L’épidémie d’obésité dans le monde est un défi. Le but de cet article est d’ouvrir des portes de réflexion pour comprendre à partir des faits. En effet notre époque récente se caractérise entre autres par un flot d’information continu et de relativisme scientifique entretenu par l’asymétrie des connaissances. D’un côté le big data et l’intelligence artificielle et de l’autre la réduction de l’information au catastrophisme et/ou à des croyances sans base rationnelle. Face à ce paradoxe il devient difficile d’expliquer la complexité; ce qui conduit souvent à reformuler à l’infini une “fast food science”. S’agissant de la complexité, j’utilise le néologisme diabésité car les deux épidémies sont liées (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16311223) et représentent un continuum métabolique dont une des caractéristiques est le défaut d’oxydation des lipides probablement en rapport avec la disponibilité ad libitum de calories et d’hydrates de carbone.
Le nombre d’individus atteints d’obésité et de diabète dans le monde progresse depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais curieusement les causes restent très discutées.
Les faits sont infalsifiables (Figure N°1), nous faisons face à une épidémie d’obésité qui entraîne dans le monde un nombre de morts beaucoup plus important que les famines résiduelles (https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2676543?redirect=true) . Mais cette réalité, une progression continue depuis les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale et les premières statistiques épidémiologiques, n’est pas correctement perçue; d’un côté les médias sont plus enclins à mettre en exergue la faim, la famine, la pauvreté même si elles se réduisent fortement chaque année, ce à cause d’un biais idéologique. Rares sont les journalistes à avoir relaté la diminution énorme des famines dans le monde et encore plus rares sont ceux qui ont posé le cadre le plus favorable à ce progrès: une économie de marché libre. De l’autre les opinions publiques sont fortement marquées par la pénurie, la crainte de la pénurie, culturellement et aussi métaboliquement nous y reviendrons. C’est donc plus facile de faire croire à un risque de pénurie qu’à un risque lié à l’abondance.
Cette perception altérée de la réalité a une première conséquence: la sous estimation de l’abondance dans la causalité de cette épidémie. La deuxième est un glissement des pratiques alimentaires vers la consommation de produits et en miroir le recul permanent du nombre de repas préparés à la maison à partir de produits frais. Pour autant il y a un paradoxe. Qu’il s’agisse de la quantité d’aliments consommés ou gaspillés et de l’importance des produits transformés dans notre assiette, les intérêts économiques sont omniprésents et les entreprises qui fabriquent ces produits représentent des bénéficiaires.
En revanche ils ne contribuent pas ou très peu aux externalités négatives considérables de cette épidémie. En effet les aliments sont peu taxés (la TVA en France est de 5,5% y compris sur des produits transformés qui contribuent fortement à l’obésité et au diabète), et ce levier puissant n’est pas utilisé dans les politiques publiques au motif que toute augmentation fragiliserait les plus pauvres. C’est ignorer que justement, ceux qui sont les plus impactés par l’obésité et le diabète, ne sont pas les plus pauvres mais les moins éduqués parmi lesquels il y a des pauvres.
Mais pourquoi les personnes qui ont un niveau d’éducation bas sont plus atteintes par cette épidémie? Parce que les produits transformés, les produits de densité calorique élevée et les sucres raffinés sont bon marché si bien que les personnes peu éduquées n’ont pas les outils cognitifs pour faire des choix santé alors même que la préparation d’un repas à partir d’aliments frais à des prix de saison est économiquement encore moins dispendieuse. A ce sujet, la récente modification de la taxe soda est une mesure de bonne conscience politique sans effet économique et plutôt non intelligente (pour reprendre un qualificatif utilisé par un législateur). En effet elle exonère les boissons sucrées au dessous de 5 g/100ml c’est à dire 50 g/l. Je rappelle que le taux maximum de sucre dans le sang est de 1 g/l et que 50 g de sucre dans un litre c’est 8 morceaux et demi de sucre N°4! Pour réaliser le caractère cosmétique il suffit de comparer (http://www.leparisien.fr/societe/nouvelle-taxe-soda-combien-allez-vous-payer-votre-boisson-preferee-maintenant-18-10-2017-7339125.php) :
- La canette de Coca passe de 46 à 53 centimes
- La canette d’Orangina passe de 55 à 63 centimes
- Le Fanta citron frappé reste au même prix de 47 centimes
- Le Coca Light ne change pas de prix (48 centimes) car il n’était pas concerné par la taxe car dépourvu de sucres
- La Volvic Zest Citron, une eau “aromatisée”, baisse de 57 à 53 centimes
La Volvic Zest Citron baisse parce que cette boisson n’est pas en réalité “aromatisée”, elle est d’abord sucrée mais astucieusement au dessous du seuil de 50 g/l.
Au total, malgré des faits accablants cette épidémie qui évolue à bas bruit avec en pointe le “silent killer” du diabète type 2 est totalement sous estimée et les politiques publiques sont en échec itératif. Leur slogan principal est étonnant: diminuez les graisses et surtout les méchantes graisses saturées et si ça ne marche pas c’est que vous n’en faites pas assez…
Figure N°1
The table highlights the trend % prevalence of obesity (BMI ≥ 30 kg/m²) in adults from selected countries around the globe. The countries are selected on the appropriateness and availability of the data. The surveys are not strictly comparable because of differences in age range and methodology. With the limited data available, prevalence’s are not age standardised (https://www.worldobesity.org/data/obesity-data-repository/resources/trends/ ).
Figure N°2
Rising prevalence of diabetes in International Diabetes Federation regions, 2000–2015, (http://diabetes.diabetesjournals.org/content/66/6/1432)
Le changement principal à l’origine de cette diabésité est connu: l’abondance dans l’inactivité
Nous assistons depuis la révolution industrielle, le capitalisme marchand, l’extraordinaire augmentation de la productivité et la vague d’innovations, à la fin des famines, des maladies infectieuses épidémiques, des guerres et donc des pertes humaines massives. Dans le même temps émergent les contreparties de ces gigantesques changements: allongement de l’espérance de vie et explosion de l’obésité et du diabète. En terme de corrélation temporelle le double effet de l’augmentation de la consommation d’aliments et de la sédentarisation accélérée grâce à la mécanisation est associé à l’épidémie d’obésité et de diabète type 2.
Ces deux phénomènes sont synchrones et synergiques, le capitalisme marchand diminue le coût et le prix des aliments et dans le même temps il diminue la dépense énergétique des individus au travail et dans leur vie quotidienne par la mécanisation. Le solde énergétique positif est prouvé par la consommation moyenne de calories par individu et l’effondrement de la dépense énergétique est moins bien établi scientifiquement (https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0040503) . Sont ainsi réunies les critères de causalité mais il faut en savoir plus pour aller plus loin et concevoir une trame de recommandations générales.
Figure N°3
Le passage rapide à la nourriture ad libitum et à la vie sédentaire met notre métabolisme en danger. Tous les mécanismes de survie et de prospérité qui ont évolué lentement au cours de plus de 95% de l’évolution humaine et qui ont réussi à adapter l’humain à différentes éconiches, sont complètement inutiles à l’époque actuelle. La quantité de nourriture consommée stimule le stockage de l’énergie afin d’éviter les pénuries ultérieures, comme dans le passé où les famines étaient fréquentes. Le faible niveau de dépense énergétique diminue notre masse musculaire, ce qui nous expose à une résistance à l’insuline. (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5710317/) .
En savoir plus dépend comme nous l’avons démontré de la recherche et de l’ouverture des données épidémiologiques, ce mouvement est en cours et les états étant les principaux producteurs de données épidémiologiques descriptives il est important que ce mouvement s’accélère puisque leur production est payée par les taxes. Le deuxième pilier du raisonnement scientifiques doit être totalement réhabilité car il est sous utilisé et d’autre part contesté en ces temps de révisionnisme scientifique. C’est la perspective de l’évolution. Sur ces deux pictogrammes issus d’un travail récent (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5710317/) sont rappelés de manière cybernétique (Norbert Wiener, La cybernétique : Information et régulation dans le vivant et la machine, Seuil, 2014, « Introduction », p. 70.) les paramètres métaboliques et énergétiques de la vie d’un chasseur cueilleur. Ce sont ces conditions de vie (modulées par la niche écologique du départ et de rares migrations successives) qui ont modifié notre métabolisme et notre phénotype créant des caractères ethniques à l’entrelacement complexe mais parfaitement adaptés. Bousculer cette adaptation en quelques siècles voire en moins d’un siècle pour l’industrialisation alors que cette adaptation génétique résulte de plusieurs dizaines de milliers d’années d’évolution est source de contraintes majeures créant des obstacles insurmontables. Certaines contraintes ont été dépassées en matière d’espérance de vie par l’intelligence, l’innovation, la technique et l’industrie mais d’autres demeurent ou s’aggravent avec le vieillissement.
(https://www.livescience.com/22251-hunter-gatherers-calories-obesity.html) (http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0040503)
Le corps humain a été programmé pour une dépense énergétique majeure, inopinée ou prolongée, qui ne survient plus
Il faut d’abord clarifier un point, l’être humain n’est pas un four calorimétrique, l’excédent de calories ingérées n’est pas mécaniquement stocké comme un carburant non utilisé. L’organisme est un ensemble de cellules programmées et modulées par des messagers dont le fonctionnement est extrêmement adapté notamment aux dangers qui ont perduré longtemps tout au long de l’évolution. Or pendant plus de 99% de l’évolution humaine le principal danger était la famine et la mort qu’elle peut entraîner mais aussi les infections et la dépense énergétique énorme du système immunitaire. Il faut aussi rappeler le coût énergétique de l’impératif de procréations multiples en raison de la mortalité néonatale élevée. Si bien que des mécanismes métaboliques puissants hérités des mammifères font en sorte que toutes les calories ingérées mais non dépensées soient stockées autant que faire se peut. Ceci a bien sur beaucoup moins d’importance aujourd’hui, si bien que ces stocks ne sont jamais utilisés. Mais le “gène égoïste” voit loin et nous ne sommes pas près d’assister à une évolution génomique affaiblissant le rôle de ces mécanismes métaboliques. En conséquence nous voilà porteur d’un stock de calories dans nos cellules adipeuses depuis l’enfance jusqu’à la mort. Ce stock est constitué de triglycérides synthétisés par le foie à partir de l’excédent calorique alimentaire qui sont transportés jusqu’aux tissus adipeux par le sang. Ces cellules adipeuses constituent un organe, elles sont vascularisées, hébergent des cellules immunitaires, synthétisent des hormones et des cytokines qui servent de messagers. D’une manière générale des facteurs génétiques et acquis déterminent la puissance des mécanismes de stockage. On connaît ainsi les familles d’obèses et les familles de diabétiques type 2. Du point de vue de l’alimentation il est établi que la somme des calories, la prépondérance des sucres dans notre alimentation et la fréquence des prises alimentaires conduit à une sécrétion continue d’insuline réalisant un état post prandial chronique qui prédispose à l’obésité et au diabète. Ceci est bien sur modulé par des facteurs acquis comme la vie in utero (https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-4615-4499-9_11) , l’exposition aux signaux métaboliques pendant la petite enfance (nous y reviendrons à propos des japonais expatriés…), l’excédent calorique chronique à l’adolescence et d’autres facteurs.
Tels sont les faits en 2018. Ils ont été précisé en Europe par le dernier rapport de l’OMS (http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0008/379862/who-ehr-2018-eng.pdf?ua=1). Celui-ci confirme la tendance d’augmentation du nombre d’adultes en surpoids de 2000 à 2016 tandis que persiste de grandes différences entre les différents pays européens ce qui devrait conduire à comprendre les causes de ces différences.
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt en rapport avec ce sujet, il est investi dans la recherche clinique sur les maladies cardio-vasculaires.