
La survenue récente du Covid–19 ébranle le monde entier, car c’est bien d’une pandémie dont il s’agit. Les dégâts humains sont d’ores et déjà dramatiques, et les dégâts collatéraux, sociaux, économiques, politiques, seront considérables et durables.
Transhumanisme vs Médecine
Conscient des possibilités qu’offre le progrès des sciences et des techniques émergentes, les transhumanistes ont élargi le champ de leurs ambitions. Ils considèrent comme « indésirables » le handicap, la souffrance et la maladie, et, dans leur volonté de contribuer à l’amélioration de la condition humaine, ils préconisent la prévention et la réparation des atteintes qui altèrent la santé. C’est ce qu’ont permis depuis des lustres, les progrès de la médecine. Le développement des biosciences, allié aux progrès de l’éducation, de l’hygiène et à l’évolution des modes de vie, ont apporté à l’Homme des réponses à ses aspirations fondamentales : se survivre par la procréation, connaître et maîtriser son avenir, vaincre la souffrance.
Mais les transhumanistes vont « au-delà ». Pour eux, comme le sont la maladie et le handicap, le vieillissement et la mort sont « indésirables ». Pour les vaincre, Ils doivent recevoir « de meilleures réponses » « L’aspiration au meilleur qui habite l’être humain » (Bernhardt Baertschi) est à l’origine du transhumanisme.
Pour cela, il faut « La Mort de la Mort » (L Alexandre). « Créer des hommes plus forts, plus intelligents, plus humains, capables de conjurer la mort » (Kurzweil).
Lorsqu’on lit « Je crois que la première personne qui atteindra mille ans est aujourd’hui sexagénaire » (Aubrey de Grey, qui défend l’idée d’une science sans contrainte et d’un progrès sans frein), les perspectives ouvertes par le transhumanisme sont angoissantes !
Pour Arnaud Benedetti (CNRS) :« Le transhumanisme va engendrer une société adémocratique… Le transhumanisme vise à l’amélioration des performances d’un individu. Tout laisse à craindre, au-delà même des questionnements éthiques, que cette possibilité ne sera accessible qu’à un petit nombre. On mesure les conséquences immédiates de cette rupture qui consisterait à rompre avec l’universalité de l’idée même d’humanité »
Cette référence à la personne marque la limite entre l’amélioration de la condition humaine et le transhumanisme. Constatant l’obsolescence de la nature humaine, il en vient à concevoir la mise en place d’un homme nouveau. C’est précisément cette limite que franchit le transhumanisme, au-delà de laquelle …il n’y a plus de borne !
Selon Laurent Alexandre « L’idéologie transhumaniste « fait passer la médecine d’une logique de réparation à une logique d’augmentation » La logique d’augmentation évoquée par Alexandre consiste à surmonter les limites du corps humain, ses performances physiques ou intellectuelles, grâce à des moyens naturels ou artificiels. C’est « l’Homme augmenté. » « Le seul clivage à retenir se situe entre Transhumanistes et Bio conservateurs » ( Alexandre)
Cette phrase lapidaire date de l’ancien monde qui est en passe de disparaître en trois mois !
Un transhumanisme impuissant face au Covid ?
La pandémie du Coronavirus 2019 est en train de ruiner la planète.
Étant donné ce contexte, quelle peut être la place du transhumanisme, dans l’amélioration de la condition humaine dont l’Homme augmenté est l’expression ? Le transhumanisme continuera-t-il de défendre l’ambition de « conjurer la mort » ? La réalisation de cyborgs hybrides être humain–machine, la production d’embryons génétiquement modifiés, l’édition du génome, toute cette panoplie aurait pour but, non seulement de faire disparaître les misères du corps, mais de mettre en place l’Homme nouveau , capable de « vaincre la mort »
La soudaineté de la survenue de Covid–19, la rapidité de sa diffusion dans tous les pays du monde, les incertitudes et les doutes concernant l’origine du virus et l’imprévisibilité de l’évolution de toute infection virale, l’énormité des conséquences sociétales et financières sidèrent le monde… Car les citoyens supportent mal le doute et cherchent à comprendre. Ils ont admiré les révolutions techniques des cent dernières années, l’atome, les fusées, les greffes d’organes et l’ingénierie génétique, l’homme sur la lune, le bébé-éprouvette… Ils ont acquis la certitude de la toute-puissance de l’Homme.
Mais « le pas de plus » de l’Homme augmenté, engageant un combat contre la mort leur apparaît comme « sacrilège ».
Intuitivement, ils perçoivent que les ambitions du transhumanisme nécessitent des moyens financiers considérables, au détriment des programmes de survie d’une partie du monde que menace le coronavirus. Ils ne sont pas prêts à admettre que l’allongement de l’espérance de vie pour certains contribue à l’amélioration de la condition humaine qu’ambitionne le transhumanisme.
Comment expliquer alors « l’entêtement » dont font preuve les transhumanistes ? La raison est désormais évidente : « L’analyse du discours transhumaniste fait apparaître qu’il accompagne et justifie une marchandisation supplémentaire de la vie humaine comme résultat de la quatrième révolution industrielle par le recours massif la « convergence » des technologies NBIC, une césure importante dans l’évolution du capitalisme » (K-G Giesen)
Selon lui « l’élite des grands patrons de la Silicon Valley californienne à la fois adhère à et promeut aussi l’idéologie transhumanisme. Les investissements financiers hors normes consentis entre autres par les milliardaires et plus encore les fameuses GAFAM , pèsent lourdement dans ce débat de société. Ces firmes injectent à présent également des sommes colossales dans le lobbying politique et dans l’ingénierie sociale »
C’est incontestable, c’est clair, c’est très inquiétant et même angoissant. Car, grâce à « ces sommes colossales » ce qui passait pour un cauchemar peut devenir réalité.
Qui va arbitrer entre « l’Idée la plus dangereuse du monde » (Francis Fukuyama), et ‘le mouvement transhumaniste’ qui incarne les aspirations les plus audacieuses, courageuses, imaginatives et idéalistes de l’humanité » (Ronald Bailey ) Avec la pandémie Covid–19, la minute de vérité approche.
Est-ce « la démarche élitiste, égoïste et narcissique du transhumanisme » évoquée par Joël de Rosnay, qui va l’emporter ? Il écrit plus loin : « Il est possible que des sentiments comme la fraternité, l’altruisme, la volonté d’aide, d’empathie, de respect et de solidarité se développent d’une manière que nous n’imaginons pas encore »
Certains « signaux faibles » que l’on perçoit dans le bouillonnement actuel déclenché par Covid-19 en sont peut-être les prémices.
Puisse cet espoir nous armer et nous permettre de surmonter les épreuves redoutables qui sont devant nous.
Les citations qui apparaissent dans ce texte sont extraites de l’ouvrage intitulé « TRANSHUMANISME» , sous la direction de Philippe Pédrot et Peggy Larrieu. Collection dirigée par Christian Byk – MA Editions-ESKA