Comme le souligne Jean-Paul Oury, le phénomène Greta est un coup de communication parfaitement réussi, au point que dans El Pais, faisant appel à Guy Debord, l’essayiste espagnol Julio Llamazares s’insurge : « Transformer le monde en faux, faire disparaître les connaissances historiques et éliminer l’autonomie scientifique sont pour Guy Debord les clés de cette culture du spectacle qui régit tout et menace de détruire ce monde autant ou plus que le changement climatique. Mais cela n’inquiète aucunement Greta. ».
Jetons donc un œil sur les différentes facettes du spectacle.
Vers la guerre des générations ?
Il ne s’agit pas de mettre en cause personnellement Greta, surtout pas, et surtout pas comme le fait le Président des États-Unis, et nous verrons pourquoi. Mais, de notre côté, on peut être surpris de se voir mis en cause globalement en tant que génération, alors même que par exemple de 1950 à 2020, pour reprendre les arguments de Steven Pinker la faim et la disette ont reculé partout de façon très spectaculaire (sauf bien sûr dans les zones de conflits armés), le niveau de vie a augmenté de façon également très spectaculaire avec, par exemple, un PIB français multiplié par 6, le nombre de victimes des conflits armés a diminué considérablement, etc.
Il ne devrait donc pas y avoir de guerre de générations, pas plus qu’il n’y a en réalité de guerre de civilisations. Si deux générations de 1950 à 2020 ont fait des erreurs à côté de tant de réussites, nous pouvons faire confiance aux nouvelles générations pour trouver des solutions pour les corriger.
Vers le règne des arguties juridiques ?
Suivant la mode initiée aux USA, on se lance dans des procès invraisemblables, par exemple quand des enfants dénoncent des États pour atteinte aux droits de l’enfant en raison de leur inaction vis-à-vis du changement climatique.
Cela d’autant moins de sens que l’on ne voit encore très bien quels seront les moyens choisis pour décarboner l’économie, quand les Verts sont opposés au nucléaire qui, au moins pour les quelques dizaines d’années qui viennent, parait la seule solution réaliste pour commencer à décarboner nos économies.
Un autre exemple de contradiction mal résolue par les Verts est qu’ils n’encouragent pas ce que les américains la « regenerative agriculture », ou agriculture de conservation des sols qui permet d’optimiser le stockage du carbone dans le sol en maintenant une couverture végétale quasi permanente. Mais, cette couverture végétale doit être détruite périodiquement et le seul moyen raisonnable de le faire est d’utiliser le glyphosate, qui dans notre « société du spectacle » est devenue la bête noire des Verts. Le grand promoteur en France, au niveau politique, de cette « regenerative agriculture » n’a donc pas été un Vert, mais Stéphane Le Foll, ministre socialiste de l’Agriculture.
Troisième exemple : les arbres en forêts fixent le carbone et le fixent très bien, mais sauf à être utilisé dans la construction, les arbres rendent en fin de vie le carbone qu’ils ont fixé. Mais jusqu’à présent le bois reste peu utilisé pour la construction dans notre pays, contrairement à ce qui se passe en Amérique du Nord. Il n’y a pas encore les architectes et entreprises compétents en nombre suffisant. Et ce n’est pas vraiment la faute de l’État, dont on ne voit pas bien pourquoi on le mettrait en cause.
Vers la restriction des libertés individuelles au nom de la survie de l’humanité ?
L’aspect le plus problématique des discours des collapsologues comme des Verts plus nuancés, est la remise en cause de notre système économique qui se prolonge parfois avec la remise en cause de notre système démocratique, certains sachant mieux que tout le monde ce qu’il faut faire, ce qu’il faut manger, comment il faut se déplacer, comment il faut se loger, où il faut passer nos vacances…
Au nom du climat, est-il envisagé que nous vivions sous un régime autoritaire ? Ce serait bien sûr inadmissible et ce serait absolument contraire aux développements de solutions qui seront très diverses, sauf à tout risquer sur des solutions qui pourraient s’avérer une impasse. On le voit dans l’automobile avec le choix du tout électrique dont on sent bien les limites tant au niveau de la fabrication et de la fin de vie des batteries qu’au niveau de la puissance électrique nécessaire pour faire fonctionner un très grand nombre de véhicules. Autre exemple, l’énergie éolienne assez discutable et discutée.
Oublier les autres grands défis
On touche là aux limites du « système de pensée de Greta ». Alors qu’il semble bien que le confort dans lequel les sociétés occidentales sont « en gros » arrivées, nous permette de penser à autre chose qu’aux inégalités sociales qui sont, en France comme en Suède par exemple, très limitées même s’il reste des populations très défavorisées, nous voyons bien que nous avons un peu de temps et l’énergie de nous intéresser à l’environnement et au climat.
Pour autant, il serait vraiment dangereux de ne pas essayer de relever les autres défis tels que :
– la globalisation des échanges,
– les migrations, de l’intégration des migrants dans nos sociétés à l’aide à leurs pays d’origine d’Afrique ou de Moyen-Orient,
– le numérique, avec ses dangers de développement d’une société de surveillance,
– le déclin démographique accéléré de notre Europe (comme en Russie ou même en Chine),
– la remise en route de l’ascenseur social et l’aide aux populations marginalisées quand il devient insupportable de voir tant de gens vivre dans la rue, ou galérer en prison, etc.
Dire, malgré tout, merci à Greta ?
Selon Jean-Luc Salanave, grand spécialiste du nucléaire, Greta Thunberg interpellant cet été les parlementaires français, puis le président Donald Trump et plus généralement les adultes sur le dérèglement climatique a au moins eu le mérite de nous rappeler notre coupable inefficacité climatique. Ainsi devrions-nous d’une part épargner à Greta nos moqueries, et d’autre part la remercier sans devenir nous-mêmes monomaniaque du changement climatique, tant les autres défis que doivent relever nos sociétés sont importants.
Si le phénomène Greta est autre chose qu’un feu de paille médiatique, il se sera toujours temps de la remercier. Mais pour l’heure, nous pouvons essayer d’aller un peu au-delà du spectacle de Greta en bateau ou en train, Greta en Prime Time à la télévision.
Pour en revenir au cas de la jeune Greta… avec un peu de modération
S’il est légitime de questionner l’attitude et le propos de Greta Thunberg, ces critiques passent sans doute à côté d’un point essentiel qui est l’attitude de nos sociétés vis-à-vis des autistes et au-delà vis-à-vis des handicapés mentaux. Voyons les choses à hauteur d’homme, ou plutôt d’enfant avec Svetlana Alexievich (Prix Nobel de littérature).
Si le succès même des propos de Greta est tout à fait stupéfiant, ceux de Svetlana Alexievich ne le sont pas moins, Svetlana Alexievich qui, on s’en souvient, a rapporté les témoignages tragiques des soviétiques victimes du stalinisme et aussi de l’incurie des responsables de la catastrophe de Tchernobyl…
Q. à Svetlana Alexievich (prix Nobel de littérature 2015) : « Chernobyl Prayer (adaptation théâtrale de « La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse » ndlr) présente des monologues poignants de ceux qui ont été pris dans la catastrophe nucléaire de 1986. Que pensez-vous du drame de la série HBO Chernobyl ? »
R.: « C’est fantastique que des millions de personnes l’aient regardé. Une nouvelle conscience environnementale commence à se former. C’est tout à fait opportun. Des gens ont regardé cette série dans tous les pays que je visite. L’activisme de Greta Thunberg n’est pas un hasard. Les jeunes ont leur propre philosophie environnementale. Je regarde ma petite-fille qui a 14 ans. Elle ne s’intéresse pas à Poutine ni à la guerre en Syrie, même si c’est un péché. Mais elle irait au bout du monde pour sauver un pingouin. Ses amis sont aussi comme elle. »
Le respect que nous portons à Svetlana Alexievich, devrait nous conduire à mieux respecter les angoisses de Greta Thunberg, d’autant plus que, sur France Culture, Alain Finkielkraut nous invitait récemment à relire “Les caractères“ de La Bruyère : “La moquerie… est de toutes les injures celle qui se pardonne le moins; elle est le langage du mépris, et l’une des manières dont il se fait le mieux entendre ; elle attaque l’homme dans son dernier retranchement, qui est l’opinion qu’il a de soi-même ; elle veut le rendre ridicule à ses propres yeux ; et ainsi elle le convainc de la plus mauvaise disposition où l’on puisse être pour lui, et le rend irréconciliable.“.
Ce que dit le cas de Greta sur notre méconnaissance du handicap
Tout le monde n’a pas (par chance !) une expérience de l’autisme, ou du handicap physique et mental des enfants. Personne ne doit avoir de doute sur les angoisses viscérales de Greta, sur sa difficulté d’envisager une question (entre autres, celle du réchauffement climatique) sous différents points de vue, ou même d’admettre qu’on puisse ne pas partager ses angoisses. Pas plus qu’il ne peut y avoir de doute sur sa sincérité, parce que de ce point de vue, il n’y a certainement pas de manipulation de sa part au moins.
Greta doit ressentir encore plus durement que beaucoup d’entre nous, les critiques qui lui sont adressées, et qu’elle ne comprend sans doute pas. Bien sûr, nous pouvons avancer que ces critiques, elle les aura bien cherchées. Même si son propos agace, pouvons-nous nous souvenir qu’elle est certainement restée très vulnérable malgré son succès médiatique, même si elle semble aller un peu mieux.
Ce que dit le cas de Greta sur l’intégration des handicapés dans nos systèmes scolaires en France et en Suède
Greta nous alerte certes sur la crise climatique, mais – répétons-le – ne nous dit pas grand-chose sur ce qui est vraiment important, à savoir sur des solutions, sauf à reconsidérer tout notre mode de vie de fond en comble, ce qui a peu de chance de se réaliser. Mais sur ce point, on ne peut lui en vouloir. Mais si Greta ne nous dit rien des solutions côté climat, mais en revanche elle nous dit beaucoup sur la situation des jeunes handicapés dans son pays, la Suède, où la seule solution qui leur est proposée est d’aller à l’école et c’est un échec flagrant. En effet, avant de devenir l’égérie du mouvement des jeunes pour le climat…, Greta Thunberg, a été une hemmasittare (hemmasittare – hemma, pour maison, sitta, pour assis). Anorexique et souffrant de mutisme sélectif, l’ado, atteinte du syndrome d’Asperger, a été déscolarisée pendant plus de deux ans.
Pendant longtemps nous avons cru en France aussi que l’intégration des enfants handicapés dans les classes « normales » serait une chance pour tous dans le sens de la compréhension du handicap d’un côté et d’une perception meilleure du monde « normal » par les autres. En fait, c’est très difficile, les enfants concernés étant souvent peu capables de se concentrer plus de 10 minutes. il semble donc que cette intégration n’est envisageable que pour les plus jeunes et que la Suède s’est trompée en intégrant à l’école tous les enfants handicapés avec le seul résultat au final que ceux-ci ne vont ni à l’école ni dans des établissements spécialisés.
En France, où l’État a délégué (sous haute surveillance et en en assumant les coûts de fonctionnement) la gestion des établissements spécialisés aux associations puissantes créées et gérées par les parents des enfants handicapés. Une chance puisque nous sommes restés plus réalistes et efficaces que les Suédois. Ainsi la jeune Greta aurait dû aller à l’école (spécialisée !) au lieu d’inciter les autres à ne pas y aller… Elle se serait peut-être rendu compte en apprenant et en s’intéressant à la physique, à la chimie, et autres sciences ou techniques, dont l’économie, que nous avons autant besoin de solutions concrètes que de grands discours aussi persuasifs soient-ils.
Ainsi Greta au delà de sa réussite médiatique nous dit-elle au fond beaucoup sur les politiques adoptées vis-à-vis du handicap mental des enfants, beaucoup sur la nécessité d’avoir un regard vraiment compréhensif sur ces enfants.