Une équipe de chercheurs français a publié récemment une étude épidémiologique (1) de type cas-témoin explorant l’hypothèse d’un lien entre le risque de tumeurs cérébrales chez l’adulte en France et la proximité existante entre les lignes de transport de l’électricité et les habitations. Au terme de l’étude, les auteurs concluent que le risque de développer une tumeur cérébrale pourrait être associé à une exposition résidentielle au champ magnétique produit par les lignes électriques 50 Hz (Hertz, unité de fréquence de la tension électrique).
Néanmoins, selon nous, de nombreuses erreurs et biais méthodologiques sapent la validité de l’étude et interdisent la formulation d’une telle conclusion. Nous apportons ci-dessous notre analyse de ces biais méthodologiques.
Une étude bien partie….
L’étude en question possède pourtant, en première approche, plusieurs atouts.
Le premier point fort de l’étude réside dans le fait que les cas de malades étudiés proviennent de quatre registres départementaux de cancers, ce qui donne de bonnes raisons de penser que ces données sont exactes et exhaustives, les registres départementaux réalisant depuis de nombreuses années un important travail de recensement des cas de cancers dans la population.
Le second point fort de cette étude est qu’elle cherche à recenser les lieux d’habitation des malades depuis leur naissance jusqu’à l’année du diagnostic. Les adresses ainsi relevées sont évaluées au regard de leur proximité avec les lignes électriques du réseau RTE (Réseau de Transport de l’Electricité) dans l’objectif de vérifier l’existence d’une corrélation entre l’apparition de cancers cérébraux (gliomes et méningiomes) et la proximité entre lieux d’habitation et lignes électriques. La prise en compte de la durée d’exposition en termes de nombre d’années vécues à proximité des lignes de transport de l’électricité est une première dans les études épidémiologiques sur le sujet des effets possibles sur la santé du champ magnétique 50 Hz.
…mais handicapée par de nombreux biais méthodologiques…
L’étude en question est une étude épidémiologique de type cas-témoins. Dans ce type d’études, on compare l’historique de l’exposition à un facteur pouvant expliquer une maladie, chez une population de malades et chez une population de témoins, non malades. L’historique de l’exposition est établi, par des mesures lorsque cela est possible mais plus souvent, puisque l’évaluation est faite lorsque la maladie est installée, en interrogeant le malade, via des questionnaires, parfois en face de l’expérimentateur. Dans ces études, nombreuses sont les sources de biais méthodologiques pouvant altérer dramatiquement la validité des résultats. Dans l’étude cas-témoins qui nous occupe, nous avons identifié plusieurs biais non contrôlés qui peuvent ainsi conduire à des erreurs d’attribution causale des cas de cancers :
-Le biais de recrutement : on note que le taux de participation est plus faible chez les témoins (45 %) que chez les cas (70 % en moyenne), ce qui entraine un biais de recrutement. Les personnes recrutées peuvent en effet être statistiquement différentes des personnes refusant de participer à l’étude, ce qui rend l’échantillon de cas potentiellement non représentatif de la population cible.
-Le biais de rappel : lors du remplissage du questionnaire, les personnes recrutées peuvent avoir, inconsciemment ou non, favorisé le rappel de souvenirs de lieux d’habitation se situant à proximité de lignes électriques. Ce biais peut également affecter la réponse des proches lorsque ceux-ci remplissent le questionnaire à la place des cas trop malades pour le faire, d’autant plus que l’on recherche ici un historique des habitations sur la vie entière.
-Les auteurs ne précisent pas non plus la manière dont ils contrôlent l’effet des attentes des expérimentateurs, effet propre aux interviews réalisées en face-à-face et qui peut tout à fait influencer les réponses des sujets interrogés.
… et des erreurs grossières dans l’évaluation de l’exposition aux champs magnétiques.
En plus de ces biais méthodologiques communs à la plupart des études cas-témoins, nous avons relevé des faiblesses supplémentaires importantes qui ne permettent pas d’interpréter les résultats obtenus : nous voulons parler de l’imprécision de la géolocalisation des lieux de résidence et de la méconnaissance du réseau électrique et de l’intensité du champ magnétique associé.
L’imprécision de la géolocalisation des adresses procède du fait que la recherche de ces dernières a été réalisée de manière automatique sur les bases de données de l’IGN (Institut Géographique National) interrogées en 2013. Il en résulte que près d’un tiers des adresses sont géolocalisées à la mairie ou à l’église de la commune, ce qui peut induire d’importantes erreurs vis-à-vis de la localisation réelle de l’habitation et saper la validité du lieu d’habitation comme indicateur de l’exposition au champ magnétique émis par les lignes électriques : en effet, le niveau d’exposition dépend étroitement de la distance à la ligne (le réseau électrique haute tension est lui-même très bien référencé dans les bases de données).
A cette imprécision affectant la géolocalisation des adresses de résidence se superpose, de façon assez surprenante, une méconnaissance du réseau électrique français.
D’une part, l’estimation de la proximité entre les lignes électriques et les lieux de résidence occupés entre 1965 et 2006 a été réalisée à partir du système d’information géographique de RTE, unique gestionnaire du réseau de transport de l’électricité en France, sur la carte de 2013. Les auteurs de l’étude ont en effet admis l’hypothèse que le réseau électrique français n’a pas changé entre 1965 et 2013. Cette hypothèse est entièrement fausse. En effet, sur cette période, des lignes ont été construites, d’autres démontées, d’autres encore ont été modifiées au niveau de la tension d’exploitation ou des câbles ou des pylônes, autant de modifications qui influent sur l’exposition au champ magnétique 50 Hz. Les auteurs auraient dû éviter ces erreurs en exploitant un historique des cartes du réseau RTE.
D’autre part, selon les équations de Maxwell, bien établies depuis le 18ème siècle, l’intensité du champ magnétique dépend de l’intensité du courant électrique et de la distance par rapport à la source, ici une ligne électrique (Fig.2). Dans le cas d’une ligne aérienne, la source s’étend sur une distance de plusieurs dizaines de m en largeur, alors que dans le cas d’une ligne souterraine, les câbles étant resserrés, la source ne s’étend que sur quelques dizaines de cm. Or, aucune différence n’a été faite entre les lignes aériennes et les lignes enterrées, alors que, à tension constante, l’exposition décroit beaucoup plus vite à mesure que l’on s’en éloigne pour une ligne souterraine par rapport à une ligne aérienne. A 30 m d’une ligne souterraine 225 kV (10 m pour les tensions de 63 ou 90 kV), le champ magnétique émis n’est plus perceptible par rapport au bruit de fond alors que dans le cas d’une ligne aérienne 225 kV, le champ magnétique est de l’ordre de 0,5 µT. De plus, pour revenir aux lignes aériennes, l’exposition dépend, entre autres choses, de la hauteur des câbles, de la forme des pylônes, du nombre de circuits, autant de facteurs qui varient d’un pays à l’autre. Or, les niveaux de champs magnétiques en fonction de la distance aux lignes électriques ont été définis par rapport aux données de la littérature scientifique selon des publications danoises, américaines ou encore brésiliennes… mais pas vis-à-vis de données françaises. La conséquence directe est une surestimation de l’exposition : par exemple, il a été estimé qu’un champ magnétique de 0,3 µT (microTesla, unité de mesure du champ magnétique) devait exister à 100 m d’une ligne 150 kV (Haute Tension, HT) alors qu’en réalité, en France, le champ électrique moyen, à 100 m d’une ligne aérienne 400 kV (Très Haute Tension, THT), n’est que de l’ordre de 0,2 µT en moyenne (Figure 1) (Plus la tension est élevée, plus il y a de courant dans la ligne, et plus l’intensité du champ magnétique augmente. Ce principe physique implique qu’il y a automatiquement moins de champ magnétique à 100 m d’une ligne 150 kV qu’à 100 m d’une ligne 400 kV). Ces mauvais ordres de grandeur utilisés pour évaluer l’exposition au champ magnétique produit par les lignes électriques finissent de saper la qualité méthodologique de l’étude en question.
Fig. 1 : schéma de la décroissance du champ magnétique selon la distance transversale à la ligne électrique, en bleu pour une ligne aérienne, en vert pour une ligne souterraine.
Fig.2 : Relation liant l’intensité de champ magnétique H produit par un conducteur électrique avec l’intensité I du courant électrique le traversant, en fonction de la distance R au conducteur.
Une conséquence sans cause
La conclusion des auteurs selon laquelle les résultats de leur étude « suggèrent fortement que le risque de tumeur cérébrale, et en particulier de gliome, pourrait être associé à une exposition résidentielle au champ magnétique 50 Hz estimée par la proximité des lignes électriques » est tout à fait inappropriée : les résultats présentés dans cette publication sont basés sur des données d’exposition en grande partie erronées et sont en réalité inexploitables. Par ailleurs, l’étude élude complètement la question de la plausibilité biologique du lien allégué entre tumeurs cérébrales et exposition au champ magnétique 50 Hz. En effet, les études expérimentales ne montrent aucune preuve de cancérogénicité du champ magnétique 50 Hz pour l’Homme, et cela jusqu’à 5000 µT, soit 30 000 fois plus que le niveau de champ à 100 m d’une ligne électrique THT…
Nous ne pouvons que regretter que des chercheurs d’universités ou d’instituts renommés puissent publier des conclusions alarmistes sur la base d’une étude épidémiologique méthodologiquement très discutable et sans aucune considération pour la plausibilité biologique du lien allégué entre tumeurs cérébrales et proximité entre lieux d’habitation et lignes de transport d’électricité. La rigueur scientifique aurait dû commander de souligner les limites et biais inhérents de l’étude. Sans ce recul et cet esprit critique vis-à-vis des méthodes employées, les études épidémiologiques portant sur les effets sanitaires des ondes électromagnétiques pourraient finir un jour, pour reprendre les mots de Bernard de Fontenelle, par « connaître le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point ».
(1) Carles, C., Esquirol, Y., Turuban, M., Piel, C., Migault, L., Pouchieu, C., Bouvier, G., Fabbro-Peray, P., Lebailly, P., Baldi, I. Residential proximity to power lines and risk of brain tumor in the general population. Environ. Res. 2020;185:109473. doi: 10.1016/j.envres.2020.109473.
Ce n’est pas nouveau que l’on s’inquiète des dangers des lignes THT : des élevages sont perturbés par des nuisances électromagnétiques et il y a déjà eu des procès contre RTE. Les effets biologiques observés dépendent de la fréquence et de la puissance du champ électromagnétique : courants induits dans le corps humain qui perturbe le système nerveux ou cardiaque dans le cas des champs électromagnétiques de basse fréquence (équipements et appareillages électriques, lignes à haute tension). source : ” La prévention des risques des champs électromagnétiques ” : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/rayonnements/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=126&dossid=338