
Alors que Vendredi, RTE, le réseau de transport d’électricité a invité les Français à ménager leur consommation d’électricité en prévision d’un risque de black-out, l’ingénieur Pierre Tarissi, revient sur quelques principes de la gestion de l’énergie et notamment sur les concepts de centralisation et de décentralisation qui sont fondamentaux.
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Un des argument majeurs des promoteurs des sources d’énergie non pilotables – essentiellement éolienne et solaire – est la « décentralisation » de la production et l’« indépendance » supposées que ces sources apporteraient. Qu’en est-il objectivement ?
Leurs promoteurs présentent les sources d’énergie éolienne et solaire comme « décentralisées », « indépendantes », voire « douces » par opposition aux sources centralisées, comme les centrales électriques classiques, dont les centrales nucléaires font partie.
Examinons ce qu’il en est concrètement. Certes, un particulier peut se débrouiller en installant ses propres éoliennes, ses panneaux solaires, ses batteries ou volants d’inertie, dans un logement parfaitement isolé, en adaptant ses utilisations énergétiques à une puissance disponible faible, non garantie pour 100 % du temps. Cela fonctionne sans doute à la satisfaction de la personne considérée. Elle pourra se dire « indépendante » dans un logement « à énergie positive ». Le coût de l’ensemble de cette installation et de son entretien au fil des ans est rarement précisé.
Eoliennes et panneaux solaires sont « parfaits » pour des installations isolées entièrement conçues pour cela
On observe qu’historiquement, le stockage local d’électricité (batteries au plomb du français Gaston Planté, 1859) précède de plusieurs décennies la première « centrale » électrique de Pearl Street Station, mise en service à New York par Thomas Edison (1882). Les « centrales » se sont généralisées au cours du XXe siècle, largement parce qu’une alimentation collective en électricité permet de « mutualiser » les moyens de production, tous les appareils consommateurs d’électricité ne fonctionnant pas tous en même temps.
Par exemple, la puissance maximale demandée par les consommateurs d’électricité français n’a jamais dépassé 105 GW à un instant donné, mais la puissance totale de tous les appareils électriques installés en France est certainement plusieurs fois supérieure. Mais une installation domestique isolée doit garantir le fonctionnement de tous les appareils du logement, contrairement à l’installation collective.
Pour la fourniture collective d’énergie à des clients, le problème est tout autre
Cette économie de moyens se paie par une contrainte. Pour répondre à une demande client, il faut produire à tout instant la quantité d’énergie demandée par l’ensemble des clients, avec des possibilités d’écarts très faible. Faute de quoi, techniquement, le réseau s’écroule. Rétablir la fourniture d’électricité est alors long et pénible. Le dernier incident de ce genre – un « black-out » – remonte en France à décembre 1978, au cours de la matinée vers 10 h 00. Il avait fallu la journée pour rétablir le fonctionnement du réseau.
Pour pallier l’aspect non pilotable des capacités éolienne et solaire, on parle beaucoup de « stockage ». Ce stockage proclamé se fait attendre : les seuls stockages efficaces connus sont les centrales hydrauliques. En pratique, personne ne développe le stockage. Les promoteurs éoliens et solaire sont dans une double démarche différente. D’un côté, la recherche du « foisonnement », espoir que sur de vastes surfaces, la fourniture de puissance par le vent et le soleil soit de plus en plus constante.
Faute de savoir stocker l’électricité, on disperse les moyens de production sur des étendues de plus en plus vastes, en augmentant centralisation et dépendance …
Les installations de capacités de production éoliennes et solaire s’étendent sur des espaces de plus en plus vastes (éolien offshore) avec des réseaux électriques de collecte de ces productions de plus en plus complexes (techniques dites de « smartgrid »). On envisage même d’alimenter Hong Kong par câble sous-marin venant d’Australie, ou l’Allemagne par bateaux méthaniers transportant l’hydrogène « vert » produit en Afrique subsaharienne.
Contrairement à l’affirmation de production « décentralisée » et « locale », nous sommes dans une production de plus en plus dispersée exigeant une centralisation de plus en plus intensive, et internationale, de la distribution électrique. Donc une dépendance de plus en plus grande de chacun vis-à-vis de sources de plus en plus lointaines.
L’autre aspect de cette double démarche est la construction de « back-ups » pilotables, le plus souvent à gaz fossile. On explique que ce gaz sera un jour du biogaz vertueux. Aujourd’hui, on l’importe depuis les pays producteurs, et il émet au minimum 400 g CO2/kWh.
Le niveau d’émissions de CO2 d’un parc de production « bas carbone » est très sensible à la moindre introduction de « gaz naturel », même très peu !
Les émissions moyennes de CO2 grimpent très vite dès qu’on introduit du gaz fossile dans la production d’électricité. Imaginons une électricité produite à 100% par des moyens émettant 10 g de CO2 par kWh. Si on introduit 1% de gaz naturel dans cette production, elle passe à 13,9 grammes CO2/kWh, soit + 39%. A 10% de gaz naturel, on est à 49 g, soit + 390%, et à 50% de gaz naturel, à 205 g, soit + 2050 %, VINGT FOIS les émissions à 10 g CO2/kWh.
De prétendus écologistes se réjouissent que la production éolienne et solaire atteigne pendant quelques heures 50% de la production électrique totale de tel pays. Ils présentent donc comme un grand progrès des émissions de 200 g CO2/kWh. La France (plus de 80% hydraulique et nucléaire), émet 73 g CO2/kWh depuis 30 ans. Le parc électronucléaire français lui-même produit l’électricité à 6 g CO2/kWh, niveau imbattable.
Pour « décentraliser », rien ne vaut un petit réacteur nucléaire
Enfin, un réacteur nucléaire n’est pas forcément « énorme donc centralisé », 1 000 ou 1 500 MW et 400 000 tonnes. Il en existe de tailles très variées. Les plus gros, les EPR français sont dans la gamme 1 700 MW. Mais la France fabrique aussi ses réacteurs de sous-marins nucléaires (30 MW). Le premier réacteur américain, EBR-1, produisait 800 W électriques en 1951.
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