
Les Suisses ont voté hier sur plusieurs sujets, parmi lesquels le vote d’une loi fédérale sur le CO2. (1) Michel de Rougemont nous explique les enjeux de ce pôle démocratique.
Un joli flop démocratique pour l’urgence climatique
Hier, lors du tout premier scrutin démocratique national jamais organisé dans le Monde sur cette question, l’alarmisme climatique a été sanctionné par une courte majorité (51,6% des voix) : le peuple suisse a rejeté une loi fédérale sur le CO2 qui avait été concoctée entre le Conseil fédéral (le gouvernement) et le Parlement suisse (composé de deux chambres, comme aux USA) pour soi-disant lutter contre le changement climatique, ou pour sauver le climat, ou pour le maîtriser, ou simplement pour ne plus émettre de CO2, peu importe. C’est le droit et le privilège du citoyen suisse, le souverain, de pouvoir refuser ou confirmer des lois controversées.
La proposition de loi prévoyait une série de mesures destinées à réduire les émissions de CO2 du pays. Comme de telles lois le deviennent à chaque coup, il s’agissait d’un méli-mélo complexe de beaucoup de choses, dont les détails sont de peu d’importance, en bref : des taxes de toutes sortes suivies d’une redistribution sélective à divers groupes d’intérêt, tous faisant très activement campagne en faveur de cette loi.
Mais il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives. Le but d’un vote en démocratie directe n’est pas de découvrir une quelconque vérité ; il s’agit simplement d’un moyen de prendre une décision, de dire oui ou non à une question précise. Dans le cas présent, si un peu plus de la moitié des votants a dit non au texte proposé, cela ne signifie pas que la Suisse soit faite de climato-sceptiques ou de négationnistes, ni qu’il n’y aurait pas de changement climatique.
Alors que les sondages d’opinion indiquent généralement que le changement climatique est considéré comme un problème sérieux, le vote négatif des citoyens suisses est plutôt un signe de défiance : ils n’aiment pas les mesures complexes et coûteuses qui ont peu de chances d’être efficaces. Ils détestent également les politiques consistant en des mesures punitives et des contraintes comportementales. Mais surtout, ils n’adhèrent pas facilement à l’urgence climatique, comme la propagande ne cesse de le rabâcher, et que l’autre moitié des citoyens adopte goulûment. Combien de fois l’humanité aurait-elle dû s’éteindre, si toutes les urgences catastrophiques annoncées s’étaient matérialisées ?
Que va-t-il maintenant se passer ?
Les activistes du climat n’oseront pas envisager l’idée d’être dans l’erreur, ce serait trop demander. Au contraire, on peut s’attendre à un déferlement de propagande de leur part pour corriger ce « mauvais vote » qu’ils attribueront à d’obscurs lobbys, au manque de perception ou à l’inconscience, et à la désinformation. Ils devraient plutôt s’en réjouir : ce vote leur donne la grande opportunité de se présenter comme des victimes incomprises d’un système injuste, de toutes sortes de malveillances et de l’obscurantisme.
Des politiciens plus subtils retravailleront cette loi, ou une autre qui s’appellera loi sur le climat plutôt que de se limiter au CO2. Avec un peu de chance, ils auront compris que la politique de la carotte et, surtout, du bâton ne peut pas réussir. Il ne s’agit plus d’une question d’assiette au beurre, ils devront orienter leur politique en fonction de considérations de risques et d’efficacité, sans préférence idéologique. Ainsi, au lieu de taxes, ils devront fixer des normes qui contribueront à une réduction des risques. Mais ceux-ci doivent être évalués en termes d’impact climatique, de faisabilité économique et d’effets secondaires sur la société et sur la nature. Un seul chiffre, celui des tonnes de CO2, est une simplification excessive d’un problème encore mal compris.
Comme la science du climat ne peut être réduite à seul bouton de régulation, ils devront travailler plus dur s’ils veulent convaincre qui que ce soit, à commencer par eux-mêmes, de l’utilité de ce qu’ils proposeront. Il a une forte demande pour une meilleure recherche. Et, l’urgence étant désormais mise de côté, ils peuvent prendre tout le temps nécessaire pour bien faire les choses, mais pas à n’importe quel prix. La politique énergétique devra également être retravaillée, en particulier pour assurer un approvisionnement sûr et fiable en énergie électrique. Comme nous ne pouvons plus compter sur les voisins pour pallier les pertes de capacité après la fermeture de nos centrales nucléaires, il est grand temps d’en planifier de nouvelles.
Et les engagements pris dans l’accord de Paris ? La Suisse va enfin cesser de jouer les premiers de la classe faisant de la surenchère. Cette sobriété retrouvée ne fera de mal à personne, sauf à quelques égos.
(1) https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2012/855/en
(2) Objectifs de réduction des émissions de CO2 (p/r 1990) : 50% en 2030 – Net zéro en 2050 – 3/4 à réaliser en Suisse (en 2018 : 13,6% déjà atteint). Taxation du carbone pour constituer un « Fonds climatique », taxation des carburants allant des actuels 96 Fr/tonne de CO2 à 216 Fr/tonne, surtaxe sur l’essence de 12 ct/litre, participation à une bourse d’échange de quotas d’émission, taxe sur les billets d’avion, promotion des mesures d’économie d’énergie, restrictions sur les investissements liés aux carburants fossiles, soutien à la R&D pour des projets correctement orientés. Mécanismes complexes d’exemptions et de subventions. (Taux de change : 1 EUR = 1,10 CHF, 1 USD = 0,90 CHF)
This post is also available in: EN (EN)