Texte tiré d’un discours initialement prononcé pour l’Académie des Sciences Morales et Politiques
Depuis des siècles, astrologie et homéopathie ont pignon sur rue. Très majoritairement les Français estiment que la forêt perd de l’emprise alors que les surfaces boisées ont été multipliées par trois depuis deux siècles ; la biodiversité ne régresse pas en France mais progresse ; la pollution atmosphérique recule et ne tue pas chaque année, en France, 48 000 personnes comme le clament les plus hautes instances de l’Etat ; le glyphosate n’est pas dangereux pour les agriculteurs et encore moins pour les consommateurs de fruits et de légumes ; les nouveaux moteurs diesels sont moins polluants moins que les moteurs à essence ; les OGM ne sont pas, par essence, nocifs.
La liste des idées fausses est longue. La confusion des ordres règne. Le Parlement vote des lois mémorielles qui prétendent dire l’Histoire et des lois scientifiques qui clament dire le vrai. Il en est ainsi de la loi sur le bisphénol A dont le contenu ne suit en rien les recommandations rassurantes de l’académie de médecine.
Pourquoi ?
Pourquoi Rousseau gagne toujours ses batailles contre Voltaire et Diderot ? Pourquoi ce procès contre la science alors qu’elle connaît un succès partagé par l’humanité entière ?
Les raisons épistémologiques
Si la méthode scientifique est avant tout une manière pacifique de trancher des conflits, elle n’y parvient que provisoirement, et ne s’impose pas par nature : « il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie » remarquait déjà Spinoza. En outre, pour beaucoup, tout vaut mieux que l’absence d’explication.
La nature des modèles
Pour démontrer que A est la cause B, il faut mesurer les variations de A et ses effets sur B, toutes choses étant égales par ailleurs. Rien de facile, car de nombreux cas ce n’est pas possible. Ainsi, on ne peut pas polluer volontairement une partie de la population pour étudier empiriquement l’effet de tel ou tel polluant. Les prétendues dizaines de milliers de morts de la pollution atmosphérique ne sont pas des personnes tangibles, mais des résultats de calcul imprécis et souvent contradictoires, ainsi, l’OMS n’a pas les mêmes estimations que l’agence française (Santé publique France) dont les ordres de grandeur sont insensés. Ces résultats contradictoires contribuent à la méfiance de la population et si vous avancez quelques arguments sceptiques, on répondra de bonne foi qu’ « il y en d’autres qui disent le contraire ».
L’interprétation du hasard
L’esprit humain cherche des causes ce qui le conduit souvent à confondre concomitance et causalité. Ainsi, le nombre de personnes vaccinées chaque année est suffisamment grand pour que la découverte de quelques cas de sclérose en plaques suive de quelques jours, ou de quelques semaines l’injection d’un vaccin. Cette triste occurrence est due au hasard, mais de nombreuses associations se sont créées chez les supposées victimes de cet incontestable bienfait.
Le biais de confirmation
Tout homme cherche les faits qui semblent confirmer ses croyances et ignorent ceux qui les remettent en cause.
La confusion entre risque et danger
Ce n’est pas parce qu’un produit est potentiellement dangereux qu’il fait courir un risque. Or quand, pour d’autres raisons, parce que l’on est apôtre de la décroissance par exemple, on souhaite bannir un produit, une source d’énergie, on clame urbi et orbi que le risque doit être nul. Par exemple : « Montrez-moi que jamais les ondes électromagnétiques n’auront d’effet sur la santé ! » Or c’est logiquement impossible et l’on demande alors à la puissance publique d’établir des normes qui s’ajoutent à d’autres normes ceci pour certaines des cibles de l’écologie politique et pour elles seules. Il en est ainsi de l’énergie nucléaire, des pesticides agricoles, mais ce n’est le cas des produits anti-moustiques que l’on étale sur la peau ou des décoctions d’herbes et autres tisanes naturelles très peu hygiéniques et à la teneur en toxines naturelles non spécifiées, souvent très élevés.
La confusion entre facteurs de risque et causes de décès
On ne meurt pas de tabac, mais de cancer du poumon, de la gorge ou de la bouche, voire de maladie cardiaque. Certes fumer est un important facteur de risque notamment des cancers des voies respiratoires, mais tous les fumeurs ne meurent pas de ces cancers, et certaines personnes qui en sont atteintes n’ont jamais fumé. Calculer l’impact du tabac ou de l’alcool sur l’incidence de telle ou telle maladie, n’est pas si simple ; pourtant, dans ces deux cas, l’impact est massif. Les choses se compliquent quand l’impact est minime, que la dose est faible et que l’exposition d’une population donnée à une onde ou à une substance est mal connue. En outre, en biologie, mille fois un n’est pas une fois mille. Si vous recevez sur le pied mille fois de suite un poids d’un gramme, cela est très agaçant, mais fait moins mal qu’en une fois un poids d’un kilo. Seule la dose fait le poison, même pour les perturbateurs endocriniens, à commencer par le soja !
L’incompréhension des échelles de temps
Le vivant, les écosystèmes sont le produit d’une longue, très longue histoire ; or nous prétendons tirées des conclusions sur des variations sinon aléatoires, du moins aux causes mal connues, autour d’une moyenne de quelques décennies qui, cela dit en passant, n’a jamais rien eu de normal, « normal » et « moyen » ne sont pas des synonymes !
Raisons sociales et politiques
En s’appuyant sur les controverses scientifiques, accomplissant la mission tracée par Hans Jonas et son heuristique de la crainte, les écologistes politiques utilisent à la fois les techniques et les valeurs de la société contemporaine pour diffuser leur idéologie malthusienne de la décroissance et ont une influence qui dépasse très largement leur électorat.
La coupure avec le monde agricole
S’il y a 70 ans, en France, 40% de la population active était agricole, si pendant la dernière guerre mondiale tous les Français avaient essayé de s’approvisionner dans des fermes, nos contemporains ignorent tout de l’agriculture d’aujourd’hui, de sa rigueur, de son ouverture, de sa modernité. Beaucoup d’enfants découvrent tardivement que pour manger de la viande, il faut tuer un animal. Or, comme les humains sont omnivores, comme il n’y a plus de rites et de rythmes alimentaires (25% des habitants de Paris ne préparent plus jamais de repas), nos contemporains rejettent sur le monde agricole leur peurs alimentaires et fleurissent les végétariens, les végans, les orthorexiques et les amateurs du « sans » : sans gluten, sans viande, sans OGM, mais pas sans prix !
La recherche de l’émotion et le refus de la complexité
Les humains donnent la priorité aux mauvaises nouvelles, d’autant plus que les prophètes de malheur sont vus comme des altruistes. Les chaines radiophoniques ou télévisuelles, dites d’information, cherchent avant tout à émouvoir. Nos réveils radiophoniques ne sont qu’un mélange de faits divers entrecoupés de météorologie et d’horoscopes, assaisonnés d’interviews – donc d’opinions – avec une tranche de dérision dont il ne reste rien que le malheur des uns, le ridicule des autres et l’absence de scrupules de beaucoup. Et nous voilà pris entre le politiquement correct et le nihilisme.
La puissance de l’image
D’un point de vue géologique ou hydrologique, il n’y aucune différence entre un phénomène naturel et une catastrophe naturelle, si ce n’est que dans le second cas des êtres humains sont touchés par l’inondation, l’éruption volcanique ou le raz-de marée … Comme cela produit, sinon de « belles », du moins de spectaculaires images, confortablement assise devant la télévision, une partie de l’humanité assiste impuissante et empathique à ces drames et est persuadée que la fréquence de tels phénomènes s’amplifie.
Internet
Cet écart s’est encore creusé car Internet favorise la création d’un oligopole cognitif[1] pour reprendre l’expression de Gérald Bronner. Les moteurs de recherche contribuent en effet à l’apparition de ce qu’il appelle une « démocratie des crédules » et pas à une popularisation des savoirs, comme on aurait pu l’espérer. Les croyants publient, les croyants agissent, les croyants argumentent quand les scientifiques ne passent guère de temps à réfuter leurs idées farfelues, jusqu’au moment où elles deviennent dangereuses, il est alors bien tard car les algorithmes des moteurs de recherche draguent cette bouillie intellectuelle et la font remonter à la surface. Quant à l’accès de tous au savoir, il est une condition nécessaire pour fonder une opinion, mais elle est loin d’être suffisante !
La sélection de la classe politique
Dans les gouvernements de François Hollande il n’y avait pas d’agriculteurs, pas d’ouvriers, pas de chefs d’entreprise, pas d’ingénieurs, pas de chercheurs en sciences, donc pour l’essentiel des sophistes préoccupés par la mesure de l’opinion pour tenter de mieux la satisfaire et de gagner les prochaines élections.
La responsabilité civile et pénale des fonctionnaires
Les raisons de l’incontinence bureaucratique des ministères techniques sont précises. En France, les fonctionnaires ont une responsabilité civile et pénale, or ce n’est le cas ni du Royaume-Uni, ni aux Etats-Unis où leur seule responsabilité est civile. En outre, les ingénieurs des grands corps qui autrefois faisaient, faisaient faire et contrôlaient les infrastructures publiques, aujourd’hui ne font plus de projets, ne les font plus faire (pour l’essentiel ce sont les collectivités locales), mais en revanchent contrôlent et établissent les normes.
Les conflits d’intérêts
A cela s’ajoute la vague de pureté, la chasse aux conflits d’intérêts qui se substitue aux débats de fond. La grande presse ne parle pas de contenu ; les controverses scientifiques, pourtant fascinantes, ne sont jamais exposées ; en revanche les membres des organismes qui ne partagent pas les points de vue de leurs journalistes-militants, terrible oxymore, sont discrédités pour avoir travaillé un jour pour telle ou telle d’entreprises !
Le refus de l’incertitude et la quête de la protection
Incapable de réduire le chômage, la classe politique a laissé entendre qu’elle allait pouvoir protéger la population de tout. Ainsi est venu le principe de précaution, qui prétend en cas d’événements incertains être capable de prendre des mesures « proportionnées » ! Proportionné à quoi ? On pourrait se le demander. A moins de remarquer que ce sont les écologistes politiques, anticapitalistes et apôtres de la décroissance qui, en Europe, définissent les thèmes, les règles et les solutions et ainsi nourrissent l’agenda politique et confortent les croyances de la population.
Pourtant tout n’est pas affaire d’opinion. Si les vérités scientifiques sont provisoires, leur évolution, voire leur révolution, se produisent grâce à un processus complexe. Certes les scientifiques font mourir leurs hypothèses à leur place, mais leur débat est d’une autre nature et même si vous croyez que tout est relatif, quand vous appuyez sur la commande d’un téléviseur, vous voyez une image ! Terminons par une citation de Marie Curie. « Notre société, où règne un désir âpre de luxe et de richesses, ne comprend pas la valeur de la science. Elle ne comprend pas que celle-ci fait partie de son patrimoine moral le plus précieux, elle ne se rend pas non plus suffisamment compte que la science est la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance ».
[1] Gérald Bronner, « Marché de l’information et crédulité », http://parisinnovationreview.com/article/marche-de-linformation-et-credulite
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Merci Monsieur Jean de Kervasdoué.
C’est très clair et tellement vrai.
Je suis un simple particulier, de vos lecteurs , comme aussi celui de Gérald Bronner.
Bien à vous
Approche Tres interessante a contrario des cacophonies mediatiques que nous subissons dans les médias cordialement
L’homme me semble indifférent ou très résistant aux soi-disant multiples toxiques qui nous entourent , puisqu’au cours de ma vie de 82 ans ,la population planétaire est passé de deux à 7 ,5 millards de congénères…..