La société de ce début de 21ème siècle se caractérise par une polarisation de plus en plus importante. D’abord bien sûr le plan politique avec l’émergence des extrême-droites et des populismes qui usent et abusent des discours simplistes et clivants, des formules-chocs et des arguments purement émotionnels. Mais aussi sur des plans sociétaux autres, comme les enjeux climatiques et les positionnements concernant l’alimentation et la production agricole. Sur tous ces sujets il devient de plus en plus difficile de faire entendre un discours nuancé, dont l’argumentation prend en compte une réflexion globale et différenciée.
Quand le discours polarisé est simpliste voire plus ou moins volontairement trompeur, et s’adresse à des populations souvent ayant peu de connaissances sur les sujets abordés, il est très difficile de relativiser ou de contrer les arguments utilisés.
Prenons l’exemple de la culture dite biologique. Je suis effaré de constater qu’énormément de gens de tous milieux sociaux pensent que la culture biologique, notamment viticole ne nécessite aucun traitement de protection et consiste à laisser pousser la vigne, s’occuper du feuillage peut-être et d’attendre les vendanges. Or, depuis la 2ème partie du 19ème siècle et l’arrivée depuis l’Amérique (déjà…) des maladies de la vigne (oïdium et mildiou, le phylloxéra étant un problème à part), les traitements de protection sont indispensables partout dans le monde sous peine de pertes de récoltes qui peuvent aller jusqu’à 100%. L’importance de l‘atteinte dépend bien sûr du climat général (moins il pleut moins il y a de maladies), et des conditions météorologiques propres aux différentes années. Jusque dans les années 70 la vigne était protégée surtout par des produits à base de cuivre et de soufre, selon des schémas fixes souvent et sans se soucier des effets secondaires environnementaux éventuels. Depuis les années 80 est apparue la lutte dite raisonnée, qui a fait appel, en plus des anciens produits, à des substances synthétisées par l’industrie, dans le but d’augmenter l’efficacité des traitements et la durée de leurs effets. Cette lutte raisonnée ou intégrée a aussi introduit de nombreux autres paramètres innovants qui concernent les cycles biologiques, l’entretien des sols etc.
Parallèlement à cette avancée sur le plan écologique, a commencé à émerger de façon très minoritaire la viticulture dite « biologique », ou « biodynamique » (qui en est une forme prenant en compte des éléments occultistes et anthroposophiques irrationnels, ce que la plupart des gens ignorent). Elle est basée en ce qui concerne les traitements de protection de la vigne, sur le rejet de tout ce qui est « produits de synthèse », et revient aux anciens produits, considérés comme naturels comme le cuivre et le soufre, seules substances autorisées par les labels « bio ». C’est là que le concept de discours nuancé intervient : dans la culture biologique certifiée, on autorise des quantités importantes de cuivre (4 kgs de cuivre/ha/année), ce qui pose problème à de nombreux viticulteurs : le cuivre est un métal lourd, certes qu’on trouve dans la nature, mais aux doses autorisées on le retrouve accumulé dans les sols, les cours d’eau et le lac. De plus les traitements biologiques sont par nature dits de contact c’est-à-dire qu’ils sont lessivés par les pluies à tel point que dès 20 mm de pluie (un gros orage par exemple), le traitement doit être renouvelé pour assurer une certaine protection. Ce qui veut dire multiplier donc les traitements et les passages de tracteurs, de chenillettes ou d’atomiseurs motorisés, avec le bilan écologique qu’on imagine, sans parler de la compaction des sols par ces passages fréquents.
Autre argumentation nuancée : la lutte raisonnée contre l’oïdium fait appel notamment à des substances de synthèse dérivées de l’éconazole, interdit dans la culture biologique. Or ces substances sont similaires à celles utilisées depuis 40 ans en médecine humaine pour traiter les mycoses (assez semblables à l’oïdium) sans effets secondaires. Dès lors qu’est-ce qui est le plus écologique ? Les organes de certifications des nombreux labels « bio » considèrent leurs dogmes comme intangibles alors que comme on le voit des adaptations pourraient être discutées, notamment en tenant compte des particularités géographiques et climatiques des différentes régions viticoles.
De plus en plus de viticulteurs essaient de trouver des solutions pratiques, non dogmatiques, que le sous-signé a qualifié de « viticulture biologique adaptative », qui prônent des approches au moins aussi « bio » que les certifiées, en diminuant drastiquement le recours au cuivre notamment grâce à des substances d’origine végétale adjuvantes.
En conclusion, en viticulture comme dans beaucoup d’autres domaines, ce n’est jamais noir ou blanc, dualité simpliste toujours très facile à expliquer. Mais la nature, humaine et végétale est complexe et ce n’est que par l’explication et l’éducation qu’une pensée et un raisonnement nuancés peuvent convaincre une majorité de la population.