position après ceux des véhicules électriques et leurs batteries, qui représentent à eux seuls la moitié. (Rapport AIE page 9).
Le monopole chinois
Ce rapport relève une concentration de l’exploitation de ces minéraux dans un nombre de pays bien plus restreint que pour celle du gaz, et plus restreint encore pour leur traitement, pour lequel la Chine s’être rendue incontournable, notamment en fermant les yeux sur les normes environnementales, et parvenant ainsi à un quasi monopole de fait, ainsi que ce même rapport l’illustre ci-dessous.
Et la demande mondiale est telle qu’on doit bien prendre conscience du fait que l’intérêt de celui qui contrôle ces minéraux ne sera pas seulement d’en augmenter le prix mais de vendre des produits finis plus complexes, du transistor au circuit électronique ou la batterie … jusqu’au véhicule électrique complet, que la concurrence serait incapable de fabriquer sans ces minéraux. Créant du même coup autant d’emplois chez lui qu’il en supprimera chez ses concurrents.
C’est d’ailleurs déjà le cas pour les énergies renouvelables où la Chine, après avoir trusté plus de 80% de la part de production mondiale de panneaux photovoltaïques selon l’AIE, s’empare désormais du marché de l’éolien, avec le géant Goldwind qui talonne le n°1 General Electric, tandis que 7 entreprises chinoises figurent dans le top 10 des parts de marché, et que la déconfiture de l’éolien terrestre se poursuit en Europe.
L’alternative qui fâche
Le groupe Imerys vient d’annoncer l’ouverture de la plus grosse mine de lithium d’Europe dans l’Allier pour 2027.
Ce qui permettrait à la France de devenir leader du marché européen. La contrepartie en est, bien évidemment, d’inévitables atteintes locales à l’environnement, en l’occurrence liées aux 2 zones Natura 2000 [5] du périmètre de recherche, destinées à protéger pas moins de 6 espèces d’intérêt communautaire, aux quelques 3 millions de tonnes de roches qui devraient être extraites chaque année (100 tonnes de roche pour 1 tonne de lithium), aux millions de litres d’eau nécessaires à leur traitement, ainsi qu’aux rejets toxiques et émissions de CO2.
Mais qu’on le veuille ou non, notre indépendance énergétique, dont le conflit ukrainien vient de rappeler le caractère indispensable, passe par l’extraction sur notre sol de ces minéraux critiques et convoités par le monde entier.
Si la transition électrique s’annonce vorace en minéraux, la France dispose d’un réel potentiel minier [6].
On sait que les activités extractives se heurtent, en France comme ailleurs, à une franche hostilité des écologistes. En janvier 2022, le Gouvernement serbe annulait notamment le projet de mine de lithium du géant australien Rio Tinto, après des mois de manifestations menées par des organisations environnementales.
Il est bien évident que la mise en exploitation d’une telle mine risque d’être mal accueillie par ses riverains et que les indispensables dédommagements ne les consoleront pas nécessairement.
Mais la question de l’intérêt général ne saurait être occultée à l’heure des choix, car des choix s’imposent en regard de la croissance de nos besoins en lithium, mais aussi en cobalt, nickel, cuivre ou néodium, dont l’approvisionnement ne sera pas infini, ni sans risque géopolitique. Et nous ne pouvons nous contenter de prévisions simplistes assises sur la gratuité du vent et du soleil.
Le permis exclusif de « recherches de mines de lithium, étain, tantale, niobium, tungstène, béryllium et substances connexes » avait été accordé à la société Imerys en 2015 après le dépôt d’une demande en 2013 [5], ayant fait elle-même l’objet d’années d’études d’impacts. Après que ce permis a pu être prolongé en 2021, la société annonce donc pouvoir commencer l’exploitation en 2027.
Soit un minimum de 15 ans de démarches et prospections avant la phase d’exploitation.
Gouverner c’est prévoir, on n’improvisera pas d’exploitation minière en urgence pour avoir mal anticipé les besoins.
Le dérapage intermittent
On sait que le développement du système électrique est incontournable pour des raisons climatiques et d’épuisement des ressources fossiles. On sait que ses seuls réseaux, de transport, de distribution et d’interconnexions exigeront une part considérable de ces besoins en minéraux.
On sait également que les énergies renouvelables intermittentes (EnRi) augmentent ces besoins, non seulement par la voracité de leur fabrication par MW installé, rendue plus sensible encore par le faible facteur de charge de leur production et par leur durée de fonctionnement moindre, mais aussi par la nécessité de gérer leur intermittence par la présence d’un doublon de centrales pilotables dont les EnRi ne permettent toujours pas de diminuer significativement la puissance [7] nécessaire, ainsi que par la nécessité de renforcement du réseau et des moyens de stockage.
Ce qui ne veut pas dire que ce modèle intermittent n’est pas viable, mais qu’on doit tenir compte de ses besoins en matériaux et de la façon d’en assurer l’approvisionnement puisqu’on sait que l’équilibre mondial offre/demande promet d’en être critique.
Et que l’absence d’alternative nous interdit de manquer la transition électrique.
Une énergie concentrée et gratuite
L’extraction d’uranium a eu lieu en France jusqu’en 2001, au travers 210 sites différents avant d’être complètement délocalisée. Des gisements comme celui de Coutras en Aquitaine disposent encore d’un potentiel significatif. Mais à l’heure actuelle, son abondance, bien répartie dans le monde entier et la faiblesse de son coût, rapporté au MWh produit, sont la raison évoquée officiellement par le Gouvernement pour l’abandon du projet de surgénérateur Astrid qui, à l’instar de Superphénix, permettrait de disposer d’ores et déjà de 5000 ans de combustible grâce à notre stock d’uranium appauvri.
En à peine plus d’un siècle, l’énergie nucléaire a pris une place irremplaçable. Dans la médecine moderne et notamment le traitement des cancers. Elle a permis à la France de résister mieux que ses voisins aux premiers chocs pétroliers. Sa force de dissuasion militaire permet à la France de mieux se faire entendre sur l’échiquier géostratégique.
C’est également l’énergie responsable de la plus faible mortalité par quantité d’énergie produite [8] et parmi les moins émettrices de gaz à effet de serre. Il est rare qu’on rappelle que le parc nucléaire français a produit 43,7% de la totalité de l’énergie primaire consommée [9] en 2015 et qu’un rapport de l’OCDE [9] s’interroge sur le sérieux des pouvoirs publics à examiner toutes les options nucléaires dans le cadre de leur politique énergétique. De nombreuses applications non électriques existant, en effet, pour valoriser les 2/3 de cette énergie primaire actuellement rejetée stérilement dans l’environnement sous forme de chaleur.
Rapportée à la quantité d’énergie produite, les besoins du nucléaire en minéraux critiques sont sans commune mesure avec ceux des énergies renouvelables, l’essentiel de ses besoins en matériaux étant assurés avec le béton et le ciment, comme le montre l’illustration ci-dessous [10] de l’organisation Environnemental Progress.
L’opinion publique
Mais cette énergie nucléaire fait l’objet de l’hostilité d’une large part de la population en raison de la durée d’activité de ses déchets et probablement en raison de la complexité de sa technologie qui la rend peu propice aux prises de décision populaires. C’est ce que tendent à montrer les témoignages des initiateurs du mouvement antinucléaire recueillis par Basta.media [11] : « Mai 68 est une critique irrévérente de l’autorité, y compris scientifique », or « En tant qu’énergie centralisée, dans laquelle le citoyen est tenu très loin des circuits de décision, le nucléaire entre en contradiction avec les revendications montantes d’autogestion et de démocratie participative. »
L’opinion publique, depuis, n’est pas indemne d’un demi-siècle de militantisme antinucléaire. Dès l’origine en Allemagne, notamment par le biais insidieux de livres pour enfants [12], ainsi que par l’organisation de réseaux transfrontaliers. Par ailleurs, l’intérêt compétitif allemand à réduire la capacité du parc nucléaire français est clairement décrit dans le rapport franco-allemand : « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » [13] (p. 91)
Le débat en question
Dans le débat public qui s’ouvre aujourd’hui sur les projets d’EPR, il importe que les inconvénients objectifs de l’énergie nucléaire soient mis en regard avec les lourdes conséquences géostratégiques et environnementales des énergies prétendues propres, durables et renouvelables.
La question est malheureusement complexe et éminemment technique, mais il serait irresponsable qu’on puisse s’en tenir à ces épithètes trompeuses [14] pour solde de toute information.
L’abandon de notre indépendance, notamment à la Chine, en serait la sanction.
2 http://lemontchampot.blogspot.com/2017/11/nucleaire-ca-sent-le-gaz.html
3 https://www.youtube.com/watch?v=pSROxsbFitU
5 https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/per-beauvoir_information-du-public.pdf
6 https://www.mineralinfo.fr/fr/ressources-minerales-france-gestion/potentiel-du-sous-sol-francais
7 https://www.mineralinfo.fr/fr/ressources-minerales-france-gestion/potentiel-du-sous-sol-francais
8 https://ourworldindata.org/safest-sources-of-energy
10 https://environmentalprogress.org/why-clean-energy-is-in-crisis
11 https://basta.media/De-mai-68-au-Rainbow-warrior-en-passant-par-Creys-Malville-plongee-aux-racines
12 https://fr.linkedin.com/pulse/la-casse-du-nucl%C3%A9aire-en-allemagne-s%C3%A9bastien-tertrais
Du même auteur
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A quoi ressemblera la production électrique européenne en 2080 ?
Image par Derrick Sherrill de Pixabay