Elections européennes 2019 : la science en question
Dans le cadre des élections européennes European Scientist vous propose un tour d’horizon des experts de différents pays sur différents sujets concernant la science et la politique scientifique en Europe, afin de prodiguer un état des lieux et une analyse, utile pour la prochaine commission.
The European Scientist : Où en sont les NBT en Europe ? Y-a-t-il une particularité européenne ?
Les « nouvelles biotechnologies », appelées « gene editing » ou réécriture de génome, les plus performantes sont celles décrites sous le sigle CRISPR, souvent suivi de CAS9 – qui est en fait l’enzyme (les ciseaux moléculaires) le plus souvent utilisé. Les différentes méthodes de « gene editing » ont en commun de couper en un endroit choisi l’ADN cible par ces ciseaux moléculaires. L’ADN sera ensuite « réparé » par la cellule (un phénomène habituel ), mais il peut se produire une réparation non identique à l’origine, c’est-à-dire une mutation. Cette mutation accroit la diversité des gènes et peut entrainer une propriété nouvelle pour le gène muté. L’intérêt du système CRISPR/CAS9 est que les ciseaux sont « guidés » à un endroit bien précis sur les chromosomes un ARN qui peut « s’apparier » à l’ADN ciblé, si sa « séquence » (la succession des 4 lettres de l’alphabet de la vie) est complémentaire à la séquence de l’ADN que l’on souhaite muter. Il suffit donc de bien choisir un ARN qui sera introduit dans les cellules avec lesdits ciseaux.
L’invention a eu lieu aux Etats-Unis, puis beaucoup de laboratoires dans le monde ont appris la technologie qui est en train de devenir un outil aussi prisé que la transgénèse désormais qualifiée de « classique ». Là où la situation est bien plus alarmante pour l’Europe, c’est sous l’angle de la propriété intellectuelle.
Dans une publication à paraître, nous avons examiné tous les brevets décrivant des inventions impliquant un système CRISPR (CAS 9 ou autres « ciseaux moléculaires »). Ce paysage mondial des brevets CRISPR montre que la technologie, en constante amélioration, permet une diversité d’applications potentielles (médicales, industrielles, agricoles). Les acteurs sont aussi bien publics que privés. Les laboratoires américains restent les chefs de file en matière d’améliorations techniques et dans le secteur des applications médicales. Cependant, la Chine est maintenant en tête dans les secteurs industriels et agricoles (végétales et animales) et dans le nombre total de brevets par an.
Nous avons ainsi pu montrer qu’un nouvel équilibre des forces géopolitiques est apparu dans ce crucial domaine biotechnologique. Cela peut s’expliquer par les investissements massifs dans la biotechnologie en Chine. Chose frappante, dans tous les secteurs, le nombre de brevets CRISPR provenant d’Europe est très inférieur à ceux des États-Unis et de la Chine. Nous suggérons que la faible position de l’Europe est due à la querelle, jamais maitrisée, sur les OGM sur ce continent, et aussi à une réticence «culturelle » à déposer des brevets. Cette tendance s’observe également pour les brevets liés aux aspects sanitaires (qui n’est pourtant pas un domaine biotechnologique controversé comme l’agriculture).
ES : Récemment la CJUE a voulu légiférer pour réglementer les NBT et les faire dépendre de la même législation que les OGM. Qu’en pensez-vous ?
La CJUE a dit sa lecture de la Directive européenne sur les OGM. Celle-ci définit juridiquement ce qu’est une modification génétique, ce qui n’en est pas une, et ce qui en est une tout en étant exemptée de ladite réglementation… C’est absurde d’un point de vue scientifique, et l’absurdité est apparu au grand jour lorsqu’il a fallu examiner le cas de ces nouvelles biotechs. Les juristes n’étaient pas tous d’accord, mais ce fut la lecture de la CJUE que de les classer comme « OGM », à mon avis en cohérence avec le principe de précaution, quitte à apparaitre encore plus absurde d’un point de vue technique. En effet, une mutation par une méthode plus ancienne ne sera pas classée « OGM », alors que la même mutation obtenue par les nouvelles biotechs le sera.
Le principe de précaution est donc bien un outil de destruction massive de l’innovation, car les contraintes qu’il impose (de manière discriminatoire entre nouvelles et anciennes technologies) rend ces innovations non viables économiquement, sans pour autant fournir de bénéfice pour la santé ou l’environnement, car la vision des risques qu’il porte est un pur produit idéologique !
ES : Que devrait faire la prochaine commission pour encourager ce secteur ? Quelles sont vos recommandations ?
Je pense que la nouvelle Commission, à moins d’être particulièrement obtuse, se rendra compte du suicide technologique et économique en cours. Il devrait aussi lui apparaitre, dans bien des domaines, que les « Empires » comme la Chine et les Etats-Unis ont défini une stratégie de puissance, ce que n’a pas fait l’Europe. Le risque de vassalisation est donc bien réel.
Problèmes : peut-on définir une politique de puissance à 28 (ou 27) Etats-membres ? Cette Europe basée sur une vision de paix universelle peut-elle se convaincre que nous sommes dans une guerre économique ? Cette Europe peut-elle ramener l’idéologie précautionniste, devenu pensée unique, à plus de raison ?
Pour revenir aux biotechs, un toilettage de la Directive ne suffira pas. Il faut abandonner la base même de son principe basé sur la méthode d’obtention d’un produit, et se concentrer sur les propriétés du produit final (quelle que soit la méthode d’obtention).
Les autres interviews de cette série sont :
Questions à Françoise Grossetête, députée européenne
Interview de Marcel Kuntz : quel avenir pour les NBT en Europe ?
Interview avec Samuele Furfari : élections européennes
Interview de David Lacombled : le challenge de la transformation numérique
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