Arguant d’une PPE (1) qui leur ouvre un boulevard, les acteurs autoproclamés de la « transition énergétique », déploient sans retenue, sinon sans encombre, leurs totems visibles, panneaux PV et moulins à vent. Les moyens et les structures existants, sont priés de faire de la place et de se mettre au service des nouveaux venus prioritaires, en s’adaptant, techniquement et idéologiquement. Qu’ils doivent pour cela renoncer à ce qui avait guidé leur action et fondé leur indéniable réussite, n’est pas considéré comme problématique par une opinion efficacement conditionnée.
L’éclairement des esprits pourrait paradoxalement venir de coupures sur le réseau, voire même d’un back-out, les moyens mobilisables étant nettement insuffisants si l’hiver qui vient était rude. Mais à condition qu’on impute bien les responsabilités aux vrais responsables.
Syndromes en cascade
Une destruction créatrice Schumpetérienne est-elle à l’œuvre sous nos yeux, quand EDF semble accepter, sans regimber, le sacrifice de l’efficacité économique de son modèle nucléaire et se tourne, de bonne grâce, vers l’anti-modèle des renouvelables ?
Le nucléaire, conçu pour fournir, à la demande, une production de masse, doit désormais, à son détriment, fonctionner en miroir des productions intermittentes, qui sont prioritaires pour l’accès au réseau (en assurant leur back-up, ou en se repliant). Cette injonction, techniquement exigeante à mettre en œuvre, est éprouvante pour les matériels des centrales, de plus, elle est financièrement ruineuse pour EDF, dans les conditions économiques qui lui sont sciemment faites, par la loi et la règle.
D’un syndrome, l’autre, est-ce une variante « hardware » de celui de Stockholm qui opère pour EDF, car l’Entreprise semble avoir intégré ce pensum délétère, au point que sa boussole interne n’indique plus le nord, et pointe obsessionnellement, vers les renouvelables. C’est par là, munie d’une longue vue, qu’elle croit distinguer son futur, via un plan solaire PV faramineux (30 GWe) et des engagements importants dans l’éolien offshore, sans parler d’un engouement récent, (germano-tracté), pour l’hydrogène.
Affichant clairement ce virage, ses interfaces (clientèle et médiatique), sont déjà constellées de panneaux et de moulins. Les offres commerciales d’électrons verts, n’incluant pas ceux venant du nucléaire, sont, à cet égard, un signe indubitable que l’entreprise tourne le dos (à l’insu de son plein gré ?) à cette singularité qui fait encore sa force, et qui à grandement profité au pays.
Est-ce par esprit de sacrifice, ou par dévoiement contraint d’un service public, qu’EDF se prévaut de la souplesse d’une flotte nucléaire, qui permet que les productions EnRi (2) soient déversées, sans restriction aucune, sur le réseau ? L’intérêt général, celui d’une réduction des émissions de CO2 est convoqué, bien que le nucléaire, qui doit s’effacer pour laisser la place aux EnRi, en émet encore moins, et que son coût de production soit beaucoup plus faible que celui des déversements aléatoires, prépayés hors marché…Devant tant d’incongruités, on comprend bien que les déterminants sont à rechercher ailleurs.
EDF ne regimbe pas non plus, quand l’Exécutif (le presque bien nommé), lui impose d’amputer son parc de production, des deux réacteurs de Fessenheim, dans l’attente de devoir en sacrifier douze autres, des machines aux normes de sûreté, pilotables, puissantes, performantes, fournissant un courant décarboné et possédant encore un important potentiel de fonctionnement. A nouveau, ce cynisme renvoie à la satisfaction d’autres intérêts, au détriment d’un pays, qu’on a su convaincre que c’était à son profit, en travestissant la vérité.
L’hallali ayant sonné, les partisans du « tout EnRi » poussent le cynisme (ou même simplement un opportunisme malavisé) jusqu’à demander l’éradication du nucléaire, alors que, comme dit, le développement massif des éoliennes et du solaire PV requiert impérativement son assistance pour accommoder leurs foucades, sans émissions consécutives de GES (3) (le contre-exemple de l’Allemagne, où on utilise des sources carbonées pour réaliser cette même adaptation, est pourtant à méditer).
Courte échelle
Comme dans la fable où le renard profite du dos et des épaules du bouc pour sortir du puits, le nucléaire doit faire, à ses dépens, la courte échelle aux renouvelables.Mais l’histoire ne risque-t-elle pas de bégayer, maintenant que s’avance le challenger hydrogène, celui qu’on attendait pas, mais désormais présenté comme le parangon du stockage de l’électricité, entre autres talents, et qu’on brandit pour tenter de sortir artificiellement, par le haut, de l’impasse où nous conduisent les renouvelables ?
Pour la production d’hydrogène par électrolyse, on parle d’utiliser les surplus de la flotte EnR, mais actuellement ses productions étant prioritaires, cette situation n’existe pas, car ce sont les autres moyens en lice qui doivent se replier, dont le nucléaire. Il faudrait, à dessein, sur-dimensionner cette flotte EnR pour créer, sporadiquement, des excédents de production, ce qui n’est guère rationnel, mais d’aucuns y trouveraient une justification supplémentaire, pour un développement, ad libitum, des moulins et des panneaux.
Plus crédible est l’option de s’appuyer sur des moyens décarbonés dédiés (par exemple, un cluster d’éoliennes offshores, alimentant de gros électrolyseurs industriels). Schéma séduisant, mais nécessitant d’importants investissements (éoliennes en mer, raccordements, batteries tampons, électrolyseurs, stockage,…), avec, au bout d’une chaine « gas to power » (4), des rendements et une performance économique, étiques.
Mais, les électrolyseurs s’accommodent mal d’une alimentation discontinue, et même si la production éolienne en mer est (en moyenne) plus régulière que celle obtenue sur les terres, pour assurer une alimentation plus stable de l’électrolyseur, celui-ci devra impérativement être relié au réseau (ou disposer de batteries démesurées).
Or le réseau, pour un temps encore, reste alimenté principalement par le nucléaire. On y verra donc, soit l’opportunité pour le nucléaire de produire davantage, et ainsi de mieux rentabiliser un capital actuellement sous-utilisé, soit plutôt une contrainte, celle de devoir impérativement assurer la continuité de l’alimentation des électrolyseurs, une sollicitation aléatoire qui s’ajoutera à celle du fonctionnement « en miroir » des renouvelables, (les mêmes causes météorologiques, produisant les mêmes effets).
Dans cette dernière lecture, c’est encore le nucléaire qui sert d’ascenseur à ses compétiteurs, car il est bien à redouter que l’appui à l’hydrogène « vert » soit traité comme l’appui aux EnR, c’est-à-dire inconditionnel et sans compensation particulière, malgré les contraintes inhérentes créées.
Mais pour les écolos puristes, devoir s’appuyer sur le nucléaire (même indirectement) ôterait -de facto- le label vert aux molécules H2 produites, un caillou de taille dans la chaussure, alerte, du schéma.
Cependant, tout étant désormais possible, dans un contexte où le gaz naturel, gros émetteur de GES, est désormais reconnu comme outil de la transition, un accommodement avec le dogme sera trouvé, n’en doutons guère, si les mêmes intérêts à servir étaient servis.
Actualité
Très parlante, pour illustrer ce glissement subreptice vers le gaz naturel, la déclaration faite récemment (19/11/2020) par la Ministre en charge de la Transition Ecologique, laquelle s’exprimait sur les risques de coupure d’électricité durant le présent hiver, si celui-ci devait présenter des épisodes rigoureux.
Madame Pompili impute la tension actuelle (magie des mots !) au fait que nous n’aurions pas suffisamment diversifié notre corbeille électrique, stigmatisant -de facto- nos choix nucléaires. Sans les citer, elle ouvre ainsi, pour le futur, la porte à de nouvelles unités CCgaz (5), seuls outils capables de compenser de manière fiable, ce que le nucléaire et les autres sources pilotables en appui (hydraulique, charbon et CCgaz déjà existants) ne pourraient fournir, le cas échéant.
En effet, une lentille froide posée sur l’Ouest européen étant synonyme de vents faibles et le pâle soleil d’hiver jetant tôt ses derniers feux, penser pouvoir s’appuyer sur les éoliennes et les panneaux solaires PV, même multipliés à l’envi, serait en effet très hasardeux.
Quant à compter sur des importations massives, nos voisins connaitraient probablement des situations leur conférant peu de marges, les mêmes causes idéologiques et météorologiques, produisant les mêmes effets.
- PPE : programmation pluriannuelle de l’énergie (2018-2029)
- EnRi : énergies renouvelables intermittentes
- GES : gaz à effet de serre
- Gas to power : exemple, la pile à combustible.
- CCgaz : unités de production d’électricité alimentée au gaz et fonctionnant suivant le principe du cycle combin.
Excellente analyse parsemée de touches d’humours pour asséner que les politiciens croient manipuler le vaste et complexe système électrique auquel ils ne connaissent rien et ne connaitront jamais rien car demain ils s’occuperont d’autres choses et ne seront pas là pour répondre de leurs méfaits.