Vive le transport aérien … réponse à Jean-Marc Jancovici
Dans une interview donnée à France Inter le mardi 30 mai 2023, Jean-Marc Jancovici proposait de limiter les trajets en avion à 4 vols par personne au cours de la vie, considérant que le transport aérien disparaîtra avec le pétrole et suggérant « d’instaurer un système où lorsque l’on est jeune, on a deux vols pour découvrir le monde et quand on est vieux, on part en vacances en Corrèze en train ». Objectif : sauver la planète. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions : l’état du monde et les problématiques écologiques actuelles n’autorisent pas à proférer des sornettes eschatologiques et à priver l’avenir de la croissance économique et technologique qui a tant bénéficié aux Hommes jusqu’à présent.
Sans pétrole, pas de vols commerciaux…
Ces propos furent tenu 20 ans exactement après le dernier vol du Concorde d’Air France, qui atterrit le 30 mai 2003 sur le tarmac de Roissy-Charles-de-Gaulle, en provenance de l’aéroport JFK de New-York. Concorde fut et restera le symbole d’une ingénierie de l’excellence, fruit d’une admirable coopération franco-britannique. Concorde était, à son époque, l’aboutissement de plus de 70 ans de développement technologique, depuis le premier vol motorisé des frères Wright en 1903 en passant par le premier vol supersonique en 47. Depuis, d’autres sauts technologiques ont eu lieu, au rang desquels on peut citer l’avion sans pilote.
Dans cette histoire technologique de l’aviation, le pétrole tient une place majeure. Les premiers moteurs d’avion étaient à pistons : celui qui permit le vol des frères Wright était un moteur d’automobile 4 cylindres à essence de 12 ch, modifié par le mécanicien Charlie Taylor. S’imposa rapidement ensuite le moteur rotatif 5 cylindres Gnome des frères Seguin. Puis le développement technologique permit d’améliorer puissance et performance des moteurs d’avion. Des aéronefs furent même équipés de moteurs Diesel, dont le premier spécimen, Clerget 9A, fut conçu en 1929. Alors que la première guerre mondiale avait été un accélérateur du développement de l’avion « à hélice », la seconde guerre mondiale fut un tremplin pour les moteurs à réaction : le Messerschmitt Me 262, construit en Allemagne nazie dans les années 40, fut le premier avion de chasse(1) à réaction. Les moteurs à réaction utilisent du kérosène, un mélange d’hydrocarbures dont le principal avantage est son pouvoir calorifique et sa capacité à améliorer le rapport poids/puissance de l’appareil.
Ainsi, effectivement, sans pétrole, pas de vol. Du moins dans l’état actuel de la technologie.
Sans vols commerciaux, pas de carburants innovants….
Pendant la majeure partie de l’Histoire de l’Humanité, la force motrice était produite par l’être humain ou l’animal, ou encore par l’exploitation de l’énergie des cours d’eau ou des vents. Tout récemment, au 19ème siècle, apparurent la machine à vapeur, le moteur électrique, le moteur à combustion, qui ne cessèrent d’être perfectionnés jusqu’à nos jours, dans une logique de développements progressifs répondant à des besoins socio-économiques émergents. Voilà donc, selon nous, où monsieur Jancovici se trompe : prendre l’avion, selon lui, pose problème compte-tenu de la raréfaction du pétrole et de l’impérieuse nécessité de limiter la quantité de CO2 produite par une personne au cours de sa vie. Son raisonnement souffre d’un biais : celui d’envisager la résolution des problèmes de demain avec les idées et solutions technologiques d’aujourd’hui, dans une sorte de vision biblique d’un monde immuable.
Concernant le pétrole, l’idée qu’il se raréfie dangereusement est une idée reçue. Les réserves d’hydrocarbures sont loin d’être épuisées : elles permettent d’envisager environ 50 ans de production de pétrole et de gaz au même rythme qu’aujourd’hui. Cela sans compter les hydrocarbures non conventionnels comme le gaz de schiste. Par ailleurs, ces réserves ne constituent que la fraction actuellement récupérable des ressources totales(2), lesquelles pourront probablement être exploitées dans le futur pour peu que l’Humanité fasse les efforts prospectifs, économiques et technologiques nécessaires à leur récupération. Par conséquent, nous avons devant nous des décennies pour continuer à alimenter les avions en essence et kérosène.
Ces décennies pourront être employées à la mise au point pour l’aviation de nouveaux vecteurs d’énergie non issus du pétrole: carburant synthétique, biocarburant, hydrogène, solaire….Ces développements nécessiteront des investissements lourds, et seront, à n’en pas douter, tirés par l’économie du transport aérien et peut-être même du tourisme spatial. Les constructeurs aéronautiques et spatiaux seront des acteurs incontournables dans le processus de financement et de pilotage de ces développements. Ce n’est pas en handicapant la filière du transport aérien par l’instauration idéologique de quota de vols que ces investissements verront le jour. Nous avons vu, en France, ce que des années de sous-investissement et de perte de compétences ont fait de notre filière nucléaire.
Pour de grands programmes technologiques aéronautiques et spatiaux
Partout dans le monde, des esprits visionnaires travaillent au développement de nouvelles technologies qui serviront de solutions aux problèmes de nos descendants et contribueront à répondre à leurs aspirations, y compris leur volonté de dépasser les frontières et d’atteindre de nouveaux horizons. Le Space Act, signé par Barack Obama en 2015, permet ainsi aux citoyens américains d’entreprendre l’exploration et l’exploitation commerciale des ressources spatiales, en particulier minières, ce qui n’est pas anodin : les gros astéroïdes contiennent l’équivalent de millions d’années de notre production mondiale annuelle de métaux. Casser les filières commerciales aéronautiques et spatiales, c’est aller dans le sens inverse de l’Histoire : l’avenir de l’Homme passera par la levée des barrières à l’exploration et l’exploitation du monde, y compris spatial.
Les propos de J.M. Jancovici n’ont finalement qu’un seul mérite, celui de montrer les forces qui entravent la marche de l’Humanité, et auxquelles il faut opposer une vision optimiste et ambitieuse: 120 ans après le premier vol motorisé des frères Wright, 20 ans après le dernier vol de notre Concorde national, il est temps de remiser les idéologies décroissantes au placard et de penser et soutenir de grands programmes technologiques , dans les transports, l’énergie et l’industrie, qui rendront demain nos enfants admiratifs et fiers de leurs aïeux, comme nous le sommes aujourd’hui à l’égard des pionniers de l’aviation du siècle dernier.
Illustration : By Matt Kieffer from London, United Kingdom – Aeroscopia Airbus Museum, Toulouse, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=72073154
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Avion_de_chasse
(2) Pour comprendre la distinction entre réserves et ressources : https://www.geosoc.fr/133-ressources-energetiques/735-quelles-sont-les-differences-entre-reserves-et-ressources-en-hydrocarbures.html
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Non Monsieur Point, nous n’avons pas devant nous 50 ans de consommation de pétrole et de gaz au rythme de consommation actuel. Le prétendre est typique de ceux qui ne connaissent pas ce sujet, et qui n’ont d’ailleurs pas envie de le connaître, car ils s’en servent comme paramètre d’ajustement !
Ce n’est d’ailleurs pas le volume des éserves qui pose problème dans l’immédiat, mais la vitesse à laquelle on pourra les produire. A cet égard, les possibilités de production du pétrole sont déjà en voie de diminution, et celle de gaz, y compris de gaz de schistes, le seront dans 15 ans.
Compte-tenu de la lenteur des mutations industrielles, il faut en tenir compte immédiatement dans nos prospectives.
Merci monsieur pour votre réaction. Les réserves d’hydrocarbures étant estimées (et déclarées…), le facteur d’incertitude est important. En ordre de grandeur néanmoins, il resterait plus de 1500 milliards de barils de pétrole dans les réserves prouvées, réparties dans près de 30 000 gisements. Si l’on se permet de mettre dans l’équation les réserves probables et possibles, les hydrocarbures non conventionnels, le potentiel- encore à explorer- de certains territoires comme les grandes profondeurs océaniques ou l’Arctique, et l’amélioration et la généralisation des techniques de récupération assistée (pour passer de 35% de taux de récupération à 50% ou 60% par exemple), alors il est possible d’imaginer une valeur plus élevée, jusqu’à 3000 milliards de barils selon certaines sources.
L’humanité consomme 100 millions de barils/jour. A ce rythme, nous disposons donc bien de plusieurs décennies devant nous. Il paraît donc prématuré de parler de la fin du pétrole et du transport aérien. Ce temps doit être mis à profit, pas pour casser notre économie, mais pour la modifier en basculant progressivement, rationnellement, et calmement vers des vecteurs d’énergie non issus des hydrocarbures. Pour cela, je suis d’accord avec vous, il faut lancer de grands programmes scientifiques, technologiques et industriels, dès maintenant.
Sébastien Point