Alimenté par les réseaux sociaux dont les algorithmes isolent les internautes de toute contradiction, chaque sujet mis en débat se transforme désormais en une polémique.
Un débat est une discussion argumentée entre deux personnes ayant la même légitimité pour parler du sujet, de par leur expérience et leur niveau de connaissance. En revanche, lorsque les deux camps n’ont pas la même expertise du sujet, le débat se transforme immanquablement en une polémique. Le camp incompétent, qui ne peut soutenir le débat sur le fond, le transforme en un affrontement personnel, usant non plus d’arguments scientifiques mais d’arguments moraux. Enfermés dans leur idéologie, les opposants contournent le débat de fond pour imposer une supériorité morale au « camp de la compétence ».
Dans le contexte actuel de l’hypermédiatisation, cette technique est utilisée à outrance et fonctionne très bien. Nombre de débats scientifiques ont été confisqués par des opposants idéologiques pour les transformer en polémiques morales entre deux camps : le « camp du bien » contre le « camp du mal ».
Citons les exemples des OGM, des énergies renouvelables, des vaccins, de l’agriculture bio, du glyphosate ou de l’élevage… Il s’agit là de sujets scientifiques parfaitement documentés et étudiés de longue date. L’étude des connaissances acquises permet à des personnes qualifiées de débattre de ces questions techniques pour atteindre un consensus. Il serait ensuite possible d’évaluer le rapport bénéfice/risque de chaque option pour décider de choix politiques éclairés.
Malheureusement, ces questions sont désormais sorties du débat car elles ont été érigées en totem idéologiques. Oser en discuter s’apparente à une agression envers le « camp du bien » qui prétend imposer sa supériorité morale à tout opposant. A partir de là, toute argumentation rationnelle s’opposant au « camp du bien » est disqualifiée ce qui empêche tout débat raisonnable.
Sortir de la polémique sur les produits animaux
Il se trouve que le « camp du bien » a déclaré que la consommation de produits animaux s’apparentait à la fois à une exploitation du vivant et à une pollution inutile de la planète. A force de messages médiatiques incessants faisant appel à l’émotion plus qu’à la réflexion, les urbains ont été convaincus que, pour se maintenir dans le « camp du bien », il leur fallait arrêter la consommation des produits animaux (et ne consommer que du bio par ailleurs). Les éleveurs de vaches, cochons, poulets, qui œuvrent depuis des siècles pour produire nourriture et plaisir à la population urbaine autrefois ouvrière, sont aujourd’hui qualifiés de pollueurs et de bourreaux. Les leaders du « camp du bien » défendent des arguments ridiculement faibles, qui ne tiendraient pas longtemps face à un journaliste qualifié ou lors d’un débat entre experts en agriculture, nutrition humaine ou santé animale. Mais force est de constater que l’intensité médiatique est telle que les contre-vérités relatives à l’élevage et à l’industrie des viandes s’installent dans l’opinion.
Pour sortir de ce piège et de cette dépression collective, les éleveurs doivent réussir à reconstituer un narratif positif sur leur métier pour tenter de réinvestir « le camp du bien ». Il faut probablement rassembler les forces représentatives et communicantes des filières animales pour réaffirmer avec fierté les évidences oubliées par notre société repue :
- Les produits animaux sont de haute valeur biologique et sont nécessaires à la bonne santé de nos concitoyens.
- Les produits carnés et laitiers sont indispensables à la santé de nos enfants et adolescents qui ont besoin de se construire physiquement et biologiquement. Militer pour limiter la consommation de produits animaux auprès de nos enfants revient à mettre en danger leur développement cérébral, leur santé et leur avenir.
- L’humanité pourrait vivre sans voyager, en se chauffant moins, sans climatisation, sans le numérique. Elle l’a fait pendant des siècles. Mais, même en cas d’extrême urgence climatique, l’humanité aura besoin de se nourrir. Il y a nombre d’autres comportements et de loisirs que l’humanité peut limiter avant de se restreindre sur son alimentation et le plaisir qui va avec.
- Produire avec efficacité est le seul moyen de permettre à toute la population de pouvoir couvrir ses besoins nutritionnels et donc de se nourrir suffisamment.
- Produire avec efficacité se fait, en France, par des éleveurs qualifiés et respectueux de la bientraitance animale. Les animaux d’élevage sont nourris, soignés, protégés contre les intempéries, les prédateurs, les parasites, le stress. Ils sont incomparablement mieux protégés que dans la nature ou seul le plus fort survit.
- Compter sur les importations pour nourrir la population en cas de pénurie nationale sacrifierait inutilement notre tissu agricole, nos entreprises alimentaires. Les importations ne seront que plus défavorables à l’environnement et au respect animal compte tenu des pratiques effectives dans le reste du monde.
- Les hommes et les femmes qui œuvrent chaque matin dans les filières animales n’ont d’autre objectif que de nourrir leurs concitoyens et de gagner leur vie honnêtement.
- L’élevage est une activité agricole complémentaire de la production végétale et participe au processus circulaire de la vie. L’un alimente l’autre et l’ensemble boucle les cycles naturels immuables : le cycle du carbone, le cycle de l’eau et le cycle de l’azote.
Sur la base de ces vérités scientifiquement et économiquement démontrées, il est aujourd’hui nécessaire de déployer une communication collective efficace pour construire et diffuser ce narratif positif dont le but est de réinscrire les éleveurs et les entreprises des filières animales dans le « camp du bien ». Une mutualisation des moyens est sans doute nécessaire pour constituer un bloc capable de s’opposer aux pouvoirs considérables du « camp du bien ».
Les moyens de R&D et les investissements doivent à nouveau être mobilisés prioritairement pour garantir la qualité des produits et assurer la satisfaction sensorielle et nutritionnelle des consommateurs. Ceci tout en poursuivant les pratiques durables et compétitives déjà engagées depuis des décennies.
Image par carlo sardena de Pixabay