Au sein de la communauté climatique, le coût social du carbone correspond au solde net entre les dommages et les bénéfices résultant d’un changement climatique donné, qui s’exprime principalement par une augmentation de la température globale considérée comme étant causée par le CO2 anthropique. Son évaluation a donné lieu à de nombreuses études, toutes plus hypothétiques les unes que les autres. Une étude récente a été publiée dans le « prestigieux » Nature Climate Change (DOI: 10.1038/s41558-020-0880-3) sur la détermination du niveau de prix du carbone à moyen terme pour parvenir à des émissions nettes nulles à une date ultérieure donnée. C’est présenté comme une alternative pragmatique à l’évaluation complexe du coût social du carbone. Voilà un exemple de plus de « science » tordue.
Une fois choisie la date de réalisation du net zéro (fixant le temps restant pour se réchauffer) ainsi que la voie qui y mène (la vitesse à laquelle les émissions doivent être réduites pendant le temps restant), les prix du CO2 sont calculés qu’il faudrait imposer au marché pour atteindre l’objectif. Ces calculs sont effectués à l’aide du « Global Change Assessment Model (GCAM) » un fantastique assemblage de boules de cristal (1). L’objectif climatique suprême est ingénument supposé être atteint par la magie de la physique du climat répondant à des comportements humains eux aussi supposés plus vertueux.
Dans le cas des États-Unis par exemple, si le zéro net doit être atteint en 2050, il est dit que le prix du carbone devrait être fixé à 34 – 64 US$ par tonne métrique de CO2 en 2025 et porté à 77 – 124 US$/tonne d’ici 2030 (2). En outre, et on peut s’y attendre sans y passer autant de temps et d’efforts, ce coût est d’autant plus élevé que l’objectif est d’atteindre le zéro net plus tôt, soit environ trois fois plus pour 2040 que pour 2060. Cela explique pourquoi les parasites, les prédateurs et les chercheurs de rente adorent l’urgence climatique : beaucoup peut s’y gagner (c’est à dire se dépenser en leur faveur) à court terme si des politiques fermes sont adoptées sans délai. Par conséquent, il ne faut pas demander de cibler 2100 ou plus tard, cela ne servirait ni leurs intérêts ni ceux des idéologues écolo-climatiques. Pourtant cela serait judicieux dans une perspective sociale et économique prudente.
Le modèle présente des sensibilités inhérentes aux hypothèses formulées pour des « politiques complémentaires » relatives aux obstacles au marché non liés aux prix, au prix du pétrole, à la productivité de l’innovation, au prix du gaz naturel et à la richesse nationale (PIB), énumérées ici de la plus à la moins sensible. Toutefois, ces variables sont fortement interdépendantes, ce qui signifie qu’un grand nombre de ces fragiles boules de cristal se percutent en l’air, certaines d’entre elles n’étant pas capturées avant de s’écraser au sol.
Il me semble qu’une grande série de scénarios » what if ? » conduira à toute la gamme des résultats souhaités, de l’ennui total à l’effondrement complet. Si cette gamme est choisie de manière à paraître plus probabiliste que déterministe, alors le sérieux nécessaire sera obtenu pour être retenu comme référence dans le prochain rapport du GIEC. Mais c’est de la foutaise parce que les scénarios réalistes qui ne donnent pas le résultat escompté ne seront pas sélectionnés ou que leurs résultats auront été éliminés, et, surtout, parce que c’est une tâche combinatoire impossible que de regarder dans autant de boules de cristal, même si chacune d’entre elles était parfaitement sphérique.
Néanmoins, il est impressionnant de voir à quel point ces économistes tombent amoureux de leurs modèles ; ils sont pires que les climatologues, qui considèrent au moins quelques variables vraiment indépendantes. Le simple fait que l’éventail des résultats sélectionnés soit aussi large à relativement court terme devrait les alerter sur des défauts systémiques, comme un nez crochu ruine la beauté d’une fée. Des croyances non fondées sont ancrées dans les bases des modèles, comme par exemple l’effet vertueux d’une politique de hausses artificielles de prix sur les comportements de consommation et sur l’innovation. Même dans la lutte contre le tabagisme, aucune preuve n’a été fournie quant au succès de l’augmentation forcée du prix des cigarettes, car le nombre de fumeurs invétérés stagne entre 25 et 30 % de la population ; et le vapotage n’a pas trop de succès en tant qu’alternative. Il est impossible d’atteindre le zéro fumée à un prix cinq fois supérieur à celui des producteurs de cigarettes mais, malgré les faibles coûts de production des combustibles fossiles, on suppose que le zéro carbone sera atteint par ces mécanismes fallacieux, et ce à un prix politique loin d’être multiplié par cinq. La réaction beaucoup plus plausible sera l’inflation, répercutée avec diligence mais en silence sur les plus vulnérables de la société. Il y a deux ans, les gilets jaunes français ont réagi à une augmentation climatique de 8 centimes d’euros du prix de l’essence, soit à peine 15 % de ses coûts de production et de distribution hors taxes et 5 % de son prix de vente au public toutes taxes comprises, ce qui équivaut à une taxe supplémentaire de 30 euros par tonne de CO2. Les modèles ne peuvent pas envisager de tels cygnes noirs sociaux.
Le politiquement correct exige de s’attendre à ce que la réalité suive le scénario le plus favorable. La manière d’y parvenir ne fait pas l’objet de cet article « scientifique ».
(1) Une présentation simplifiée se trouve dans un article de Ars Technica (en anglais) :
https://arstechnica.com/science/2020/08/new-carbon-price-focuses-on-results-you-want-not-impacts-you-dont/
(2) Rappelons ici les ordres de grandeur : Chaque 10 francs (ou EUR ou USD) par tonne de CO2 ferait augmenter le prix d’un litre d’essence de 2.5 centimes. Actuellement les droits européens d’émission de CO2 (EEA) sont échangés à environ 25 EUR/tonne.En Suisse, la taxe CO2 sur les combustibles fossiles tels que le mazout et le gaz naturel est fixée à 96 Fr/tonne (≈90 EUR).
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