Les enjeux bruxellois de l’hydrogène vert
Énergie du futur ou miroir aux alouettes, sur l’hydrogène « vert » repose le sort de la transition du mix électrique à l’allemande fondé sur l’intermittence de sa production. Mais l’acception, ou non, de cet épithète pour son origine nucléaire, pourtant 3 à 10 fois moins carbonée que celle des énergies renouvelables, est au cœur d’une querelle de clochers dont l’issue sera déterminante pour sa viabilité, mais aussi pour l’avenir de la transition énergétique. Car son obtention orienterait les fonds européens vers le nucléaire, tout en privant les EnRi du principal palliatif de leur intermittence. D’où l’âpreté du combat.
Les 7 couleurs de l’hydrogène
Depuis des décennies, l’hydrogène, ou, plus exactement le dihydrogène, de formule H₂, est utilisé par l’industrie. Il provient généralement du « vaporeformage » du méthane (CH₄) par de la vapeur haute température (900°), et dont la réaction peut globalement s’écrire CH₄+ 2H₂O → CO₂ + 4H₂.
C’est l’hydrogène gris, ou l’hydrogène noir s’il provient du charbon. On parle d’hydrogène bleu lorsque le CO₂ émis est stocké [1]. Des gisements d’hydrogène blanc ou natif, viennent d’être découverts en France. Un premier permis d’exploration [2] vient d’être délivré dans les Pyrénées-Atlantiques et plusieurs autres sont à l’étude. Mais il serait bien prématuré d’y voir une réponse quelconque à l’échelle des besoins.
Selon le rapport spécial 2024 de la Cour des comptes européenne [3], l’hydrogène représente 2% de l’énergie consommée en Europe et 96% en est produit à partir du gaz naturel, dont le méthane représente l’essentiel de la composition. Il est beaucoup plus coûteux de le produire par électrolyse, auquel cas la réaction, qui peut s’écrire H₂O → H₂ + ½ O₂, ne donne pas de carbone, il s’agit alors d’hydrogène jaune. Mais l’électricité ayant permis cette réaction pouvant être carbonée, ou non, ce n’est que lorsque cette électricité provient d’énergie renouvelable que l’hydrogène est considéré vert. L’hydrogène rose, enfin, est moins carboné encore que l’hydrogène vert (3,7 gCO₂/kWh en France contre 3 fois plus pour l’éolien et 10 fois plus pour le solaire PV), et désigne l’hydrogène produit par l’énergie nucléaire, ainsi que vient de l’expérimenter la collaboration entre Nel et Samsung [4]
Malheureusement, des considérations autres que climatiques font barrage au développement de cet hydrogène rose en lui repoussant toujours plus loin la possibilité de drainer les investissements européens au même titre que l’hydrogène vert.
Les enjeux de l’hydrogène
L’électricité ne se stocke pas, du moins pas à une échelle suffisante pour un coût acceptable par la collectivité. L’Allemagne vient d’en faire la cruelle expérience par 2 fois cet automne avec des périodes prolongées sans vent ni soleil qui ont fait exploser le cours du MWh et entraîné la colère de la Suède et la Norvège dont le ministre de l’énergie a qualifié la situation de « absolument merdique » [5 ] et justifié sa décision de limiter ses interconnexions avec l’Allemagne dont l’intermittence déstabilise son propre marché de l’électricité.
Et ses folles promesses
Pour faire face à de telles situations, l’Allemagne a prévu de conserver l’intégralité de son parc pilotable et, contrairement à la France, a fait le choix de subventionner des centrales thermiques avec obligation de rester disponibles en réserve du réseau. A horizon 2045, il ne serait constitué que des centrales à gaz. La comparaison des scénarios 2021 et 2024 de l’institut Fraunhofer [6] montre, ci-dessous, la folle ambition de la part d’hydrogène, en bleu, dans la version 2024 par rapport à sa timide apparition en haut des 2 dernières années du scénario 2021.
La grande désillusion
Hélas, vendu il y a peu comme une molécule magique, une chape de plomb s’est abattue sur l’avenir de l’hydrogène. Cette chape transparaît dans le rapport de l’AIE [7] qui, avec 45 GW installés en 2028 dans le monde prévoit à peine 7% des ambitions initiales. Ce qui justifie l’acharnement des démonstrateurs et autres premières mondiales [8] lourdement subventionnés et destinés à accréditer l’idée qu’on pourra bientôt s’en servir pour stocker l’électricité intermittente des EnRi et qu’il faut donc accélérer le développement de celles-ci … En attendant.
Malheureusement, selon le Financial Post [9], qui reprend les données de Bloomberg, les prix de l’hydrogène vert resteront obstinément élevés pendant des décennies.
L’intermittence pose un défi de rentabilité aux électrolyseurs, selon 130 études compilées par H2mobile [10], revue spécialisée sur la question, tandis qu’un électrolyseur couplé au nucléaire, notamment à de petits réacteurs (SMR) permet d’optimiser le processus grâce à la cogénération haute température d’hydrogène [11]. Ces gains de rentabilité seraient d’autant plus pertinents économiquement qu’en cas de pic de consommation ou d’aléa quelconque sur le réseau, la puissance nucléaire concernée serait disponible en réserve du réseau, après négociation de contrats avec RTE.
Quand le bonheur des uns fait la déconfiture des autres
En Grande Bretagne, EDF travaille au projet Heysam2 [12] d’un électrolyseur raccordé à une centrale nucléaire. Selon EDF cette mise en place de co-génération nucléaire pour produire de l’Hydrogène grâce à la technologie SOEC constitue une première mondiale. Quel que soit l’avenir de l’hydrogène, on imagine la déconfiture des EnRi si les investisseurs, séduits par ces avantages technologiques et la régularité de sa production, privilégiaient le nucléaire pour produire de l’hydrogène, si les mêmes incitations qu’aux EnRi lui étaient concédées, notamment en termes d’objectif de part de renouvelable. D’où l’acharnement déployé pour l’empêcher de les obtenir.
Bruxelles fait de la résistance
Par 2 actes délégués [13] du 10 février 2023, la Commission européenne clarifiait les conditions qui encadrent le financement de la production d’hydrogène en reconnaissant notamment au mix électrique français la possibilité de décarboner l’industrie et les transports grâce à des électrolyseurs branchés sur les réseaux dont les émissions sont inférieures au seuil de 18 gCO₂eq/MJ (64,8 gCO₂eq/kWh). Ce qui est généralement le cas de la France avec notamment 53gCO₂eq/kWh en 2023 [14].
Pour autant, le texte proposé ne permet pas la prise en compte de l’hydrogène bas carbone, produit à partir du nucléaire [15], dans les objectifs d’énergies renouvelables, et la Commission repoussait à plus tard cette reconnaissance du nucléaire dans la production d’hydrogène « renouvelable » proprement dit.
Moins d’un mois après, 7 pays dont l’Allemagne manifestaient leur opposition à cette inclusion du nucléaire [16], au motif étonnant que, malgré son incontestable effet de décarbonation, « Compter l’énergie à faible teneur en carbone dans les objectifs en matière d’énergies renouvelables (…) ralentirait les investissements dans les capacités renouvelables [16] supplémentaires dont nous avons tant besoin ». On ne manquera pas de s’interroger sur la justification climatique de ce besoin supérieur de ces énergies intermittentes à celle, pilotable, du nucléaire. Mais tout est fait depuis pour en retarder l’inclusion, notamment par une consultation du public [17] lancée en septembre 2024. Cette possibilité du nucléaire à remplir les engagements renouvelables doit être tranchée avant l’analyse d’impact prévue au plus tard en 2028. Selon les informations d’Euractiv [18], la filière aurait bon espoir pour être reconnue en 2026.
Cette opposition dogmatique au nucléaire retarde ainsi de plusieurs années le développement d’équipements pérennes qui présentaient l’avantage supplémentaire de sécuriser le réseau.
Le rapport de la Cour des comptes européenne [19] sur le sujet déplore les contretemps considérables de cette réglementation des aides à l’hydrogène qui dissuadent les investissements. En matière d’aides d’État, la Pologne est notamment sous le coup d’une enquête de la Commission [20] sur ses aides d’État pour la construction de sa première centrale nucléaire. Le rapport dénonce d’ailleurs ces procédures « longues et chronophages ».
Le grand sabotage
Si une opportunité existe de décarboner l’industrie et les transports grâce à l’hydrogène, l’opposition au nucléaire et l’obstination à favoriser l’électrolyse par des électricités intermittentes pourrait ainsi se charger de la ruiner.
Jean Pisani-Ferry et Simone Tagliapietra viennent de publier un rapport [21] pour le Think Tank européen Bruegel, dans lequel ils stigmatisent pourtant les détracteurs de cette politique énergétique européenne. Ils en estiment le prix à payer à 1304 milliards d’euros par an d’ici 2030. Le dérapage des coûts du système électrique est tel qu’il fait craindre, au rapport de la Cour fédérale des comptes [22], la délocalisation de l’industrie allemande (1.3 « Selon une enquête de la Chambre de commerce et d’industrie allemande, les entreprises allemandes sont de plus en plus sceptiques quant à la transition énergétique et envisagent de plus en plus de délocaliser leur production à l’étranger »)
On sait que le ministre écologiste allemand de l’Économie et de l’Énergie R. Habeck est actuellement sur la sellette pour le soupçon d’avoir cautionné la falsification de documents [23] qui ont orienté l’Allemagne vers la sortie du nucléaire. On aurait aimé qu’une cause telle que celle du climat ne se casse pas les dents sur cette obsession de ruiner le nucléaire et qui a déjà ruiné l’industrie.
1 https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/gris-jaune-vert-quelle-couleur-pour-l-hydrogene
2 https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/hydrogene-blanc-quelles-perspectives
3 https://www.eca.europa.eu/fr/publications?ref=SR-2024-11
4 https://www.mobeez.fr/actualites/15961/lhydrogene-rose-enfin-produit-pour-la-premiere-fois-dans-lhistoire-marquant-une-avancee-energetique-decisive-contre-la-dependance-mondiale-aux-energies-fossiles/
5 https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/cest-la-foudre-nordique-qui-sabat-sur-lenergiewende-jp-riou-interview/
6 https://www.energy-charts.info/charts/remod_installed_power_2024/chart.htm?l=fr&c=DE&source=conv_power_plants
7 https://iea.blob.core.windows.net/assets/3f7f2c25-5b6f-4f3c-a1c0-71085bac5383/Renewables_2023.pdf
8 https://www.actu-environnement.com/ae/news/video-production-hydrogene-offshore-eolien-flottant-42160.php4
9 https://financialpost.com/pmn/business-pmn/green-hydrogen-prices-will-remain-stubbornly-high-for-decades
10 https://www.h2-mobile.fr/actus/etude-hydrogene-energies-renouvelables-pourquoi-intermittence-probleme/
11 https://www.sfen.org/avis/contribution-du-nucleaire-dans-la-nouvelle-strategie-hydrogene-francaise-fevrier-2024/
12 https://www.edf.fr/groupe-edf/inventer-l-avenir-de-l-energie/rd-un-savoir-faire-mondial/toutes-les-actualites-de-la-rd/projet-bay-hydrogen-hub-au-royaume-uni-un-demonstrateur-pour-produire-de-l-hydrogene-d-origine-nucleaire-a-la-centrale-de-heysam-2
13 https://france.representation.ec.europa.eu/informations/la-commission-etablit-des-regles-pour-lhydrogene-renouvelable-2023-02-13_fr
14 https://app.electricitymaps.com/map/all
15 https://www.banquedesterritoires.fr/hydrogene-la-france-emporte-une-bataille-pas-encore-la-guerre
16 https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/sept-etats-membres-ecartent-lhydrogene-dorigine-nucleaire-du-texte-europeen-sur-les-renouvelables/
17 https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/14303-Methodology-to-determine-the-greenhouse-gas-GHG-emission-savings-of-low-carbon-fuels_en
18 https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/le-secteur-nucleaire-espere-une-reconnaissance-des-contrats-dhydrogene-nucleaire-au-plus-tard-en-2026/
19 https://www.eca.europa.eu/fr/publications?ref=SR-2024-11
20 https://www.connaissancedesenergies.org/afp/la-commission-europeenne-ouvre-une-enquete-sur-une-aide-detat-la-premiere-centrale-nucleaire-polonaise-241218
21 https://t.co/9pQZEFo9i1
22 https://www.bundesrechnungshof.de/SharedDocs/Downloads/DE/Berichte/2024/energiewende-volltext.pdf?__blob=publicationFile&v=5
23 https://www.lopinion.fr/international/le-mensonge-atomique-des-verts-allemands
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