Pour satisfaire les objectifs du Green Deal, la France devra réduire ses émissions de 158 MtCO2eq d’ici la fin de la décennie. Comment y arriver, à quel coût économique et à quel prix sociétal ? Tel est l’objectif du rapport de France-Stratégies signé par les économistes J. Pisani-Ferry et S. Mahfouz et remis à la Première Ministre Elisabeth Borne ce mardi 23 mai 2023.
Compte tenu du laps de temps très court (7 petites années seulement jusqu’en 2030), la France ne pourra compter sur le « nouveau nucléaire » (EPR de troisième génération) qui ne sera massivement opérationnel qu’après 2040. La hausse de la consommation d’électricité reposera pour l’essentiel sur un accroissement des énergies renouvelables (solaire, éolien on et off-shore) avec si nécessaire un accompagnement du gaz. Un point d’importance mettant en lumière l’impréparation de la transition énergétique française.
L’effort cout/moyen terme ne passera donc pas par une évolution marquée du mix énergétique par ailleurs déjà largement décarboné (sa dépendance aux énergies fossiles est aujourd’hui inférieure à 50%) mais par la décarbonation des usages en utilisant des technologies existantes. Sa mise en œuvre accélérée repose sur deux leviers classiques :
- le remplacement d’équipements thermiques (voitures thermiques, chaudières au fioul/gaz) par des équipements électriques (voiture électriques, pompes à chaleur),
- la réduction de la consommation d’énergie via la technologie (isolation thermique, fret ferroviaire, télétravail) et la sobriété des comportements (sobriété thermique dans l’habitat, transports en commun, mobilité active -vélo-, remplissage des voitures, tourisme local, circuits courts).
Chaque secteur devra fournir une partie de l’effort. Les transports, l’habitat et l’industrie seront sans surprise les principaux leviers de décarbonation représentant à eux seuls 80% de l’effort de décarbonation contre 10% pour l’énergie et 9% pour l’agriculture. Si le coût du projet est stratosphérique (66 milliards d’euros par an soit environ 2,2% du PIB), c’est surtout la clé de répartition entre les différents secteurs qui semble totalement disproportionnée.
Alors que le poids financier donné aux transports (qui est pourtant le secteur le plus émetteur) est très faible, celui affecté à l’habitat est en revanche totalement démesuré. En conséquence, le coût de la décarbonation (en € par tonne et par an) dans l’habitat est 17,5 fois plus élevé que dans les transports. Ce résultat est clairement lié à des choix sous-jacents plus que discutables.
Ainsi, le rapport suppose que le surcoût de remplacement des voitures thermiques par des voitures électriques (qui pourrait atteindre 20 milliards par an) sera en grande partie compensé par une forte réduction de la mobilité. Il faut donc lire en filigrane des 3 milliards d’euros affectés au transport une réduction significative de l’usage de la voiture individuelle.
En ce qui concerne l’habitat, les 48 milliards d’euros (soit 73% du budget global) sont ventilés entre 21 milliards dans le résidentiel et 27 milliards dans le tertiaire. Cette dernière valeur (soit 270 milliards sur dix ans) est en parfait accord avec les travaux de l’Institut Sapiens (1) qui avait estimé le coût global d’une rénovation très avancée (tous les bâtiments en catégories A/B/C) du tertiaire à 285 milliards d’euros.
Dans son étude, l’Institut Sapiens avait clairement montré l’aberration économique de passer l’ensemble de l’habitat en catégories supérieure A/B/C. Cette stratégie extrêmement coûteuse (l’isolation thermique représente 70% du coût contre 30% pour le changement d’équipement) n’apportait qu’une faible plus-value en termes de décarbonation. Ces résultats s’expliquent aisément. La dernière source d’économie (i.e. l’isolation D vers A/B/C) s’appliquant à un parc ayant déjà fortement réduit sa consommation, les sommes considérables investies dans l’isolation finale s’avèrent très peu économiques. Un changement d’équipement associé à une isolation raisonnable en D devrait réduire la facture de l’habitat de l’ordre de 60% et ramener à une trentaine de milliards d’euros annuels le coût de la transition.
Il est donc fortement conseillé à France-Stratégies de revoir sa copie en profondeur avant que la projet soit discuté devant le parlement.
(1) https://www.institutsapiens.fr/wp-content/uploads/2023/05/Quelle-strategie-pour-decarboner-le-tertiaire-.pdf
Image par andreas160578 de Pixabay
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