Ce ne sont ni Charybde ni Scylla, mais le « trop peu » et le « trop plein », apparaissent comme deux écueils capables de malmener le concept vital de sûreté nucléaire. Si le premier aspect est disqualifiant, le second peut être contreproductif.
« Trop d’impôt tue l’impôt » avait dit Chirac, en campagne pour l’élection de 1995.
Au moment où un frémissement pro-nucléaire se produit, conforté par les déclarations opportunistes du Président, d’aucuns pensent, transposant l’adage, qu’en cas de relance effective d’un programme de construction et même s’agissant du maintien en lice des unités existantes, «trop de sûreté peut tuer la sûreté » obérant ainsi les chances de succès.
Les dispositions retenues en la matière pour les EPR apportent, selon eux, la preuve de ce qu’ils avancent, des dispositions superfétatoires alourdiraient la machine, sans apporter un plus tangible à la sûreté.
Souvent, la comparaison est faite entre une référentiel de sûreté évolutif, à la française, et son homologue américain, quasi immuable. Mais quant à vouloir rendre plus sûr, « how safe is safe enough ? » disent également nos amis américains, et c’est bien là toute la question.
Elle vaut d’être approfondie.
Legs riche, payé au prix fort
On ne peut séparer les options de sûreté de l’EPR du contexte de leur genèse, car en immédiat aval de la catastrophe de Tchernobyl, le terrain était pour le moins miné, il l’est toujours d’ailleurs, et les opposants continuent à y faire référence, avec certes opportunisme et mauvaise foi, mais de notre côté, qualifier l’accident de « catastrophe soviétique », me paraît une trop grande simplification.
Bien sûr, les technologies étaient très différentes entre REP et RBMK, comme les options de sûreté retenues, mais les réacteurs nucléaires ont tous en commun d’être… des réacteurs nucléaires…
Pendant dix années, on a beaucoup travaillé et appris à la suite de l’accident de TMI (Three Mile Island), qui concernait un réacteur de la même famille que les nôtres, en tirant des enseignements de portée beaucoup plus générale, congrus pour toute filière nucléaire, et même au-delà d’ailleurs, s’agissant en particulier des interfaces homme-machine (en gros, savoir présenter à l’opérateur les paramètres pertinents pour le fonctionnement et la sûreté de son installation, et le doter de stratégies et de procédures, propres à prévenir les situations à risque et gérer les dysfonctionnements et leurs conséquences).
Mais bien d’autres enseignements avaient été retenus pour l’approche spécifique de la sûreté des REP. Ainsi, sur le spectre des événements à considérer, dimensionner les systèmes de sauvegarde et calibrer les procédures sur des initiateurs pensés enveloppes (typiquement la rupture doublement débattue d’une tuyauterie primaire REP) se sont révélés inadéquats….la fuite d’une soupape pouvant faire fondre un cœur !
Par ailleurs, TMI a montré que la connaissance de la thermohydraulique des REP en situation incidentelle ou accidentelle était très insuffisante, conduisant à lancer le développement (en France, aux USA et ailleurs à l’époque) de puissants outils de simulation, toujours utilisés aujourd’hui dans les analyses de sûreté et en support de l’établissement des procédures de conduite.
Enfin, la philosophie de conduite des installations qui a été repensée, « symptom approach » de Westinghouse aux USA, mais surtout et radicalement, « Approche par état » d’EDF . En France la table a donc été renversée, et plutôt que de chercher à identifier l’origine d’une défaillance et de structurer la parade sur ce diagnostic, en suivant une procédure dédiée, avec le risque de choisir une fausse piste, on vise à caractériser, en continu, « l’état de l’installation ». Cet « état » est établi sur la base d’un jeu de quelques paramètres clés (réactivité, inventaire en eau, état des systèmes,…) à partir duquel on suit une logique « état-action » qui vise à ramener l’installation dans un état plus sûr, par application de procédures pré-établies sur la base de très nombreuses simulations, sans jamais être prisonniers d’un sillon originel.
Par ailleurs, un chef d’exploitation, vrai décideur, a été institué à la tête de chaque équipe de conduite, alors qu’un ingénieur totalement dévolu à l’évaluation en continu de la sûreté de l’installation, et indépendant des équipes de conduite, exerce un magistère spécifique.
Tchernobyl, on l’oublie trop (parce qu’à l’époque la communication avançait surtout les différences de tous ordres, techno, socio et politico, mélangées), nous a conduit à revisiter nos parades face aux accidents de criticité, considérés alors comme concernant peu les REP, ce qui n’est évidemment pas le cas, et on a rapidement trouvé quelques séquences, qui ne demandaient pas d’empiler des hypothèses farfelues, pour poser de vrais problèmes. Ces failles ont été corrigées, impliquant des modifications (software et hardware), mais ce risque est resté depuis dans le champ d’attention des concepteurs et des exploitants, comme de leurs contrôleurs d’ailleurs. Mais autant on faisait volontiers état des actions « post TMI », celles conduites « post-Tchernobyl » sont restées plus confidentielles…puisque le discours officiel ne parlait que de différences.
Plus généralement, l’exploitation pratique de nos réacteurs REP peut donner, au quotidien, un sentiment de sécurité ; bien pensés, bien dimensionnés, méthodiquement surveillés, comment imaginer qu’ils défaillent ? Le sentiment des exploitants soviétiques de l’époque était sans doute le même, leurs réacteurs RBMK , gigantesques cathédrales séculières pouvant, davantage même, donner confiance…mais de là à outrer le trait, plusieurs interdits « rouge-vif » ayant été franchis, est évidemment une autre histoire, qui adresse un défaut patent de culture de sûreté, vocable qui a fait florès depuis. Au final, la machine bonasse est entrée en furie et la terrible leçon, même « ukraino-soviétique », vaut encore pour tous les hommes de l’art nucléaire, quoi qu’on en dise.
Nouvelles bases
L’élaboration des options de sûreté des futurs réacteurs REP, démarrée en France avec le programme REP 2000, s’est poursuivie en collaboration avec les Allemands, alors que ceux-ci imaginaient encore un avenir à leur nucléaire, mêlant (disait-on pour le meilleur) les dispositions de sûreté et d’exploitation des Konvoi et des N4, les machines les plus modernes et les plus puissantes des parcs respectifs.
Mais pour espérer relancer la machine, payer en nature apparaissait incontournable et des dispositions (physiques ou organisationnelles, évolutives ou nouvelles), capables de repousser d’une décade la probabilité de dommages importants au cœur du réacteur et surtout, l’élimination du risque de rejets massifs précoces, ont été présentées.
Très vite on a pu synthétiser la présentation du nouveau concept EPR (pour European Pressurized Reactor) en disant qu’on cherchait à concevoir une machine qui ne puisse être « ni agresseur, ni agressée » un cahier des charges simplissime, mais d’une redoutable exigence.
Les options de sûreté ont été avalisées par les Autorités de sûreté allemandes et française et les dispositions et options d’exploitation élaborées par les professionnels des compagnies potentiellement prêtes à acquérir ces réacteurs, dont EDF évidemment.
Le temps a passé, les Allemands se sont retirés, Areva a tenté seul une aventure périlleuse en Finlande (OL3 n’a pas encore démarré), EDF s’est enferré à Flamanville (Fla3) dans un chantier compliqué qui a accumulé les contre-performances, sous l’aigre vigilance d’une l’ASN (et de ses appuis) qui, sans conteste, ont bien contribué à rendre le chemin escarpé, plus périlleux encore.
Heureusement, les Chinois, bien épaulés par les Français, ont sauvé l’honneur des EPR avec, le chantier de Taishan mené à bien, non sans douleurs, retards et surcoûts (sans communes mesures avec ce que connaissent OL3 et Fla3), mais les machines fonctionnent (en espérant que l’incident combustible rencontré sur Taishan 1 ne soit pas un défaut de conception de la thermohydraulique de la chaudière EPR).
Mais la complexité du modèle et les difficultés rencontrées pour le réaliser, semblent avoir dissuadé les Chinois de poursuivre l’aventure EPR, affichant préférer son concurrent AP 1000 (Westinghouse-Toshiba) . Mais en réalité, le pays a opté pour la filière sino-chinoise, désormais mature, et possédant des attributs de sûreté aux normes internationales les plus exigeantes, laquelle se développe efficacement (durée de construction fortement réduite) et massivement (les chantiers s’ouvrent et les projets abondent).
Le chantier de Hinkley Point (le plus important d’Europe, dit-on et des vidéos impressionnantes en attestent ) semble se dérouler dans de bonnes conditions fort des expériences positives ou négatives de ses devanciers, on peut l’espérer ainsi. Mais des cassandres annoncent déjà le pire aux plans coûts et délais.
La Corée du Sud (Kepco) sait également faire puissant, vite et bien, comme le montre l’indéniable succès de la construction de 4 APR 1400 à Barakah, aux Emirats, une performance incontestable, due largement à une organisation méthodique, s’appuyant sur un outil industriel complet et pleinement opérationnel.
L’art est difficile
Il ne semble donc pas y avoir de fatalité à échouer dans la construction de machines complexes, mais ce constat n’exonère pas de s’interroger sur le caractère, optimal ou non, des options de sûreté retenues pour l’EPR.
De l’objectif initial d’accroitre d’une décade le niveau de sûreté, se déduisent nombre de dispositions et de contraintes. Face aux accidents internes : une enceinte avec peau d’étanchéité métallique et un récupérateur de corium ; côté agressions externes : la seconde enceinte et plus largement la « coque avion » qui protège également d’autres bâtiments abritant des systèmes vitaux, aussi le relèvement de la norme sismique, Le haut niveau de redondance des circuits de sauvegarde adresse les deux aspects, agressions internes et externes.
Mais « Monsieur + » n’avait pas été seul à la manœuvre, et certains concepts de sûreté novateurs ont été retenus pour l’EPR, censés simplifier le design et l’exploitation, en particulier celui « d’exclusion de rupture » qui permet moyennant une haute qualité de réalisation, de ne pas installer de dispositifs anti-débattement sur les tuyauteries concernée (dont les tuyauteries primaires et secondaires à l’intérieur de l’enceinte de confinement) et même, logiquement, de supprimer le système d’aspersion de cette enceinte, ce qui n’est pas rien. Hélas, la mise en œuvre de ce principe d’exclusion (pas aussi célèbre qu’un prédécesseur…) n’a pas été sans difficultés, se heurtant à des non-qualités de réalisation, lorsque par exemple, les exigences requises n’étaient pas transmises aux réalisateurs, impensable compte tenu des enjeux… mais vrai !
Pour des raisons économiques évidentes, l’EPR, compte tenu de l’énorme investissement de sûreté, doit forcément être une machine puissante, il faut en effet beaucoup de MWe au dénominateur du quotient clé pour atténuer l’effet des surcoûts et présenter des coûts de kW installé et de kWh produit compétitifs…et une tel réacteur de 1650 MWe se doit évidemment d’être sûr…. !
Fondamentalement, il ne faut pourtant pas oublier qu’on dimensionne d’emblée cette machine pour fonctionner 60 ans (au moins) avec un très haut taux de disponibilité, et qu’amortissement aidant, les importants surcoûts s’effaceront, surtout dans un contexte de renchérissement durable de l’énergie. Resteront néanmoins les difficultés de construction rencontrées pour réifier les options de sûreté retenues, la coque avion étant une bonne illustration.
Qu’on se souvienne des polémiques entretenues par les détracteurs sur la capacité réelle de ladite coque avion, et de la diagonale simpliste : « plus un réacteur est gros et plus il est dangereux », pour réaliser que la partie n’était pas gagnée d’avance. Aujourd’hui, en toute connaissance de cause, l’EPR conserve, malgré tout, des détracteurs résolus qui vont pouvoir déployer leur zèle au cours des années à venir, mais avec le haut niveau de sûreté de la machine, les tenants ont justement quelques arguments « béton et autres… » à leur opposer.
Ensuite, il a fallu concrétiser ces dispositions, et outre la redoutable complexité intrinsèque précitée, le système a dû composer avec des ingénieries et un tissu industriel français désœuvré (à cette échelle) depuis des années , ayant perdu l’histoire et l’expérience, et n’ayant pu, faute de perspectives claires, reconstituer un potentiel de compétences à tous les niveaux de la chaine. Au moment où l’horizon politique se dégage pour l’EPR, ces champs de la ressource restent préoccupant, même si JB Levy déclare devant les sénateurs « qu’EDF est prête »….et infléchir (un peu, ne rêvons pas), la communication d’EDF toute centré sur les EnR, sera sans doute le plus facile !
Différences culturelles
Aux USA, le référentiel de sûreté pour la conception et l’exploitation des réacteurs a été figé au moment de la construction et reste toujours en vigueur, il n’a été l’objet que de très peu de modifications, même à la suite des orages qu’a traversé le nucléaire. Mieux, les spécifications d’exploitation et de maintenance en service se conforment, depuis longtemps déjà, à une approche dite (Risk Informed Decision Making Process) qui s’appuie sur des analyses probabilistes quantifiant la diminution du niveau de sûreté engendrée par une intervention programmée, ceci afin d’augmenter le taux de disponibilité des réacteurs, dans un contexte de guerre féroce sur le marché de l’électricité.
A la différence de la NRC, l’ASN qui, comme son homologue américaine s’est toujours montrée intéressée par les approches probabilistes de la sûreté (lesquelles permettent, entre autres, de mieux évaluer l’homogénéité des parades aux divers incidents et accidents pris en compte dans une approche déterministe), n’a jamais accepté qu’on utilise les études probabilistes pour diminuer volontairement (et même à la marge) le niveau de sûreté d’une installation. L’approche « risk informed… » n’a donc pas été autorisée en France. A propos, les exploitants ont une la bonne connaissance des contraintes réglementaires, ce qui leur permet, sans enfreindre aucune d’entre elles, de savoir maximiser la disponibilité des installations, c’est une dimension importante de leur professionnalisme.
Reste que vu des structures de contrôle (ASN et ses appuis), il y a la règle et la manière de l’appliquer, et il est clair que ces dernières années, en particulier durant la Présidence Chevet de l’ASN, une absence de dialogue technique aux bons niveaux, et une volonté délibérée de mettre sur la place publique des dossiers techniques abscons pour le commun des mortels (et même pour ceux un peu connaisseurs du domaine), a conduit à des indisponibilités conséquentes du parc nucléaire EDF. En particulier la demande de différer des vérifications, clairement non vitales, jusqu’aux prochains arrêts programmés des réacteurs concernés, a fait l’objet de refus assez systématiques.
Bien représentatifs de ces bras de fer avec l’ASN, toujours perdus par EDF (l’exploitant très légitimiste n’ayant aucun moyen de recours que l’argumentation technique), on peut citer : les surconcentrations en carbone sur des composants du circuit primaire de certains réacteurs, les travaux de renforcement d’une digue pour la tenue à un séisme majoré, sur le canal de Donzère en amont du site du Tricastin, les vérifications sur le site de Cruas à la suite du séisme du Teil. Toutes ces opérations ont conduit à des pertes d’exploitation tout à fait conséquentes, sans vraie valeur ajoutée …mais la règle est que s’agissant de sûreté nucléaire, dans le doute, on ne peut s’abstenir…reste pourtant à bien positionner le curseur du risque et des outils existent pour l’évaluer.
Mais bien d’autres exemples existent où la lenteur de l’instruction de dossiers soumis par l’exploitant a conduit à de longues indisponibilités de certains réacteurs, alors que par ailleurs, ces mêmes exploitants mènent un combat perpétuel pour la disponibilité de leurs machines, très capitalistiques, et dont la raison économique impose de valoriser l’énorme potentiel.
Pour l’EPR en cours de construction, emblématiques sont les reprises de soudures ordonnées par l’ASN sur les tuyauteries secondaires, yc dans la zone des traversées de la double enceinte (clairement un défaut de spécification n’ayant pas permis le respect d’un cahier des charges conforme aux règles de l’art pour ce type de matériau et de matériel ) et ceci bien qu’EDF ait présenté un dossier montrant que la situation était acceptable dans toutes les situations prises en compte dans le dimensionnement du réacteur. L’ASN a opposé à EDF, le cahier des charges proposé par EDF… et s’en est tenue là. Ce refus met clairement en péril l’achèvement du chantier de Fla3, et les réparations, qui font appel à des robots de soudage spécialement crées, ne sont pas encore réalisées, le retard induit est évalué à deux années, au moins, sans garantie d’un bon achèvement.
Au passage, tant de travers, plus ou moins importants, ont été mis en exergue sur le très long chantier de l’EPR de Flamanville, qu’on a oublié que la très laborieuse acceptation par l’ASN des surconcentration carbone sur la cuve était accompagnée d’une obligation de remplacement du couvercle après deux ans de fonctionnement…mesure qui ne fait pas dans la demi-mesure et bien dans le droit fil de l’attitude de l’ASN .
Confrontations
Plus que les règles de sûreté, certaines sans doute trop drastiques, insuffisamment souples , ou compliquant à l’envi les métiers de concepteur et d’exploitant (les ESPN étant caricaturaux), la manière de les vivre pratiquement est essentielle. Un dialogue technique de grande qualité, approfondi et confiant apparaît comme une parade aux situations de blocage rencontrées, qui jusqu’ici se terminaient par des ukases.
Blanchis sous le harnois, les contrôleurs (ASN, IRSN) sont montés en compétences, le règlement leur conférant la légitimité. En face, il n’est pas certain que leurs interlocuteurs industriels aient toujours présenté les meilleures approches et les meilleurs dossiers, quant aux non qualités pointées , elles n’étaient souvent que trop réelles.
In fine, alors que les connaissances s’approfondissent et que l’expérience s’accumule, n’est-il pas logique de souscrire à une démarche d’amélioration continue de la sûreté des réacteurs. Mais les concepteurs comme les exploitants ont besoin de règles claires et stables, les étapes d’évolution doivent alors être bien formalisées et bien positionnées ; à cet égard, la fréquence décennale apparait adaptée.
Bien sûr, quand des événements particulièrement importants et signifiants se produisent dans l’intervalle, cette logique peut être bousculée. Fukushima est l’exemple même d’une situation porteuse d’enseignements qu’il est difficile d’ignorer trop longtemps. Ainsi, sans chercher à mettre en regard des scénarii conduisant à la perte totale et durable des sources fluides et électriques existantes, malgré leur redondance, il a été décidé d’installer -ex nihilo- de nouvelles sources autonomes, bien dimensionnées et robustes aux agressions majeures. Cet effort tout à fait conséquent financièrement et posant souvent de sérieuses difficultés d’implantation, car les sites nucléaires sont exigus, est actuellement bien engagé en France.
Si tous les pays nucléaires ont regardé comment tirer enseignement de la catastrophe de Fukushima, en questionnant le dimensionnement et la robustesse de leurs sources fluides et électriques, aucun, semble-t-il, n’a choisi, comme la France, l’addition de bunkers dédiés.
Un autre enseignement patent de Fukushima est de devoir considérer que plusieurs réacteurs sont simultanément et gravement affectés, alors que jusque-là on imaginait plutôt l’opportunité de secours mutuels. La France a voulu y répondre, entre autres, par la création d’une force d’appui dédiée (FARN) déployable rapidement sur un site affecté, là encore, une option originale.
Equilibre à trouver sur la ligne de crête
Certains voient dans les choix précédents la preuve que la sûreté nucléaire est régie, en France, par la double loi du « toujours plus, quoi qu’il en coûte », la prise en compte extensive des enseignements de Fukushima apportant, à l’évidence, de l’eau à leur moulin…Mais même si ces nouvelles dispositions et ces nouveaux matériels vont compliquer la tâche des exploitants, ne regardent-ils pas positivement cette robuste ligne de défense supplémentaire, surtout s’ils considèrent ce qu’ont vécu leurs collègues de Fukushima.
En France, parallèlement à la construction des nouvelles unités, qui s’annonce laborieuse et qui sera semée d’embûches, la prolongation des réacteurs en service apparaît absolument vitale. Forts des nouveaux attributs précités et de règles d’exploitation exigeantes, qui maintiennent un très haut niveau de sûreté, ne doutons pas que les réacteurs existants seront au rendez-vous des années qui viennent.
Oui, il y a eu à l’évidence un effet « échelle de perroquet » s’agissant de la sûreté nucléaire, oubliant trop que, selon la formule consacrée : « elle n’a pas de prix, mais elle a un coût » et qu’une relation « coûts / bénéfice sûreté », même si elle est difficile à établir, devrait faire partie des paramètres déterminants de toute discussion contrôleur-contrôlé. Renchérir et complexifier en permanence la conception, la construction et l’exploitation de centrale nucléaires, pour de bonnes et de moins bonnes raisons, est un poison lent qui commençait à produire son effet, dans l’hypothèse d’une relance d’un programme nucléaire : « trop cher, trop compliqué à construire, arrivant trop tard » pointaient déjà les contempteurs, un argument qui aurait pu peser lourd.
Il faut souhaiter un rapport plus constructif et plus apaisé entre EDF d’un côté et ASN et IRSN de l’autre, mais il y a peu de chance que le référentiel existant et ses interprétations qui font désormais jurisprudence, puissent évoluer sensiblement. C’est sans doute dommage sur certains points, mais il y a possibilité de vivre avec, c’est-à-dire de concevoir, de construire et d’exploiter avec, à condition que l’objectif d’une « réussite nucléaire du pays » soit bien partagé. Les années passées ont pu faire douter qu’il en ait toujours été ainsi et c’est peut-être le cœur du problème ?
Mais au final, une autorité de contrôle compétente et indépendante, en charge de l’application de normes et de règles exigeantes, ne garantit-elle pas la pérennité d’une filière, au bénéfice de tous, y compris de ses détracteurs ?