Alors que l’UE vient d’entériner l’accord sur la fin des voitures thermiques pour 2035, se pose la question de la production d’électricité pour subvenir à la demande. André Berger (*), climatologue belge et docteur en sciences de l’Université catholique de Louvain, s’interroge sur la production d’électricité, les émissions de CO2 et les voitures électriques en Belgique. Il fait ici un calcul que tout le monde pourra comprendre facilement pour démontrer quelles sont les conditions de possibilité de l’implémentation de cette technologie pour qu’elle puisse effectivement participer à la décarbonation.
Introduction
Il est de plus en plus question de fermeture des centrales au charbon/lignite, au gaz et au fioul. Tout cela pour limiter les émissions de CO2 responsable de l’intensification de l’effet de serre et du réchauffement climatique global. Mais en même temps, on parle de l’abandon du nucléaire. Cela apparait comme étant utopique, car les sources d’énergie bas carbone restantes, principalement éolien et photovoltaïque en Belgique, sont intermittentes et non-pilotables, incapables de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité.
Si on veut alors sauver le climat, l’électrification s’avère indispensable, y compris du chauffage, du conditionnement d’air, des voitures et autres véhicules de transport, pour autant que cette électricité soit fournie à partir de centrales nucléaires sures.
Le but de cette note est de montrer où on en est en Belgique en matière de production d’électricité et ce à quoi on doit s’attendre si la fin de la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035 devait être confirmée comme le veulent les eurodéputés et les États membres de l’Union Européenne, une interdiction laissant la voie libre à la généralisation de la voiture électrique.
Analyse des données électriques en 2021
Les données regroupées dans le Tableau 1 [1] sont utilisées pour une rapide évaluation de la production d’électricité en Belgique et des besoins en électricité des voitures électriques futures.
En 2021, la production totale d’électricité a été de 96,34 TWh à partir d’une puissance installée de 27,96 GW [1] :
Les centrales nucléaires (CN) ont produit 47,88 TWh à partir d’une puissance installée de 5,96 GW. Les centrales thermiques dont la toute grande majorité sont au gaz (CG) ont produit 23,89 TWh à partir d’une puissance de 7,44 GW. La production des CG est donc la moitié de celle des CN alors que leur puissance installée est supérieure de 25%.
Les énergies renouvelables intermittentes non-pilotables (EnRI) ont produit 17,34 TWh à partir d’une puissance installée de 12,16 GW. La production des EnRI est donc un tiers de celle des CN pour une puissance double, c’est-à-dire avec une efficacité six fois moindre.
Cette efficacité des CN est liée à leur facteur de charge qui est de 22hrs/jour, alors qu’il est seulement 6,4 pour les éoliennes, 2,15 pour le photovoltaïque et 8,8 pour les CG.
Cette politique de production d’électricité a évidemment une incidence majeure sur les émissions de CO2 y liées. Les centrales au gaz ont émis 11,7 MtCO2, 20 fois plus que les centrales nucléaires. Ces CG doivent en effet compenser l’intermittence des énergies éoliennes et photovoltaïques pendant 18 heures par jour en moyenne, sans compter que l’aléatoire du vent et du solaire force un arrêt et redémarrage des centrales au gaz ce qui les rend encore moins efficaces et plus polluantes.
De plus, ces EnRI non-pilotables ne peuvent pas fournir à la demande les pointes d’électricité qui peuvent atteindre quelque 15 GW . Les puissances installées des CN (6 GW), des éoliennes (5 GW) et des panneaux photovoltaïques (7,1 GW), totalisant 18,1 GW, ne seraient suffisantes que si elles étaient TOUTES opérationnelles au moment désiré ce qui n’est pas le cas pour les EnRI non-pilotables. Finalement, en valeur moyenne sur un an, le Tableau 1 montre que le nucléaire (47,88 TWh), les éoliennes (11,75 TWh) et le photovoltaïque (5,59 TWh) ne produisent que 65,2 TWh, alors que la consommation finale est de 83,23 TWh. Même en récupérant les exportations nettes de 7,9 TWh, il manque encore 10,1 TWh.
Si les investissements en éoliennes (5,03 GW) avaient été consacrés à installer des centrales nucléaires, la Belgique aurait bénéficié de 28,71 TWh en plus, et la production d’électricité se monterait à 125,05 TWh et ce, à un coût équivalent si pas moindre. De plus, on aurait épargné plusieurs milliers de ktCO2 qui représentent la suppléance par le gaz de l’intermittence des éoliennes.
Même si on augmentait la quantité et/ou la puissance des EnRI, leur disponibilité ne sera jamais que de 6 hr par jour pour les éoliennes et 2,15 hr par jour pour le solaire. Si le foisonnement existait à travers l’Europe, il faudrait de toute façon qu’en chaque endroit on implante un nombre effarent d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques pour satisfaire les besoins locaux et ceux des régions où ni vent ni soleil ne sont présents et la multiplication de l’intermittent rendra aussi les réseaux ingérables.
Le maintien de Doel 4 et Tihange 3 permettrait de conserver 2,047 GW qui produirait 16,5 TWh. Si les 31,4 TWh de nucléaire restants devaient être produits par du gaz, il faudrait 9,8 GW de nouvelles centrales au gaz (nécessitant la construction de 12 centrales au gaz de 750 MW) qui émettraient 15,4 MtCO2. La puissance installée totale CG serait donc de 17,2 GW pour une production de 55,3 TWh et des émissions de 27,1 MtCO2, 1,9 fois les valeurs actuelles.
Étant donné qu’une éolienne de 3 MW fournit environ 7 GWh par an (facteur de charge moyen de 6,4 heures par jour), la production de 5 TWh (environ 5% de la production d’électricité) par des éoliennes requiert 2.140 MW et demanderait l’implantation de plus de 700 éoliennes de 3 MW chacune. En admettant qu’un m2 de photovoltaïque fournisse 180 kWh/an, il faudrait environ 2,15 millions de toitures couvertes de 20 m2 de panneaux photovoltaïques pour produire 5 TWh sur l’année, mais en se contentant de 2,15 heures d’électricité par jour en moyenne.
Le futur des voitures électriques en Belgique
En 2021, il y avait un peu plus de 41.000 voitures électriques en Belgique, 2.950.000 voitures à essence et 2.620.000 voitures diesels. Le besoin à la pompe d’une voiture à essence consommant 8l/100km est équivalent à 728 Wh/km. Pour une voiture diesel consommant 6l/100km, ce besoin à la pompe est équivalent à 589 Wh/km.
Le rendement d’un moteur à essence est de 36%, et celui d’un diesel de 42%. Étant donné qu’on estime que les frottements mécaniques et les accessoires électriques prennent chacun 20% de l’énergie, les rendements à la roue sont respectivement de 21,6% et de 25,2%. Le besoin à la roue pour une voiture essence se monte donc à 157 Wh/km et pour une voiture diesel à 148 Wh/km.
Comme on estime que le rendement des voitures électriques est 3,25 fois celui des voitures thermiques, on obtient en moyenne un rendement de 75% et les besoins électriques à la batterie sont égaux aux besoins à la roue des voitures thermiques divisé par 0,75.
Finalement les besoins à la roue se montent pour le parc des voitures à essence en supposant un parcours annuel moyen de 15.000 km à 2,36 MWh/voiture/an ou 6,95 TWh/an. Pour les voitures diesel avec un parcours moyen de 22.000 km/an, on obtient 3,26 MWh/voiture/an ou 8,53 TWh/an. Si on additionne 1.000.000 de voitures utilitaires au diesel, on obtient 11,79 TWh/an.
Le total des besoins se montent donc à 18,74 TWh/an (voir aussi et )et les besoins électriques à la batterie à 25 TWh/an. Cela représente 0,26 de la production totale d’électricité ou 0,52 de la production nucléaire ou encore 1,05 de la production des centrales au gaz.
Si cette demande devait être satisfaite à partir des CN, il faudrait ajouter 3,12 GW qui émettraient 0,3 MtCO₂. La puissance nucléaire se monterait à 9,1 GW, produisant 72,9 TWh et émettant 0,87 MtCO₂.
Si la demande devait être satisfaite par les CG, il faudrait ajouter 7,81 GW qui émettraient 12,3 MtCO₂. La puissance des centrales au gaz serait de 15,25 GW, produisant 49 TWh et émettant 24 MtCO₂.
Conclusion :
Si on veut éviter la construction de CG additionnelles pour suppléer au manque de production énergétique, développer la mobilité électrique, et sauver le climat, la solution la mieux adaptée est donc bien le maintien en activité des 7 centrales nucléaires et la construction sans délai de SMR (Small Modular Reactors [6]).
[1] Fédération Belge des Entreprises Électriques et Gazières https://www.febeg.be/fr/statistiques-electricite
[2] Kunsch pierre, 2021. Sécurité d’approvisionnement en électricité et émissions de CO2 après la sortie du nucléaire
https://app.electricitymaps.com/zone/BE
[3] Savoie françois, 2021. Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA).
[4] Poncelet Jean-Pol, 2021. L’exigence du tout électrique face à la rigueur scientifique des chiffres. L’Écho 1-07-2021. Erreur typographique en page 2 : lire 6 millions et pas 1 million
[5] Marlot Jacques, 2021. Pression sur le calendrier de sortie du nucléaire. Échange de courriel, 7-8-2021
[6] Ingersoll Danile, Carelli Mario (eds), 2020. Handbook of Small Modular Nuclear reactors. Elsevier.
(*)https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Berger
Image par mohamed_hassan de Pixabay
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