Dans les colonnes de ce journal, nous nous sommes fait écho de la nécessité de réviser la réglementation européenne sur les biotechnologies et les OGM après l’arrêt du 25 juillet 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne jugeant que toutes les variétés cultivées issues de techniques de modification génétique postérieures à 2001 sont des OGM et doivent être soumises aux dispositions de la directive 2001/18/CE et textes postérieurs associés. La transposition dans le droit français de cette décision juridique par le Conseil d’Etat le 7 février 2020 a suivi la même logique en soumettant les organismes obtenus au moyen de techniques ou méthodes de mutagénèse « dites dirigées ou d’édition du génome » (ou NBT, New Breeding Techniques), et « les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques » aux « obligations imposées aux organismes génétiquement modifiés par cette directive » (1).
Ces décisions ont été sévèrement critiquées par le Groupe de conseillers scientifiques principaux auprès de la Commission européenne (le Scientific Advice Mechanism) qui avait souligné dès novembre 2018 (2) dans une déclaration publique que la directive 2001/18/CE est devenue inadaptée en raison des avancées des connaissances scientifiques et des récents progrès techniques. Cette haute instance s’est prononcée pour que soient évaluées les caractéristiques du produit final et non la méthode d’obtention. Dans la foulée, en juillet 2019, une initiative européenne citoyenne Grow scientific progress, initiée par un groupe d’étudiants de l’Université de Wageningen (Pays Bas) de 8 nationalités différentes, s’est développée pour demander une révision de la réglementation européenne (clôture de la pétition (3) en juillet 2020).
Des Verts allemands se prononcent pour une réglementation européenne adaptée aux NBT
Aujourd’hui, en juin 2020, ce sont plus de vingt personnalités du parti des Verts allemands, et non des moindres, qui leur emboitent le pas en signant une contribution qui s’intitule : « Temps nouveaux, nouvelles réponses : réglementer le droit du génie génétique de manière moderne » (4). Kathtrin Zinkant, journaliste du Süddeutsche Zeitung (5) remarque parmi les signataires Katharina Fegebank, sénatrice de Hambourg (Sénat Scholz II) et deuxième bourgmestre pour la science, la recherche et l’égalité, Anna Christmann, députée au parlement allemand le Bundestag depuis 2017 et porte-parole pour les technologies et les politiques d’innovation du groupe parlementaire de son parti Alliance90/Les Verts, son collègue le député vert Kai Gehring de la commission de l’éducation, de la recherche et de l’évaluation technologique et porte-parole de son parti pour la recherche et les universités, ainsi que Hans-Josef Fell expert des énergies renouvelables.
Les signataires y affirment qu’il est impératif de conjuguer la durabilité et les nouvelles biotechnologies issues du génie génétique. Pour cela, ils formulent six propositions qui soulignent que le génie génétique appliqué en santé humaine est universellement accepté et que les applications en agriculture peuvent aussi s’inscrire dans le cadre de la durabilité « avec de bonnes conditions d’encadrement » ; parmi les arguments qui plaident en leur faveur, elles s’accompagnent d’un gain de temps pour faire face aux défis du futur comme le changement climatique. Ils constatent par ailleurs que la réglementation actuelle favorise « les structures de monopole dans l’agriculture » (6), ce qui entrave la recherche publique, et ils insistent sur la nécessité d’avoir de nouvelles règles pour donner aux institutions publiques et aux moyennes entreprises une opportunité d’utiliser ces nouvelles techniques afin de mieux répondre aux enjeux de l’innovation. Ils en concluent que la réglementation européenne actuelle sur les OGM « ne correspond plus à l’état actuel de la science » et que « le facteur décisif n’est pas la technologie, mais le résultat », et invoquent « une évaluation technologique équilibrée et prudente en dialogue avec la science ».
Cette analyse plaide pour un assouplissement, une adaptation européenne de la réglementation appliquée aux OGM pour l’homologation des produits d’édition du génome (NBT). Ce que de nombreux pays ont déjà adopté (7). Ainsi de nouvelles règles américaines concernant les nouvelles biotechnologies de modification du génome ont été publiées dans le Federal Registrer (Registre Fédéral), le journal officiel du gouvernement des Etats-Unis le 18 mai 2020. Sous le nom de SECURE Rule, cette réglementation indique qu’une plante génétiquement éditée pour des modifications mineures du génome ou encore l’introduction d’un gène connu pour appartenir au pool génétique de la plante (8) sera exemptée de la réglementation fédérale appliquée aux OGM. Aux Etats-Unis, ce sont dorénavant les caractéristiques du produit final NBT qui sont évaluées et non la méthode d’obtention. Ce qui va engendrer non seulement une baisse des coûts d’homologation mais aussi un gain de temps pour les développements R&D et une plus grande offre.
L’appel des Verts allemands sera-t-il déterminant pour faire bouger les lignes réglementaires dans l’Union européenne ? Au cours des dix dernières années, les brevets pris sur la plus prometteuse des nouvelles techniques d’édition du génome, le CRISPR, sont détenus aujourd’hui à plus de 80% par la Chine et par les Etats-Unis (9). Dans ce contexte, réviser la réglementation européenne sur les OGM et en exempter la plupart des produits NBT, est crucial pour l’indépendance agricole européenne et française.
(1) Conseil d’Etat, 7 février 2020, Organismes obtenus par mutagenèse .https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-7-fevrier-2020-organismes-obtenus-par-mutagenese
(2) Traduction française en juin 2019, Une perspective scientifique sur le statut réglementaire des produits dérivés de l’édition génomique et ses implications pour la directive OGM – Déclaration du groupe des conseillers scientifiques principaux- EU Publications Office, Published: 2019-06-04, https://publications.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/a9100d3c-4930-11e9-a8ed 01aa75ed71a1/ language-fr
(3) https://europa.eu/citizens-initiative/initiatives/details/2019/000012_fr
(4) Anna Chritsman et al. 10 Juni 2020, Debattenbeitrag : Neue Zeiten, neue Antworten: Gentechnikrecht zeitgemäß regulieren, https://www.gruene.de/artikel/neue-zeiten-neue-antworten-gentechnikrecht-zeitgemaess-regulieren
(5) Kathtrin Zinkant, Haltung zur Gentechnik: Grüne fordern Umdenken, Süddeutsche Zeitung 10 Juni 2020 https://www.sueddeutsche.de/wissen/klimawandel-landwirtschaft-gruene-gentechnik-crispr-1.4932845
(6) C’est-à-dire les trois consortiums multinationaux (Corteva, ChemChina et Bayer) opérant dans le secteur de l’agrochimie et des biotechnologies. Voir Catherine Regnault-Roger, Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l’environnement, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020, p 18.
(7) Sarah M Schmidt, Melinda Belisle & Wolf B Frommer(2020) The evolving landscape around genome editing in agriculture, EMBO Reports (2020) 21: e50680 | Published online 19 May 2020
(8) Bernadette Juarez (2020) Sustainable, Ecological, Consistent, Uniform, Responsible and Efficient (SECURE Rule) Overview, USDA, https://www.aphis.usda.gov/aphis/ourfocus/biotechnology/biotech-rule-revision
(9) Catherine Regnault-Roger OGM et produits d’édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques, Fondation pour l’innovation politique, 2020, 56 pages
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