Dans un contexte électoral propice aux surenchères, le Président-candidat putatif n’a pas passé son tour, annonçant à Belfort (haut lieu symbolique) un programme, qualifié d’ambitieux par les observateurs du domaine, dans lequel chaque phalange électrogène (ou presque) a reçu son lot de promesses (1), aux lourds détriments d’une complétude et d’une cohérence globales.
Actualité
L’analyse qui suit, bâtie en aval immédiat des annonces présidentielles, augure du nécessaire appui d’une flotte renouvelable intermittente, en forte expansion, sur des unités pilotables CCgaz à bâtir parallèlement, compte tenu des délais de mise en œuvre du nouveau nucléaire, un point totalement escamoté dans les déclarations belfortaines.
La lecture du propos, alors qu’on est à l’acmé de la crise ukrainienne, qui provoquera la fermeture des robinets de gaz russe, la principale source européenne, peut paraître antinomique. Une autre lecture est pourtant possible, si on se projette en avant de quelques années, le temps nécessaire pour mettre en lice ces CCgaz (5 ans en ordre de grandeur, auxquels il faut rajouter les délais procéduraux), un futur où l’Europe aura réorienté ses approvisionnements gaziers et crée les nouvelles infrastructures correspondantes.
L’histoire enseigne en effet, qu’au pied du mur, les sociétés deviennent ingénieuses et volontaires ; ainsi le programme nucléaire national, est-il né des crises pétrolières, augurées durables, à juste titre.
Quant à la France, relativement peu dépendante du gaz russe (17%), contrairement à beaucoup de ses voisins, elle devrait réussir une mutation qui paraît à portée.
Mieux que la fresque de Dufy : la fée électricité « décarbonée » !
Pour résoudre l’équation complexe empilant les contraintes, apparemment contradictoires, de la lutte contre le changement climatique et de la réindustrialisation dynamique du pays, l’électricité décarbonée est présentée comme le vecteur idoine et en effet il possède atouts et atours.
Au-delà de ses bastions traditionnels, dont on peut optimiser la consommation, une électricité produite à moindre dommage pour le climat, peut à profit se substituer à des usages recourant traditionnellement aux combustibles fossiles, dans les process de fabrication, la mobilité, les usages domestiques, et satisfaire les besoins nouveaux crées par la relance globale du secteur industriel.
Pour cela, il faudra donc pouvoir disposer de davantage d’électrons aux conditions de coûts, de continuité et de qualité requises, un vrai challenge au regard des difficultés actuelles du secteur.
Le vrai lauréat n’est pas nommé
Qu’ait été oubliée la dimension électro-gazière, dans le propos présidentiel n’a pas ému les majors du secteur, qui peuvent attendre avec sérénité que le maillon manquant s’insère naturellement dans la chaîne, d’autant qu’ils détiennent en partie des déterminants de la situation.
Très avisés, ces géants gaziers sont « en même temps » des acteurs importants du secteur des énergies renouvelables électriques intermittentes, très bien servies, elles, par la distribution belfortaine , car le gaz, déjà vital dans le mix électrique national, est le meilleur ami de cette intermittence ; il se trouve donc en embuscade, attendant des lendemains prospères.
Le déploiement incoercible de l’intermittence
Annoncé à la peine par ses acteurs industriels et financiers, déjà bénéficiaires de belles opportunités pour la rémunération de leurs investissements, mais qui arguent que la France « serait toujours très en retard par rapport à ses voisins », le déploiement des énergies renouvelables électriques en France, a pourtant été très dynamique en 2021 (2).
Sous forte pression de l’Etat, qui s’en tient toujours aux objectifs affichés dans la PPE, encore rehaussés par les propos du Président, il est même probable que cette allure s’accélère dans les années qui viennent.
Sur le terrain, les oppositions, de plus en plus structurées et déterminées aux panneaux et moulins, se heurtent pourtant aux facilités administratives et juridiques offertes aux promoteurs, contre lesquelles les recours sont de plus en plus difficiles, la loi et la règle ayant sensiblement évolués pour aplanir le terrain.
S’ensuivent, au pire, des retards de construction, rarement des échecs, et compte tenu du nombre de projets en lice, on constate la création, à cadence soutenue, de nouvelles installations.
Bâtir des éoliennes (on shore), déployer des champs PV et les mettre en service est assez rapide (il s’agit pour l’essentiel d’assembler des éléments préfabriqués, le plus souvent venant d’ailleurs….), aussi, l’accroissement continu de la puissance électrique installée renouvelable intermittente est-elle une réalité.
Des ambitions renouvelables dignes de la grenouille de la fable
Comme leurs partisans le claironnent, ces nouvelles ressources électriques éoliennes et solaires pourraient assurer, à elles-seules, les besoins supplémentaires d’une réindustrialisation dynamique bas carbone et les transferts intermodaux.
Mais, dans l’hypothèse d’un accroissement global des besoins en électricité, et sachant que dans certaines circonstances, régulièrement rencontrées, les moyens intermittents peuvent faire totalement défaut (des exemples récents ont à nouveau battu en brèche la notion de « foisonnement » des sources renouvelables), il faudra donc augmenter parallèlement les capacités (et sans doute la souplesse) des backups.
Ceux-ci, bien mal nommés (car assurant, entre autres, la production de base et la stabilité du réseau) et commis d’office à l’ouvrage sans rémunération spécifique, sont actuellement, l’hydraulique, le gaz et le nucléaire. Pour mémoire, voir en référence (3) les contributions éoliennes et solaires PV en 2021, et encore cette production a-t-elle été fatale, c’est-à-dire totalement décorrélée des besoins électriques du moment, et il en sera de même pour les nouveaux moyens intermittents raccordés.
Mais en regard de cette contribution modique et erratique, malgré 9000 mats déjà dressés et 10 000 ha déjà couverts, les perturbations créées au fonctionnement du système électrique sont majeures et pour que l’utilisateur, en bout de ligne, ne se rende compte de rien (si ce n’est de l’évolution de sa facture et de ses impôts), les moyens pilotables font en permanence les pieds au mur, et en conséquence des annonces présidentielles, ils vont devoir se surpasser.
Un trou dans la séquence
Au niveau des moyens pilotables, l’hydraulique a atteint son développement maximal depuis longtemps, et le nucléaire semble durablement à la peine (un retour à la pleine performance prendra certainement beaucoup de temps et les nouveaux réacteurs EPR 2 n’apporteront leurs électrons que dans une douzaine d’années au mieux) ; reste donc le gaz qui devrait, dans l’intervalle, voir s’ouvrir un boulevard devant lui.
On sait, en effet, bâtir assez rapidement (cinq ans hors procédures) des CCgaz et dans l’hypothèse (actuellement très malmenée !!) où on pourrait disposer de suffisamment de gaz naturel (sources et raccordements), cette solution s’imposerait alors, d’elle-même.
Certes la combustion du gaz naturel émet beaucoup de CO2, mais d’ores et déjà, il est considéré « vert » dans la taxonomie de l’UE, avant de pouvoir le devenir vraiment (au moins en théorie) sous forme de gaz renouvelable (même si ce dernier objectif est « durablement » hors de portée, tant l’inadéquation possibilités / besoins apparaît grande).
Hors le gaz, resté implicite pour les raisons dites, le Président a assorti ses annonces nucléaires d’imposants projets renouvelables (éolien on shore, mais surtout offshore et solaire PV). Mais ce surdosage affiché pour apparaître « écologiquement correct » est-il techniquement et économiquement viable ? Et certains objectifs ne s’excluent-ils pas mutuellement ? Trop de solutions convoquées n’en font pas une !
Une impasse économique
Comme dit, ces imposantes flottes renouvelables devront être épaulées par des moyens pilotables hautement capitalistiques (nucléaire, CCgaz) mais qui fonctionneront dans des conditions de moins en moins aptes à assurer leur rentabilité propre.
Dans un système qui donnera toujours la priorité aux sources renouvelables pour l’accès au réseau, les moyens pilotables devraient en effet être moins sollicités en volume, et dans des situations de plus en plus éprouvantes (amplitude et dynamique) pour les matériels.
Mais si on ne veut pas se reposer totalement sur des importations (rendues moins fiables par l’ajustement des flottes et les risques de modes communs météorologiques), afin de pallier l’inadéquation de notre appareil de production, il faudra « muscler » sensiblement sa dimension pilotable.
Un surinvestissement capacitaire en moyens renouvelables, tel qu’envisagé par les annonces présidentielles, outils qu’on maintiendra néanmoins en état de fonctionnement, est parfaitement déraisonnable, ces sommes pouvant être, à grand profit, employées à cette relance de l’industrie que chacun appelle de ses vœux.
Nos voisins Allemands connaissent déjà (et apparemment vont connaître encore davantage, en application de leur accord de coalition gouvernementale), cette configuration de suréquipement en moyens éoliens et solaires, et donc ses inconvénients, mais leur économie dynamique (qui n’a donc nul besoin de relance) peut l’accepter, l’exportation des éoliennes étant d’ailleurs un de ses fleurons.
Dans de telles configurations, il est difficilement imaginable qu’un nouveau dispositif de rémunération des investissements pilotables ne soit pas mis en place (où l’on valoriserait des kW garantis et pas seulement des kWh produits), le tout aux frais des consommateurs, toujours payeurs en dernier recours, et l’addition pourrait être lourde.
De quoi donner raison au candidat écologiste à l’élection présidentielle qui affirme dans sa campagne que le nouveau nucléaire est « deux fois plus cher » que les renouvelables, il suffit pour cela de créer des doublons et ainsi de sous-utiliser les moyens les plus capitalistiques.
Pour plagier un vieux slogan qui vantait la modernité : c’est simple comme un coup médiatique présidentiel !
(1) Annonces présidentielles objectif 2050 :
25 GW nucléaires (EPR + SMR) supplémentaires
50 parcs éoliens en mer
100 GW solaire PV (x 10 / existant)
(2) Puissance installée supplémentaire (chiffres AFP 2021)
Eolien : 1200 MW /18700 MW soit +6,5%
Solaire : 2700 MW/13000 MW soit +20%
(3) Etat des lieux (chiffres RTE 2021)
Eolien :
Puissance installée 18 500 MW (l’équivalent de 20 réacteurs nucléaires)
Couverture moyenne des besoins : 7,6%
Intermittence : maxi 14500 MW, mini 45 MW
Solaire :
Puissance installée : 12 500 MW (l’équivalent de 14 réacteurs nucléaires)
Couverture moyenne des besoins : 3%
Intermittence diurne ; maxi 8900 MW, mini 1300 MW
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