Cet article permet de poursuivre la réflexion de l’article » Plus d’éoliennes pour mieux décarboner ? Que dit l’électrotechnique « proposé par Eric Van Vaerenbergh et publié la semaine passée. Dans cet article l’auteur démontrait une réalité physique indépassable du réseau électrique : ajouter des éoliennes supplémentaires ne permet pas d’améliorer les performances du réseau si certaines limites ne sont pas respectées… il pose désormais une seconde question : cet ajout peut-il être supporté par le réseau ?
Résumé :
Le présent épisode 2 est une suite indissociable de l’épisode 1 et des suivants. La flexibilité (1) et le suivi de charge (2) des moyens de production d’électricité sur un réseau électrique sont un sujet technique complexe. Il est trop peu abordé, voire même oublié dans le débat de l’électrification des biens et services. Il renferme pourtant des notions électrotechniques vitales pour comprendre et déployer des solutions énergétiques réalistes et non idéologiques. Cela permettra d’éviter des catastrophes électrotechniques et financières qui pourraient débuter par des délestages jusqu’aux black-out (3).
Dans ce présent épisode, on va essayer de vulgariser et aborder les limites techniques concernant l’équilibrage des réseaux électriques avec une forte présence de moyens de production renouvelable intermittente et non pilotable comme les éoliennes et/ou les panneaux photovoltaïques. Ces limites tiendront compte qu’il y aura un besoin important d’électrification et d’une production électrique garantie décarbonée et durablement.
Il s’inscrit de la même manière que l’épisode 1, sur l’analyse des principes électrotechniques exclusivement. Mais comme déjà dit, ils ne doivent pas faire oublier les autres éléments essentiels (4) pour assurer une politique énergétique réaliste et financièrement supportable.
Analyse 1 : Imaginons le même type de réseau électrique (très simple) comme pour l’épisode 1 composé des trois moyens de production d’électricité suivants :
- Décarbonés nucléaires,
- Carbonés au gaz,
- Décarbonés avec des ENRinp (5).
Prenons une situation idéale, une courbe de charge (la demande en électricité des consommateurs) constante dans le temps (ligne bleue sur la Figure 1 ci-dessous).
Pour assurer l’équilibre de cette courbe de charge (Équilibre entre la production et la consommation d’électricité), les trois moyens de production s’accordent de manière prioritaire à produire le maximum avec l’énergie nucléaire, avec les énergies renouvelables ensuite, pour finalement produire les derniers MWh nécessaires avec des moyens de production très flexibles au gaz. On peut donc remarquer que la somme des énergies produites par les moyens de production est égale à la courbe de charge. Cette organisation de la production est très proche de la réalité des réseaux électriques.
Les installations de production électrique au gaz, au charbon et au fioul, étant des moyens très flexibles (qui peuvent faire varier leur puissance de production par unité de temps très rapidement), sont utilisées en dernier recourt pour adapter la production d’électricité au même niveau que la consommation d’électricité.
Prenons idéalement les hypothèses suivantes et reprises dans la Figure 1 ci-dessous :
- La courbe de charge (la demande d’électricité de la part des consommateurs) = 1000 MW de manière constante,
- Le niveau de production nucléaire (p2) = 500 MW de manière constante,
- Le niveau de production maximal au gaz (courbe de charge – p2) = 500 MW assurés par 5 centrales au gaz de 100 MW,
- La puissance installée (p1-p2) des ENRinp (éolien ou Photovoltaïque) = 100 MW,
- Le temps « t1-t3 » = 100 minutes (t2-t1 = 50 minutes). t1 étant le départ où le vent et/ou le soleil apparaissent, t2 étant le moment où il y le plus de vent et/ou de soleil et t3 étant le moment où il n’y a plus de vent et/ou de soleil.
À ces hypothèses, il très important de comprendre et retenir qu’une centrale :
– à gaz à cycle ouvert (Open-cycle gas turbines : OCGT) (6) peut faire varier sa puissance de production d’environ 15-20% de sa puissance maximum par minute (7). Certaines centrales au gaz de dernière génération peuvent même monter à 50% par minute (8).
– à gaz à cycle combiné (combined cycle gas turbine : CCGT) (9), c’est 5-10% de la puissance de production maximum par minute (10).
– nucléaire (Type Française), c’est 5% de la puissance de production maximum par minute (11).
Prenons pour l’exercice, au niveau de la production électrique au gaz dans le schéma ci-dessus, une centrale de type OCGT avec 15% de sa puissance maximale en capacité de suivi de charge. Ce choix est fait pour obtenir le maximum de flexibilité et de capacité de suivi de charge des centrales à gaz classiquement existantes et installées.
Pour simplifier l’exemple, prenons une production nucléaire constante sur toute la durée du temps et une production au gaz constante sauf entre le moment t1 lorsque les ENRinp (12) commencent à produire de l’électricité suite à l’apparition de l’énergie primaire (vent et/ou du soleil), jusqu’au moment t3, quand en absence d’énergie primaire, la production électrique des ENRinp devient nulle.
Entre les temps t1 et t2, les centrales au gaz doivent DIMINUER progressivement leur puissance de production au fur et à mesure que la puissance de production des ENRinp augmente. Entre les temps t2 et t3, les centrales au gaz doivent AUGMENTER progressivement leur puissance de production au fur et à mesure que la puissance de production des ENRinp diminue.
Ces variations fonction du temps (t1-t2-t3) sont nécessaires pour s’assurer que :
la puissance de production des centrales au gaz
+
la puissance de production des ENRinp
+
la puissance de production de la centrale nucléaire
=
Toujours et en tout temps, entre t1 et t2, à la puissance demandée par les consommateurs (la courbe de charge).
La première question qu’on doit poser avec ce simple exemple est : quelle est la puissance installée maximale d’ENRinp en MW qu’on ne doit raisonnablement jamais dépasser ?
Pour cela, calculons les vitesses de variations de puissances de la production des ENRinp qui s’expriment en dMW/dt (La différence de la puissance de production dans un intervalle de temps qui peut être de l’ordre de la minute).
Entre le temps t1 et t2, les centrales au gaz doivent diminuer leur production de 500 MW à 400 MW en 50 minutes.
Entre le temps t2 et t3, les centrales au gaz doivent augmenter leur production de 400 MW à 500 MW en 50 minutes.
On constate que les ENRinp ont une variation positive (+) entre t1 et t2 de + 2MW par minute et négative (-) entre t2 et t3 de -2MW par minute.
La capacité de suivi de charge maximale des centrales au gaz de type OCGT est de (+) et (-) 15% * 500 MW / minute, soit (+) et (-) 75 MW/minute.
Ceci veut dire que les centrales au gaz pourraient suivre en variation de puissance, un maximum de 37,5 x (+) et (-) 2MW/minute, ces 2MW/minute étant la variation de production générée par les ENRinp suite à l’apparition et la disparition de l’énergie primaire (vent et/ou du soleil).
En d’autres mots, les centrales au gaz pourraient suivre 37,5 x 100 MW de puissance installée maximale d’ENRinp, soit 3750 MW. Cela fait 3250 MW (3750 MW moins 500MW de gaz) de puissance installée supérieure au 1000 MW de puissance de la courbe de charge.
À titre informatif, voici à l’échelle sur la Figure 2, le profil de production de 3750 MW d’ENRinp que cela donnerait. Cela permet de se rendre compte des ordres de grandeur et de la démesure potentielle.
Quatre observations très importantes à ce stade par rapport à l’exemple idéal ci-dessus :
- On voit tout de suite pourquoi des puissances importantes installées d’ENRinp ont besoin de centrales au gaz. Les centrales au gaz, par leur forte capacité de suivi de charge, permettent de suivre les très rapides variations de puissances de production dues à de grandes puissances installées d’ENRinp.
- Les 3750 MW d’ENRinp seraient une puissance installée maximale pour ne pas dépasser la limite du suivi de charge des 500 MW des centrales au gaz. Dans ce cas, entre t1 et t3, au pic, au temps t2, on aurait 3250 MW d’excès de production d’électricité. Cela représente une énergie excédentaire produite de 2347 MWh (3250 MW/3750 MW * 100min/60min * 3250 MW/2). Pour des raisons d’équilibrage du réseau électrique, ces excès de production peuvent inciter à des prix de l’électricité négatifs (13) s’ils ne peuvent être consommés ou stockés dans des Stations de transfert d’énergie (eau) par pompage (STEP) par exemple.
Pour donner un ordre de grandeur, la STEP (14) de Coo en Belgique à une capacité de stockage de +- 1000 MW durant 6h (6000 MWh) (15), avec un temps de mise en production inférieure à 2 minutes. La puissance de la STEP est composée de 6 groupes motopompes de puissance individuelle de +- 1000 MW/6 (16). Ces 6 groupes peuvent être mis en service progressivement pour pouvoir « épouser le mieux possible les courbes de production ».
Quand on regarde la Figure 3 ci-dessous, on peut constater que la STEP pourra commencer à se charger avec son premier groupe motopompes qu’à ta (8,88 minutes après t1 quand la puissance de production des ENRinp aura atteint 1000 MW / 6) et devra s’arrêter à tb (8 minutes avant t3 lorsque les ENRinp ne produiront plus 1000 MW / 6).
Après t1, le deuxième groupe motopompe doit être mis en pompage à 11,11 minutes, le troisième à 13,33 minutes, le quatrième à 15,55 minutes, le cinquième à 17,77 minutes, le dernier à 20 minutes.
Comme on peut le voir sur la Figure 3, chaque étage de pompe aura un temps de fonctionnement différent dépendant des variations de la production des ENRinp.
Quand on somme les énergies des 6 étages de pompes repris sur la Figure 3, on obtient une puissance consommée de 1185,33 MWh pour la recharge de la STEP. Les détails électrotechniques du stockage seront abordés dans un prochain épisode.
Les excédents rouges (1, 3) sur la Figure 3 doivent recharger d’autres moyens de stockage ou être consommés si les écarts de fréquences sont inacceptables. Pour l’excédent rouge 3, il doit recharger une autre STEP ou moyens de stockage ou cette production doit être écrêtée s’il y a impossibilité de consommer cette énergie en alimentant des consommateurs capables de suivre l’évolution de la production des (+) et (-) dMW/dt des ENRinp.
On peut visualiser à la limite haute de la production de la STEP 6/6, les délais courts que cela représente au niveau de l’éventuelle nécessité du pilotage de l’arrêt des ENRinp excédentaires. Plus on sera haut dans la zone excédentaire, plus le temps pour réagir sera court. On peut constater sans difficulté que les productions excédentaires des ENRinp compliquent très fortement l’équilibrage du réseau.
Sans les solutions évoquées ci-dessus permettant d’assurer l’équilibrage du réseau, les 3250MW d’excès de production des ENRinp ne servent strictement à rien. Pour les raisons électrotechniques d’équilibrage du réseau électrique, la mise à l’arrêt des moyens de la production excédentaire de ces ENRinp serait inévitable et vitale pour éviter des délestages importants.
3. Quand on voit l’énergie produite au gaz évitée, comme démontré dans l’épisode 1, on a pu constater qu’avoir une grande puissance installée d’ENRinp ne va pas éviter une production au gaz proportionnellement à la puissance installée. Même en doublant encore la puissance installée, le pic serait double, mais la surface (l’énergie) de gaz effacée serait ridicule par rapport aux efforts techniques et financiers démesurés et irresponsables. On insistera jamais assez sur l’énorme enjeu qu’est le stockage de l’excès de production d’électricité des ENRinp, surtout quand on sait que les seuls stockages réalistes et à coûts acceptables sont les STEPS. Elles sont la suprématie du stockage au niveau mondial (17). Malheureusement, avec les STEPS, on est presque exclusivement dépendant des atouts naturels que sont les montagnes permettant de créer des bassins de stockage d’eau. C’est l’élément principal limitant leur déploiement. Une solution qu’on lit et entend fréquemment serait d’utiliser les excédents de production des ENRinp pour produire et stocker des « molécules vertes ». Elles alimenteraient des moyens de production brûlant ces molécules décarbonées pour éliminer la production au gaz carboné. Mais ces consommateurs supplémentaires vont devoir être capables de suivre les fortes variations de production d’énergie des ENRinp comme on peut le voir avec les surfaces rouges sur la Figure 2 et de la Figure 3. En d’autres mots, les électrolyseurs qui produiront les « molécules vertes » d’hydrogène devront être capables de consommer et d’arrêter de consommer l’énergie électrique excédentaire aussi rapidement que les variations de production des ENRinp.
4. Certains spécialistes vont émettre l’idée que les équipements d’électroniques de puissance (18) intégrés dans les ENRinp vont pouvoir adoucir les variations rapides des puissances de production. Sans rentrer dans le détail de l’aberration que cela serait une forme d’écrêtage de la puissance installée, ceci demanderait un asservissement entre la consommation et la production sur le réseau national (ce genre d’asservissement n’existe pas encore sur des panneaux photovoltaïques domestiques par exemple). À la montée en production des ENRinp, pour éviter une montée de l’énergie produite trop brutale, les équipements d’électroniques de puissance pourraient assurer une forme de production graduelle et supportable (< 75 MW/minute pour les centrales à gaz dans l’exemple ci-dessus). Ceci serait techniquement envisageable, mais uniquement à l’apparition du vent et/ou du soleil, mais certainement pas à leur disparition. Là, sans moyens complémentaires comme des ENRip (ex. : productions et STEP hydrauliques (19), CAES (20)),le problème resterait entier et non résolu. L’électronique de puissance ne pourra jamais générer du vent et/ou du soleil pour que la diminution de la production ne soit pas brutale.
La deuxième question qu’on doit poser est : que se passerait-il si la puissance installée des ENRinp dépassait ces 3750 MW ? Cette question doit être posée par rapport au discours ambiant qui répète sans cesse qu’il faut déployer plus d’énergies renouvelables sans préciser lesquelles et où et comment.
En cas de dépassement de ces 3750 MW, les centrales au gaz seules n’arriveraient plus à assurer la production nécessaire pour garantir l’équilibre entre la production et la consommation. On dépasserait la limite acceptable de 75 MW/minute de variation de puissance de production générée par les ENRinp.
Cela serait impensable, mais bien que les centrales de l’exemple ont une puissance installée de 500 MW, cette puissance étant suffisante pour assurer l’équilibre du réseau sans ENRinp, il faudrait leur adjoindre une nouvelle centrale pour sommer les capacités de suivi de charge (les 15% de la puissance de production/minute) alors que la demande en électricité n’a pas augmenté d’un iota. Un prorata de nouvelles centrales de même type que l’exemple ci-dessus devrait assurer un suivi de charge complémentaire alors qu’en réalité le réseau électrique n’a pas besoin de centrale supplémentaire pour assurer la demande d’électricité. L’ajout de ces nouvelles centrales ne serait nécessaire que pour assurer l’équilibre entre la consommation et la production à cause d’un excès irraisonnable de puissance installée d’ENRinp. Ceci est une démonstration de plus que les ENRinp ont une fâcheuse tendance à pérenniser des centrales de production très flexibles telles que les centrales fossiles au gaz, au charbon ou au fioul, voire même de demander des puissances installées supérieures à la demande, si les limites électrotechniques des capacités de suivi de charge ne sont pas respectées.
Le risque de cette pérennisation, en fermant les yeux sur les coûts, est que même si ces centrales fossiles produiront très peu et que cela pourrait peut-être se défendre sur le plan du bilan carbone, au moindre manque d’approvisionnement énergétique en électricité, ces centrales pourraient être réquisitionnées pour assurer la sécurité d’approvisionnement avec des énergies fossiles et les émissions de CO2 en conséquence. Quand on a « le couteau sous la gorge », il est souvent démontré qu’on est prêt à tout pour assurer sa survie. Cela peut se prouver dans l’augmentation de la puissance installée des centrales au gaz en Allemagne et sa non-diminution de sa consommation de gaz en TWh.
Dans la Figure 4, on peut constater qu’entre 2002 et 2022, il y a eu sans cesse des fluctuations importantes de la consommation de gaz fossile (21) en Allemagne. Il y a donc bien eu recourt au gaz.
Durant cette période, il y a eu :
- 1024 TWh de production d’électricité aux gaz,
- entre 2002 et 2022 le delta de production le plus important fut avec l’année 2008 avec + 26,9 TWh de production au gaz fossile supplémentaire par rapport à l’année 2002.
Sur la Figure 5, on peut voir sans contestation possible l’augmentation de la puissance installée des centrales au gaz fossile.
S’il y avait une réelle efficacité à diminuer la puissance installée des centrales au gaz fossile qu’il faudrait démanteler au lieu de construire des nouvelles, la Figure 5 devrait montrer une pérennisation durable de la diminution de cette puissance installée avec comme ligne de mire une suppression. Cette figure montre malheureusement une augmentation durable, témoin d’un échec de la politique énergétique.
ANALYSE 2 : Sur base de l’exemple et de la première analyse ci-dessus, prenons la position d’un État devant, pour les exigences environnementales, réduire sa consommation d’énergies fossiles pour éviter les émissions de CO2.
Son réseau ayant une capacité nucléaire existante, il décide de mettre tout en œuvre pour augmenter ses moyens de production renouvelables et démanteler ses centrales fossiles, le gaz dans l’exemple.
Pour cela, par chance d’avoir des atouts naturels lui permettant de le faire, il décide dans un premier temps de déployer des énergies renouvelables (ENRx) décarbonées de trois types :
- renouvelables intermittents et pilotables (Ex. : Stations de transfert d’énergie par pompage, centrale marémotrice, barrage au fil de l’eau de grande puissance avec des risques d’assèchement) (ENRip),
- renouvelables non intermittentes et pilotables (ex :Barrages au fils de l’eau de grande puissance sans risque d’assèchement, géothermie (ENRnip),
- renouvelables non intermittentes et non pilotables (ex : Barrages au fils de l’eau de petite puissance sans risque d’assèchement, Hydroliennes fluviales sans risque d’assèchement, Centrales marée thermique, Centrales osmotiques, Hydroliennes de courants marins) (ENRninp).
Prenons idéalement pour faciliter la compréhension, les hypothèses suivantes :
- La puissance installée des ENRx déployées est de 400 MW et permet d’assurer par leur trinôme une puissance de production constante, ce qui est un idéal de production par rapport à la courbe de charge. Cet idéal est bien entendu loin des réalités d’un réseau électrique.
- 400 MW, sur les 500 MW de la puissance installée initiale des centrales au gaz, sont démantelés et seule une centrale de 100 MW est conservée.
- La courbe de charge (la demande d’électricité de la part des consommateurs) reste identique à 1000 MW
- Le niveau de production maximal nucléaire (p2) reste identique et = 500 MW
- La puissance installée (p1-p2) des ENRinp reste identique et = 100 MW
- Le temps t1-t3 reste identique et = 100 minutes (t2-t1 = 50 minutes)
Dans la Figure 6, la courbe de production devient ceci :
Le déploiement des ENRip + ENRnip + ENRninp a réduit de 4/5 la production de gaz avec ses émissions de CO2 associées.
La capacité de suivi de charge, étant donné que seule la dernière centrale au gaz est conservée, est fortement réduite et devient égale à 15 MW/minute (15% de 100 MW/minute d’une seule centrale).
15 MW/minute, c’est identique à 2 x 7,5 MW/minute, soit 7,5 x 2 MW/minute, 2 MW/minute qui est la variation de la puissance de production des ENRinp.
En d’autres termes, pour des raisons de dMW/dt, la puissance installée maximum des ENRinp ne peut plus dépasser les 7,5 x 100 MW, soit 750 MW.
À titre informatif, voici à l’échelle dans la Figure 7, le profil de production de 750 MW d’ENRinp que cela donnerait.
Cela permet encore de se rendre compte des ordres de grandeur.
On peut rapidement comprendre que par rapport au 3750 MW d’ENRinp de l’analyse 1, si cet État les avait réellement déployés, le fait que dans l’analyse 2 il réduit la production d’électricité de gaz de 4/5, il y aurait 3750 MW – 750 MW = 3000 MW de puissance installée d’ENRinp en trop sur le réseau électrique. Ceci explique que si cet État décide de quand même conserver les 3750 MW d’ENRinp, outre la problématique du stockage et/ou de l’arrêt des ENRinp produisant les excédents évoqués dans l’épisode 1, pour des raisons de suivi de charge, il ne pourra pas se passer des 400 MW de centrale au gaz, sans quoi l’équilibrage du réseau entre production et consommation deviendra impossible à gérer et cela augmentera les probabilités de délestage (22) et/ou de black-out (23). Ceci explique pourquoi des pays comme l’Allemagne ayant des puissances installées d’ENRinp déraisonnables sur leur réseau électrique n’arrivent pas à se passer de moyens de production très flexibles comme les centrales au gaz (24) fossile. Le pari fou d’alimenter ces centrales au gaz avec des molécules vertes comme «l’hydrogène « vert », c’est l’étape suivante dans leur raisonnement pour l’équilibrage du réseau sans émission de CO2. Mais il restera à démontrer que l’hydrogène sera « vert » et qu’il ne sera pas produit avec des énergies fossiles, que cela soit en local ou par des pays exportateurs.
À ce stade, on peut démontrer avec les explications données que :
- Il n’est pas pertinent de faire du suivi de charge pour suivre les variations des ENRinp avec des centrales nucléaires, ce moyen de production étant décarboné, non intermittent, pilotable, et sans risque d’approvisionnement en énergie primaire. Si en période d’absence et/ou de variation importante en énergie primaire des ENRinp le nucléaire doit assurer la totalité de la production, il pourrait remplacer à 100% les ENRinp en tout temps. En d’autres mots, ce n’est pas politiquement correct de l’écrire, mais électrotechniquement, les ENRinp ne servent strictement à rien si le suivi de charge doit être assuré par des centrales nucléaires avec capacité de suivi de charge. Effacer une production nucléaire pour laisser une production d’ENRinp en priorité, cela n’a strictement aucun sens électrotechnique.
- Si on veut absolument décarboner un réseau électrique et démanteler les centrales fossiles, la limite des puissances installées des ENRinp qui vont générer des dMW/dt sur le réseau doit être imposée uniquement sur base de la somme des capacités de suivi de charge en dMW/dt des ENRx décarbonées pouvant être complémentaires.
L’équation est donc :
Les ENRninp n’ayant par définition aucune capacité de pilotage, donc de suivi de charge, l’équation se réduit à
La puissance des centrales fossiles doit donc être absolument remplacée par des centrales décarbonées pilotables. Refuser ce principe électrotechnique ne fera que pérenniser les centrales fossiles et les émissions de CO2.
Le binôme ENRinp +(ENRip+ENRnip) est pertinent s’il est vital, avec l’aide des ENRinp, de limiter l’utilisation des ressources naturelles (Ex : eau, stockage) alimentant en énergies renouvelables les ENRip et/ou les ENRnip.
Au cas où il n’y a aucun risque de pénurie en ressources naturelles d’énergie primaire pour l’alimentation des ENRip et/ou ENRnip (Ex : l’eau des barrages fonctions des conditions d’assèchement peut présenter des risques de pénuries), les ENRinp ne servent encore strictement à rien et seuls les ENRip et/ou ENRnip ont un intérêt à être utilisés pour décarboner la production électrique.
- Toutes les ENRinp installées avant le remplacement des 400 MW des moyens de production au gaz deviennent inutiles et perturbatrices du réseau électrique si des capacités de stockage en conséquence ne sont pas existantes ou constructibles en même temps pour stocker les productions d’énergies excédentaires. L’ensemble des excédents non stockables et non exportables vont forcer la production des ENRinp à être mise à l’arrêt.
Conclusions générales :
Pour éviter qu’un réseau électrique se carbone, la puissance installée des ENRinp ne peut pas générer des variations de charge en dMW/dt supérieures à la capacité de suivi de charges des ENRip + ENRnip décarbonées. Le non-respect de cette règle pérennisera, pour des besoins de suivis de charge, les centrales fossiles sur les réseaux électriques. Cette limite devrait donc automatiquement être respectée et imposée par les capacités des ENRip et des ENRnip existantes et constructibles d’un pays si celui-ci décide d’être le moins possible dépendant des importations de pays tiers via ses interconnections électriques extraterritoriales. Ces interconnexions doivent rester un magnifique outil de solidarité pour assurer la stabilité des réseaux interconnectés lors de gros incidents (Ex : déconnexion d’une grande centrale électrique ou un déclenchement de protections de lignes haute tension vitales). L’utiliser comme outil de solidarité pour assurer la sécurité d’approvisionnement d’un pays et les besoins de complémentarité aux variations de production générées par les ENRinp, il y une forte probabilité qu’il se transforme un jour en un outil de vassalisation géopolitique et énergétique.
Un mix électrique où les réacteurs nucléaires doivent assurer la production quand les ENRinp (éolien et/ou photovoltaïque) ne produisent pas comme souhaité ou doivent s’effacer quand ces moyens de production produisent suffisamment, c’est un non-sens total électrotechnique. Comme des centrales nucléaires pourraient assurer la production 100% du temps par l’absence de risque de pénurie en énergie primaire, si les manquements de production des ENRinp doivent être compensés par une production nucléaire, les éoliennes et/ou les panneaux photovoltaïques ne servent à rien. Ils sont une source de perturbations inutiles et dégradantes pour les réseaux électriques.
Si on ne regarde que les aspects électrotechniques d’équilibrage du réseau électrique, des énergies renouvelables intermittentes et non pilotables (ENRinp) ont une utilisation pertinente si et seulement si elles sont complémentaires à des ENRip et/ou ENRnip pour économiser des ressources d’énergies primaires ou si elles sont déconnectées d’un réseau électrique et qu’elles alimentent des consommateurs acceptants des variations et intermittences de production électrique (ex. : stockage d’eau, stockage thermique à forte inertie, ou des usages précis dont l’intermittence de l’énergie électrique est acceptable sociétalement et économiquement). Ce constat électrotechnique ne doit pas faire oublier les autres points essentiels comme les aspects financiers et autres. Demander à des utilisateurs d’investir dans leurs propres moyens de production électrique et de stockage restera absurde par l’absence de mutualisation et les surcoûts de plus en plus grands que cela générera.
Au terme de ce deuxième épisode, on peut conclure qu’il y a deux limites à respecter pour le taux de pénétration des puissances installées des énergies renouvelables intermittentes et non pilotables comme l’éolien et/ou les panneaux photovoltaïques :
1) il ne doit pas dépasser la puissance installée des centrales fossiles si on a pas de moyens de stockages efficaces de l’électricité en suffisance.
2) il ne doit pas générer des variations de charge supérieures à la capacité de suivi de charge des moyens de production décarbonés autres que celle des centrales nucléaires.
Si on ne regarde que les aspects électrotechniques, démontrer que des ENRinp ne servent à rien en fonction des limites et nuances développées dans les deux premiers épisodes, cela ne doit pas laisser sous-entendre qu’il doit y avoir une opposition au ENRx de manière générale si ces limites sont respectées.
Annotations
(1) La flexibilité est la capacité d’un moyen de production, de consommation ou de stockage à modifier sa courbe d’injection ou de soutirage à la demande. Le soutirage : L’injection d’électricité est assurée soit pour des moyens de production d’électricité soit par des capacités de stockage en période de décharge. Le soutirage d’électricité correspond à la consommation d’électricité des consommateurs ou des moyens de stockage en période de charge.
(2) Le suivi de charge est une pratique qui consiste à faire varier la puissance de fonctionnement d’un moyen de production d’électricité de façon à l’adapter aux variations de la demande des consommateurs et/ou des variations et/ou de l’intermittence de certains moyens de production d’électricité. La capacité de faire varier la puissance de production de fonctionnement d’un moyen de production peut avoir des rapidités de variation fortement différente d’un moyen de production à l’autre. Par exemple, les moyens de production aux énergies hydrauliques et fossiles ont généralement une rapidité de faire varier leur puissance de production beaucoup plus rapidement que des réacteurs nucléaires.
(3) Table 1, page 5/144 du pdf : https://eepublicdownloads.azureedge.net/clean-documents/SOC%20documents/SOC%20Reports/entso-e_CESysSep_Final_Report_210715.pdf
(4) https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/plus-deoliennes-pour-mieux-decarboner-que-dit-lelectrotechnique/?utm_source=dlvr.it&utm_medium=linkedin#:~:text=Les%20choix%20%C3%A9lectrotechniques,peuvent%20%C3%AAtre%20n%C3%A9glig%C3%A9s.
(5) https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/plus-deoliennes-pour-mieux-decarboner-que-dit-lelectrotechnique/?utm_source=dlvr.it&utm_medium=linkedin#:~:text=intermittentes%20(3)%20et,marins)%20(ENRninp).
(6) https://www.ipieca.org/resources/energy-efficiency-solutions/open-cycle-gas-turbines-2022#:~:text=Open%2Dcycle%20gas%20turbines%20(OCGTs,not%20recover%20any%20waste%20heat.
(7) https://www.sia-partners.com/fr/publications/publications-de-nos-experts/modularite-du-parc-nucleaire-francais-et-transition.
(8) https://www.wartsila.com/energy/learn-more/technology-comparison-engine-vs-aero/combustion-engine-vs-gas-turbine-ramp-rate
(9) https://www.ipieca.org/resources/energy-efficiency-solutions/combined-cycle-gas-turbines-2022
(10) https://www.sia-partners.com/fr/publications/publications-de-nos-experts/modularite-du-parc-nucleaire-francais-et-transition.
(11) https://www.oecd-nea.org/nea-news/2011/29-2/aen-infos-suivi-charge-29-2.pdf – Les spécialistes vont nuancer ces 5% et vont expliquer que la variation de charge contractuelle d’un réacteur nucléaire par exemple de 900MW, c’est 30MW/minutes, soit 3,3% de la puissance nominale/minute. En effet le dimensionnement du cœur est tel qu’il peut supporter une variation de charge de 5% de la puissance nominale/minute, mais la pente automatique qu’on enclenche sur les réacteurs Français, quand on fait du suivi de charge, c’est 3,3% de la puissance nominale/minute.
(12) https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/plus-deoliennes-pour-mieux-decarboner-que-dit-lelectrotechnique/?utm_source=dlvr.it&utm_medium=linkedin#:~:text=intermittentes%20(3)%20et,marins)%20(ENRninp).
(13) Les prix négatifs de l’électricité peuvent sembler contre-intuitifs, mais ils se produisent dans certains marchés de l’électricité pour plusieurs raisons :
1. Production excédentaire : Avec l’augmentation de l’énergie renouvelable, en particulier l’éolien et le solaire, la production d’électricité peut être très élevée pendant les périodes où le soleil brille ou le vent souffle fort. Si cette production coïncide avec une faible demande, cela peut entraîner un excès d’électricité sur le réseau.
2. Inflexibilité des centrales : Certaines centrales, en particulier celles alimentées par des combustibles fossiles ou des réacteurs nucléaires, peuvent avoir du mal à réduire rapidement leur production. Il peut être plus économique pour ces centrales de continuer à produire, voire de payer pour écouler leur électricité, plutôt que de s’éteindre et de redémarrer.
3. Limitations du réseau de transport : Dans certaines situations, l’électricité ne peut pas être facilement transportée d’une région où il y a un excès de production vers une autre où la demande est plus élevée, en raison des limites de capacité du réseau de transport.
4. Mécanismes de marché : Les prix sont souvent déterminés sur les marchés de l’électricité par des mécanismes d’enchères. Lorsque l’offre dépasse la demande, le prix peut devenir négatif pour inciter les producteurs à réduire leur production ou pour encourager une consommation accrue.
5. Incitatifs à la consommation : Des prix négatifs peuvent encourager les consommateurs, en particulier les industriels, à augmenter leur consommation lorsqu’il y a une surproduction. Cela peut aider à équilibrer le réseau.
6. Coûts fixes et variables : Pour certaines centrales, les coûts fixes sont élevés et les coûts marginaux (le coût de production d’une unité supplémentaire d’électricité) sont faibles. Ces producteurs peuvent être disposés à subir des prix négatifs à court terme plutôt que de fermer leurs installations.
Ces prix négatifs ne durent généralement pas longtemps et sont souvent le résultat d’un déséquilibre temporaire entre l’offre et la demande.
(14) https://corporate.engie.be/fr/energy/hydraulique/centrale-daccumulation-par-pompage-de-coo
(15) https://corporate.engie.be/en/energy/water/coo-pumped-storage-power-station
(16) https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Centrale_de_Coo-Trois-Ponts
(17) https://www.researchgate.net/figure/Global-total-operational-ESTs-project-capacity-MW-6-Source-CNESA-Global-Energy_fig1_347270076
(18) https://www.researchgate.net/figure/Structure-maximale-de-commande-du-generateur-eolien_fig10_47694119
(19) https://www.hydropower.org/factsheets/pumped-storage
(20) https://www.ctc-n.org/technologies/compressed-air-energy-storage-caes
(21) https://www.energy-charts.info/charts/energy/chart.htm?l=fr&c=DE&chartColumnSorting=default&legendItems=000000000100000000000&stacking=stacked_absolute&interval=year&year=-1
(22) https://economie.fgov.be/fr/themes/energie/securite-dapprovisionnement/electricite/penurie-delectricite/le-delestage-une-mesure
(23) Le « blackout » est le terme anglo-saxon désignant une coupure généralisée de l’approvisionnement en électricité sur toute ou partie d’un territoire. Cette coupure est due à généralement à un déséquilibre sur le réseau où la demande est fortement supérieure à la capacité de production.
(24) https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/lallemagne-veut-doubler-la-capacite-de-production-de-ses-centrales-au-gaz/
Image par Erich Westendarp de Pixabay
Lire l’épisode 1
« Plus d’éoliennes pour mieux décarboner ? » Que dit l’électrotechnique