Contribution à la tribune de Raymond Piccoli
L’initiative prise par EUROPEAN SCIENTIST visant à réaliser « un tour d’Europe » du financement de la recherche est opportune. Elle peut contribuer à mieux connaître les problématiques de recherche et, là où elles existent (!) les politiques mises en œuvre pour y répondre.
La publication scientifique n’est pas une fin en soi. Elle ne saurait être confondue avec une démarche « de publicité », encore moins « de publicité comparative », dans un contexte de concurrence. « Le contenu » est censé contribuer, pour les recherches cognitives ou fondamentales, au progrès des connaissances, et à l’amélioration de la condition humaine, fondée sur la recherche dite appliquée.
Si Raymond Piccoli dénonce des pratiques de fraude scientifique, tels que le plagiat ou les manipulations de données, les exigences premières qui fondent une science honnête, efficace, productive, inventive, dont il parle plus loin ne sont pas clairement affirmées.
L’apparition de « la bulle de la publication scientifique » et ses effets délétères inquiétants, ne constituent que des scories du système actuel. Il incite à l’explosion du nombre des publications scientifiques qui apparaissent comme le seul instrument d’évaluation des chercheurs.
C’est le trépied bancal « financement, publication, et évaluation du chercheur » qu’il faut, dans son ensemble, analyser, afin d’agir principalement et urgemment sur une méthodologie de l’évaluation.
La réflexion que nous avons engagée, Cédric Villani, Claudie Haigneré, Laurent de gosse, Jean-Pierre Alix, Pierre Corvol et quelques autres sur l’intégrité scientifique depuis une dizaine d’années, est partie des constats suivants :
- La recherche est le principal moteur du progrès
- « L’opinion » espère dans la recherche mais se méfie des chercheurs.
- Elle a besoin de certitudes et n’admet ni l’hésitation ni le doute.
- Les atteintes à l’intégrité scientifique, auxquelles les médias s’intéressent désormais, risquent de saper la confiance dans la recherche qui, en outre, devient un champ privilégié des Fake news.
L’accélération du progrès dans des domaines innovants et inattendus, l’explosion du coût des investissements matériels et immatériels indispensables, ont été à l’origine des révolutions majeures de la recherche française dont parle Raymond Piccoli ,et que la France n’a pas été la seule à instaurer.
Le concept de « taille critique » et « la définition des objectifs scientifiques » sont des nécessités incontournables. La taille critique n’impose pas « une logique de concentration » mais « une logique de coopération et de mutualisation ». La nécessaire détermination de priorités, sauf à prendre le risque d’un « saupoudrage » des moyens financiers, suppose que les choix soient objectifs et transparents, pour tout dire démocratiques.
Créé par la loi du 8 juillet 1983, l’OPECST, Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, a pour mission d’informer le parlement et à travers lui l’opinion publique des conséquences des choix intervenus, en est un exemple.
L’élaboration du premier « Plan cancer » en 2003 et de ceux qui ont suivi a montré l’intérêt, et les limites, d’une définition claire d’objectifs ciblés et de la mise en œuvre cohérente des moyens nécessaires pour les atteindre, avec la participation des chercheurs, des soignants et de « la société civile » à travers les associations.
Les enjeux de la recherche ne se situent plus au seul niveau national et européen. Les appels d’offres –ou mieux– les appels à projet, ne peuvent être « opérationnels » qu’au niveau international, au moins européen, une complémentarité entre appels nationaux et européens ne faisant apparaître aucune valeur ajoutée.
Ce qui désastreux, et dénoncé à juste titre par Raymond Piccoli, c’est la lourdeur, la lenteur, la complexité et le « pinaillage » des procédures administratives qui découragent et stérilisent les chercheurs, au seul bénéfice de certaines officines bruxelloises.
Ces considérations ne sont pas « hors sujet ». Elles sont destinées à positionner « la bulle de la publication scientifique » dans l’écosystème de la recherche scientifique. La référence première doit être le statut du chercheur, dont les principes de base sont définis par la Recommandation concernant la science et les chercheurs scientifiques de l’Unesco en 1974, par la Charte européenne du chercheur, plus récemment en France, la Charte nationale d’intégrité scientifique.
« Le cœur de la mécanique » selon l’expression de Raymond Piccoli, n’est pas à trouver dans la relation financement–publication, mais dans l’évaluation de la recherche et du chercheur. Ce qui est pervers et désastreux, c’est, comme il l’écrit : « Est désormais considéré comme bon chercheur, celui ou celle qui publie, publie et publie encore » et, plus loin : « Je ne m’étonnerai jamais assez devant ce spectacle époustouflant : les critères d’évaluation actuelle sont inverses de ceux d’une science honnête efficace productive inventive » » C’est un réel problème car il n’y a pas de quantification possible de la qualité »
Ce problème est si ardu et l’absence de réponse est si angoissante, face à la montée de la fraude scientifique qu’on préfère le déni ou le faire-semblant.
Si, répondant à l’initiative de European Scientist « les décideurs et les scientifiques » pouvaient se mettre d’accord pour définir des critères d’évaluation qualitatifs, la communauté scientifique devrait leur en être infiniment reconnaissante. Pour le moment, outre l’application du critère de reproductivité, on doit prévenir, dépister, alerter, sanctionner.
La formation des jeunes chercheurs, le respect de la charte et de la déontologie de la recherche, éventuellement la prestation de serment comme certains l’ont d’ores et déjà mis en pratique, positionne la mission du chercheur bien au-dessus des préoccupations mercantiles.
La voie de la recherche participative ou la science contributive a sans doute ses limites. Mais elle est bâtie sur des valeurs bien éloignées du mercantilisme ne serait-ce que pour cette raison, elle mérite d’être explorée
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