La lumière bleue correspond approximativement à la portion du spectre visible comprise entre 400 et 480 nm de longueur d’onde. De fortes doses de lumière bleue au niveau de la rétine peuvent submerger les capacités des mécanismes naturels de protection et de réparation face aux Espèces Réactives de l’Oxygène, qui sont très efficaces pour détruire les membranes des cellules rétiniennes par peroxydation lipidique. Ce type de lésion est appelé lésion de Ham. Des valeurs limites d’exposition font consensus et le risque associé à l’exposition à de fortes doses de lumière bleue artificielle est bien encadré par les normes en vigueur [1]. Cependant, compte-tenu de l’importante diffusion que connaissent aujourd’hui les LEDs, dont le spectre peut être riche en bleu, des chercheurs [2,3,4] ont exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis du manque de données concernant les effets sanitaires d’une exposition chronique aux LEDs à des niveaux de luminosité domestiques : ils ont conclu, à partir d’expérimentations animales faites sur des rats, que les valeurs limites d’exposition pour l’Homme devaient être revues à la baisse. La publication de ces résultats a bénéficié d’une couverture médiatique très importante dans la presse française et les consommateurs se sont inquiétés pour leurs yeux. Pourtant, la validité externe de ces études, c’est-à-dire la possibilité d’extrapoler les résultats à l’Homme, est discutable. Au moins deux biais expérimentaux peuvent être soulignés :
Premièrement, des rongeurs ont été utilisés comme modèle expérimental pour l’étude du stress oxydatif induit par les LEDs. Mais ce modèle ne permet pas forcément une extrapolation des résultats à l’Homme : en effet la rétine des rongeurs, riche en rhodopsine, peut être sujette à des lésions de Noell, qui apparaissent au niveau des photorécepteurs à la suite d’une exposition longue à de faibles niveaux de luminosité. Or, une fois les photorécepteurs endommagés, il est difficile de déduire l’étiologie de la lésion et de comprendre où et comment elle a pris naissance. On ne peut donc totalement exclure que les lésions observées sur la rétine de rongeurs après une exposition à des LEDs soient, non pas des lésions de Ham, mais des lésions de Noell, non observables chez l’Homme mais typiques des petits animaux nocturnes.
Deuxièmement, d’un point de vue biométrique, l’œil humain et l’œil du rat sont différents. Dans un article récent publié dans la revue Radioprotection [5], nous avons insisté sur ces différences fondamentales et converti des éclairements rétiniens dangereux pour la rétine du rat en valeur de luminance équivalente pour l’œil humain. Nous avons ainsi montré que la non prise en compte de différences biométriques existant entre l’œil de l’Homme et l’œil du rat, comme le diamètre de pupille ou la distance focale, peut conduire à une surestimation du risque pour l’Homme, que des niveaux de luminosité domestiques peuvent être dangereux pour le rat sans l’être pour l’Homme et qu’il n’y a aucun élément probant permettant la remise en cause des valeurs limites d’exposition actuelles. Notre opinion est d’ailleurs partagée par les experts du SCHEER qui, dans un avis préliminaire émis le 6 juillet 2017, ont déduit de la littérature disponible qu’il n’y a pas de preuves de nocivité des LEDs pour la population générale dans le cadre d’un usage normal.
Ces discussions entre chercheurs illustrent le fait que le temps du débat scientifique devrait systématiquement précéder l’exposition médiatique. Aucune étude ne devrait être médiatisée largement et isolément, parce que cela engendre une confusion entre des résultats encore provisoires et les résultats validés par l’expertise et le consensus.
[1] IEC/EN 62471, Photobiological Safety of Lamps and Lamp Systems.
[2] I. Jaadane et al., Retinal damage induced by commercial light emitting diodes (LEDs), free radical biology and medicine, 84 (2015) 373-384.
[3] A. Krigel et al. 2016. Light-induced retinal damage using different light sources, protocols and rat strains reveals LED phototoxicity, Neuroscience 339: 296–307.
[4] I. Jaadane et al, Effects of white light-emitting diode (LED) exposure on retinal pigment epithelium in vivo, J.Cell Mol.Med. DOI:10.1111/jcmm.13255, 2017.
[5] S. Point and J. Lambrozo (2017) Some evidences that white LEDs are toxic for human at domestic radiance?, Radioprotection, 52(4), 297-299.
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