Alors que les CRS se sont affrontés récemment avec les activistes qui militent contre les bassines de Sainte-Soline et que la polémique enfle, Pierre Pagesse a bien voulu répondre sur ce sujet stratégique pour notre agriculture. Il n’hésite pas à parler d’éco-terrorisme pour qualifier les actions de ceux qui veulent empêcher le projet et explique les raisons pour lesquelles il est essentiel aux agriculteurs qui ne pourront s’en passer.
Agriculteur retraité, Pierre Pagesse a été président du Groupe coopératif Limagrain, 4ème semencier mondial, du MOMA (Mouvement pour une Organisation Mondiale de l’Agriculture) et a exercé également à la tête du GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants). Il est aujourd’hui président du conseil d’administration du Centre d’Etudes, de Formation et d’Action Paysans, association éditrice de la revue française « Paysans », il siégeait au comité d’orientation du HCCA (Haut Conseil de la Coopération Agricole) et à la commission économique du HCCA.
The Europeanscientist : Que pensez-vous de l’épisode des bassines de Sainte Soline ? Parleriez-vous d’éco-terrorisme ?
Pierre Pagesse : C’est effectivement de l’éco-terrorisme. Ce que est pour moi le plus révoltant, c’est la présence de certains élus locaux et nationaux. Force est de constater que la nature n’a jamais été autant menacée par ceux-là mêmes qui prétendent la défendre. L’histoire de la destruction des bassines dans le Sud-Ouest en est le paroxysme alors que ce modèle de stockage ne présente que des avantages validés par une étude du BRGM. C’est aussi un des moyens d’adaptation de notre agriculture et une garantie pour notre sécurité alimentaire si l’on ne veut pas dépendre comme pour l’énergie d’approvisionnement extérieur. L’écologisme qui a paralysé la construction des centrales nucléaires nous oblige aujourd’hui à la remise en service des centrales à charbon y compris en France, centrales à charbon qui pourtant sont émettrices de 140 fois plus de CO2.
TES : Pensez-vous que la période de sécheresse que nous vivons actuellement soit historique ?
PP : Nous venons de vivre une période caniculaire, accompagnée d’un manque de précipitations, qui s’est traduite par une sécheresse dite historique sur l’ensemble de notre territoire. 96 départements se sont retrouvés avec des restrictions administratives pouvant s’échelonner de la vigilance (appel à la responsabilité du citoyen) jusqu’à la crise, c’est-à-dire l’interdiction des prélèvements, notamment pour l’irrigation agricole. Ces restrictions ont également touché le secteur industriel en encadrant l’usage de l’eau. Ce dérèglement climatique n’est pas nouveau, même si le GIEC nous prédit une accélération de sa fréquence, déjà mesurable, due au moins en partie à l’augmentation du CO2 anthropique. Personnellement, je me souviens très bien de la sécheresse de 1976 et mon grand-père évoquait souvent celle de 1949. Quoiqu’il en soit, l’eau et la production agricole sont intimement liées. Nos plantes, consommées par l’homme directement ou indirectement, sont le résultat de la photosynthèse qui associe l’oxygène et le gaz carbonique de l’air aux atomes d’hydrogène de l’eau du sol pour former un sucre simple (C6 H12 O6). Ce sucre, à travers le métabolisme de la plante, est constitutif de ces différents organes et de son rendement. Ainsi le maïs est une plante qui a le moins besoin d’eau au kilo produit.
TES : Comment faire face à ce genre de situation climatique ?
PP : Ce constat nous oblige à réfléchir à une gestion encore plus efficiente de la ressource, qui ne semble pas être remis en cause par les prévisionnistes dans notre pays. Il s’agirait plutôt de la répartition des précipitations qui deviennent erratiques. Chaque année, la France reçoit environ 200 milliards de m3 d’eau de pluie efficace (hors évaporation immédiate) : 80 milliards de m3 ruissellent vers la mer par les rivières et les fleuves, 120 milliards s’infiltrent dans les sols pour rejoindre les nappes phréatiques ou s’évaporent – grâce à la végétation – vers les nuages, eux-mêmes alimentés par les océans pour former de nouvelles pluies.
TES : Il y a beaucoup d’a priori qui circulent sur la consommation de l’eau
PP : Contrairement au vocabulaire largement employé, l’eau ne se consomme pas, elle circule depuis la nuit des temps. C’est aussi vrai pour l’eau d’irrigation qui retourne dans le milieu naturel, principalement par évaporation ou plus exactement par évapotranspiration. Aujourd’hui en France, l’usage de l’eau pour l’irrigation reste très marginal : elle utilise environ 4.7 milliards de m3, soit 2.35% du total des précipitations.
Dès lors, pour éviter les conflits d’usage, soutenir la réindustrialisation de notre pays, assurer notre souveraineté alimentaire, augmenter l’efficience de la captation du CO2, soutenir les étiages et donc la biodiversité, la constitution de nouvelles réserves me paraît indispensable. Celles existantes à travers quelques grands ouvrages ont montré leur efficacité.
Que serait le débit de l’Allier et de la Loire sans les barrages de Naussac et de Villerest? Pour l’Allier à Clermont-Ferrand, le débit naturel aurait été l’équivalent de celui des eaux usées de la ville et de sa banlieue. Quid de son bon état écologique ?
La régulation du débit de la Seine s’effectue grâce à quatre grands bassins de rétention qui servent d’écrêteurs de crues et de soutien d’étiage. Ce sont des aménagements relativement récents. Sans parler de la construction des canaux pour développer le transport fluvial qui sert aussi l’eau agricole.
TES : L’irrigation est un point charnière de toutes les formes d’agricultures. Quelles sont les solutions ?
PP : L’histoire de l’irrigation et de l’agriculture est très ancienne : on retrouve des ouvrages en Mésopotamie datant de 8 000 ans avant Jésus-Christ. Dans notre pays, les premiers grands travaux datent de l’époque romaine. De nombreux exemples pourraient illustrer cette préoccupation majeure des générations qui nous ont précédés.
Sécheresse et inondation sont-elles des fatalités ? Il vous paraît peut-être anachronique que je lie les deux phénomènes. Le bon sens nous dicte que ces nouvelles retenues, là où cela est possible, devraient jouer le rôle d’écrêteurs de crues. Cela éviterait des dégâts importants, tout en alimentant nos fleuves ou rivières en période d’étiage. Cela me semble être aussi en grande partie la solution pour le maintien de la biodiversité.
La prévention contre les inondations plaiderait également pour un entretien des berges de nos rivières, dont les arbres arrachés par les crues constituent parfois de véritables barrages bloquant la circulation de l’eau sous les ponts. Il en est de même pour les embâcles, ces ilots de limons accumulés dans lesquels pousse la végétation et qui entravent l’écoulement de la rivière. Ceci est aussi vrai dans les estuaires qui ne sont plus entretenus, c’est-à-dire dragués.
Je sais par ailleurs que ces travaux doivent être menés avec compétence afin de ne pas abaisser le lit du fleuve et donc sa nappe phréatique en correspondance. Mais aujourd’hui, stockage et entretien de nos cours d’eau se heurtent à un mur d’incompréhension suscité et alimenté par des fondamentalistes dogmatiques, faisant passer leur idéologie verte et sectaire avant la réalité, le bien public et même la science. Ces militants écologistes ont détruit le dialogue, intimidé une classe politique faible et ainsi annihilé toute initiative porteuse d’espérance et d’avenir sur bien des sujets.
TES : Pourquoi ne peut-on se contenter de l’idéologie écologiste ? La stratégie de la gestion de l’eau fait-elle défaut à notre pays ?
PP: Il me semble aussi indispensable d’en finir avec un juridisme devenu incapacitant. Nous avons besoin d’une véritable politique nationale de stockage de l’eau pour pallier le déficit hydrique, quels que soient les utilisateurs, y compris domestiques. Les recommandations de sobriété n’y suffiront pas. Sur le moyen et le long terme, un objectif de 5% de stockage du débit de nos rivières – soit 4 milliards de m3 – serait un aménagement efficace. Soyons prévoyants, entreprenants, afin d’améliorer un futur à l’ensemble de nos concitoyens. Là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin car l’eau c’est la vie !
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