Une équipe de neuroscientifiques français a réussi à démontrer que nos souvenirs personnels sont affectés par la mémoire collective en utilisant des techniques d’imagerie cérébrale.
Si l’influence de la mémoire collective, constituée de symboles, de récits, de narrations et d’images qui participent à la construction identitaire d’une population, sur nos souvenirs personnels est un sujet ancien en psychologie, ce lien n’a jamais été établie par la science « dure ». Jusqu’à aujourd’hui. Des travaux menés par les chercheurs Inserm, associés à leurs collègues du projet Matrice piloté par Denis Peschanski, historien au CNRS ont toutefois réussi pour la première fois à établir ce lien grâce à l’imagerie cérébrale. L’étude qui relate cette découverte a été publiée dans la revue Nature Human Behaviour.
Les chercheurs français ont procédé à une « analyse de la couverture médiatique de la Seconde Guerre mondiale » afin d’identifier les représentations collectives communes associées à cette période. Pour se faire, ils s’en sont référées aux archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) – pas moins de 3.766 reportages et documentaires sur cette guerre, diffusés à la télévision pendant 30 ans, entre 1980 et 2010, passés au crible par à l’aide d’un programme informatique de leur création. Ils ont ainsi identifié des groupes de mots utilisés régulièrement pour parler de grands thèmes associés à notre mémoire collective de cet évènement majeur.
« À l’aide d’un algorithme, [les chercheurs] ont analysé ce corpus inédit et identifié des groupes de mots utilisés régulièrement pour parler de grandes thématiques associées à notre mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, comme par exemple le débarquement allié en Normandie », résume l’étude. « Notre algorithme identifiait automatiquement les thématiques centrales et les mots qui y étaient associés de façon récurrente, dévoilant ainsi nos représentations collectives de cette période cruciale de notre histoire », précise Pierre Gagnepain (Inserm, Caen), co-auteur de l’étude.
Des volontaires ont ensuite visité le Mémorial de Caen (Normandie) et y observer des photos avec légende avant de passer des examens d’imagerie (IRM fonctionnelle) pendant qu’ils se remémoraient leur expérience. Les chercheurs se sont concentrés sur l’activité du cortex préfrontal médial, une région clé pour les schémas de mémoire. « L’équipe a ainsi montré que lorsqu’une photo A était considérée comme proche d’une photo B (parce qu’associée de la même manière à une même thématique collective), elle avait aussi une probabilité plus élevée de déclencher une activité cérébrale similaire que cette photo B dans le cerveau des individus », note l’Inserm.
Autrement dit, « nos données démontrent que la mémoire collective, qui existe en dehors et au-delà des individus, organise et façonne la mémoire individuelle. Elle constitue un modèle mental commun permettant de connecter les souvenirs des individus à travers le temps et l’espace », souligne Pierre Gagnepain. Aussi, la recherche sur le fonctionnement de nos souvenirs doit prendre en compte le contexte social et culturel dans lequel nous évoluons. En outre, « Un résultat intrigant de l’étude est que la force de cet alignement entre les représentations neurales et le schéma collectif augmente avec l’âge, les effets les plus faibles étant observés chez les participants plus jeunes » conclut l’étude.