Avec la progression impressionnante des installations de capacités de production électriques dites « renouvelables », mais surtout non pilotables (essentiellement éoliennes et solaires) se pose le problème du stockage, que les installateurs de ces capacités ne semblent pas pressés de concrétiser. Analysons par des exemples simplifiés mais représentatifs les raisons de ce manque d’empressement …
Entre leurre de la décentralisation et concurrence de l’uranium
Nous avons déjà eu l’occasion de voir d’une part que la « décentralisation » évoquée pour justifier l’installation massive de sources d’énergie non pilotables est largement un leurre, et d’autre part que les systèmes de stockage électriques ont de gigantesques progrès à faire pour rivaliser avec un simple bloc de mauvais minerai d’uranium. Qu’en est-il du principe de stockage en lui-même ?
Pour envisager cela de façon simple, imaginons un réseau électrique isolé de tout autre réseau qui consomme en continu 5 GW. Il est alimenté par des moyens de production pilotables qui doivent donc fournir en permanence au moins 5 GW. Disons que ces moyens ont un taux de pannes et de maintenances de 20%. On en déduit qu’il faut installer 6,25 GW de puissance pour assurer la fourniture permanente H 24 – J 365 des 5 GW, qui représentent 120 GWh à produire par jour.
Immédiatement, des esprits chagrins vont dire : « mais vous n’y pensez pas, 6,25 GW, c’est beaucoup trop, cela représente 150 GWh de capacité de production journalière, donc 1,25 GW qui ne seront utilisées que 20% du temps, c’est trop cher, il vaudrait bien mieux disposer d’un stockage … ». Examinons ce point de plus près.
Avec des moyens de production pilotables, l’introduction d’un stockage ne permet pas de diminuer le besoin de puissance installée pour répondre aux besoins …
Pour présenter simplement les choses, imaginons que ces 20% de pannes et maintenances se reproduisent régulièrement tous les jours, sur notre réseau qui consomme 5 GW en permanence … Si nous installons seulement 5 GW de puissance, ils fourniront 5 x 24 x 80%, soit 96 GWh. Il reste donc à fournir à partir du « stockage » 24 GWh par jour. Cela exige une capacité de stockage au moins de 24 GWh. Admettons que ce stockage a un rendement de 100% (1 GWh stocké = 1 GWh restitué) et que son taux de pannes est maintenances est nul. Admettons que le coût de la batterie soit de 80 €/kWh, et qu’elle contienne 200 Wh par kg. 24 GWh correspondent alors à une batterie de 120 000 tonnes coûtant 9,5 Mds €.
D’autre part, avant de « sortir » ces 24 GWh par jour du stockage, il faut bien les lui fournir. Or, le réseau consomme 5 GWh en permanence, et les 5 GWh de puissance installée, avec leur taux de pannes et de maintenance, en fournissent seulement 4 (plus un un fourni par le stockage). Pour remplir le stockage de 24 GWh en un jour, on aura donc besoin de 1 GW de production continue pilotable supplémentaire, soit, compte tenu des pannes et maintenances, 1 / 0,8 = 1,25 GW.
La capacité totale nécessaire du réseau reste bien de 6,25 GW (5 + 1,25) comme au point de départ, auxquels on a rajouté 24 GWh de stockage qui ne permettent en rien de réduire la puissance nécessaire pour alimenter le réseau. Ils sont donc finalement totalement inutiles, n’ayant servi qu’à augmenter le prix de l’installation et son « empreinte carbone ». On note avec intérêt que le coût de la batterie (9,5 Mds €) destinée à assurer la production de 1 000 MW en continu – finalement inutile – est nettement supérieur à celui d’un réacteur nucléaire de Barrakah (1 500 MW pour environs 7 Mds €).
Les mêmes esprits chagrins disent alors « oui, mais avec la saisonnalité, tout change ». En effet, les besoins électriques sont, pour une moyenne de 5 GW sur un vrai réseau, de l’ordre de 2,5 en plein été et de 8,5 en plein hiver, soit une puissance nécessaire minimale de 8,5 GW sans stockage « alors qu’avec un stockage, on pourrait se contenter de 5 GW… ».
L’existence d’une consommation saisonnière n’améliore pas l’« avantage » du stockage massif par rapport à des capacités pilotables supplémentaires
On observe d’abord que les pannes et maintenances des moyens pilotables sont très largement prévisibles, donc programmables. On les « cale » donc pendant les périodes estivales, ce qui ramène la disponibilité des moyens à plus de 90% au lieu de 80% en période de pointe. Soit un besoin de puissance installée de 8,5 / 0,9 = 9,45 GW au lieu de 8,5 / 0.8 = 10,65 GW si on veut répondre au besoin sans rien stocker. La puissance installée nécessaire passe à 9,45 GW dont maintenant 4,45 seront jugés « sous-employés » par certains.
En revanche, les besoins de stockage deviennent énormes : assurer 8,5 GW en permanence en hiver (disons pendant 2 mois) avec une puissance installée de 5 GW disponible à 90% demande un stock d’énergie de : (8,5 – 4,5) x 24 x 60 = 5 760 GWh de stock … La plus grande batterie du monde, en construction représente 900 MWh soit … 6 000 fois moins. En effet, à 200 Wh par kilo, les meilleures batteries actuelles pouvant abriter 5 760 GWh pèsent environ 29 millions de tonnes. Soit la masse de 23 tranches nucléaires de 1 500 MW. A 80 € le kWh, cette batterie de 5 760 GWh coûterait d’ailleurs l’équivalent de 460 Mds € : le prix de 18 EPR (27 GW …) à 25 Mds € l’unité ou de 65 réacteurs de Barrakah (97 GW) à 7 Mds € pièce.
« Le stockage destiné à des sources non pilotables ? »
On voit bien que « ça bloque » quelque part. Est-il raisonnable de dépenser des millions de tonnes de batteries pour « économiser » moins de 5 GW de puissance pilotable installée, qui représentent, même au prix du calamiteux EPR français de Flamanville, moins de 4 tranches, donc moins de 100 Mds € ?
Les mêmes esprits chagrins nous diront enfin : « mais vous êtes hors sujet, le stockage est destiné à des sources non pilotables. Pour en juger vraiment, il faut considérer des sources non pilotables. »
C’est vrai : personne n’a jamais proposé de stocker massivement de l’électricité en disposant de sources de production pilotables. Ce besoin est né avec l’introduction de la première éolienne industrielle, au Danemark en 1890, qui devait déjà … stocker de l’hydrogène !
Avec des sources non pilotables, ce n’est guère plus convaincant : les besoins de puissance installée et de stockage (alors nécessaire) explosent …
Reprenons alors notre exemple de réseau électrique de 5 GW consommés en permanence, mais alimenté cette fois par des sources « non pilotables » et un stockage. Considérons que ces sources non pilotables fonctionnent 50% du temps à 100% et 50% du temps à 0%, de façon aléatoire dans une journée. Prenons un aléa simple. Par exemple, la production est tantôt de 100 % entre 06 h 00 et 18 h 00 et de 0 % le reste du temps. Et tantôt de 100 % entre 00 h 00 et 12 h 00 et 0% le reste du temps. La durée entre deux séquences de fonctionnement 100% peut donc prendre trois valeurs aléatoires : 6 heures, 12 heures et 18 heures. Cela nécessite donc une capacité de stockage de 18 heures que l’on doit pouvoir recharger à 100% dans les 12 heures de fonctionnement suivantes pour assurer la continuité du service (même si deux périodes d’arrêt de 18 heures ne peuvent pas se succéder selon nos hypothèses). 18 heures de fonctionnement demandent donc un stock de 90 GWh, à charger en 12 heures, soit 7,5 GW de puissance …
On a introduit la notion de « stockage » massif dans les réseaux de fourniture d’électricité uniquement pour y intégrer des moyens de production « non pilotables ». Il reste très hypothétique d’obtenir par ces équipements des résultats convaincants
Imaginons que ces sources ont 0% de pannes et maintenances programmées. Assurer le fonctionnement des 5 GW demandés par le réseau nécessitera 5 GW de puissance pendant les 12 heures de fonctionnement, plus les 7,5 GW destinés à charger le stockage, soit en tout 12,5 GW de puissance installée et 90 GWh de stockage … On devra donc installer une batterie de 450 000 tonnes et 35 Mds €, qui à elle seule représente 5 réacteurs nucléaires « équivalents Barrakah », soit 7,5 GW, qui à eux seuls assurent donc plus que la puissance pilotable nécessaire pour faire fonctionner le réseau de 5 GW en continu …
Les moyens pilotables « bas carbone » disponibles : nucléaire aidé par hydraulique, certains biogaz, géothermie, restent très difficiles à concurrencer …
Evidemment, ces exemples sont sommaires et très incomplets. On peut travailler dans tous les sens, avec des tableurs et à grand renfort de « smart grids », d’IA et de R&D sur ces sujets, mais on se rend vite compte que l’augmentation d’aucun paramètre ne joue en faveur des sources « non pilotables ». Le stockage électrique ne sert donc à rien avec des moyens de production pilotables sauf pour des usages très ponctuels, genre smartphone ou batterie d’automobile. Avec des moyens de production non pilotables, tout reste aussi à prouver, tant la pertinence de l’utilisation de sources non pilotables en matière de fourniture d’électricité que le concept même de stockage. On a pris ici le cas des batteries, mais on peut faire le même genre de calculs pour le stockage hydraulique, par hydrogène ou par hydrocarbures de synthèse … On notera au passage que le stockage hydraulique (ou « STEP ») est à ce jour et de loin le système de stockage le plus efficace, bien que très encombrant au sol et très consommateur de génie civil et de matériaux.
On comprend que dans son dernier rapport en date de décembre 2020, l’Agence Internationale de l’Energie conclue que l’énergie nucléaire est somme toute très compétitive en coûts dits « LCOE », sur toute la durée de vie d’une installation (aussi bien pour les réacteurs actuels que les futurs) par rapport aux sources non pilotables munies de systèmes de stockage ou de back-up … Le concept de fourniture électrique assurée par une puissance pilotable installée supérieure à la puissance de crête attendue de la demande restera longtemps encore la clé de voûte des réseaux électriques. Techniquement, les solutions pilotables « bas carbone » se comptent sur les doigts d’une main. Quelques-unes sont limitées en volume : hydraulique, certains biogaz, géothermie … Une seule est de puissance quasi-illimitée à l’échelle humaine : la surgénération nucléaire fission. La France a dans ce domaine des avantages concurrentiels mondiaux incomparables, aujourd’hui en jachère …
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