A la suite du drame de l’incendie de Notre Dame De Paris, European Scientist a pu interviewer Suzana Demetrescu-Guenego, architecte indépendante spécialisée sur la restauration du Patrimoine. Elle revient sur cette tragédie et évoque les pistes pour reconstruire ce monument.
Interview de Suzana Demetrescu-Guenego, Architecte spécialiste du Patrimoine
The European Scientist : Depuis plusieurs années maintenant vous concentrez votre activité sur la réhabilitation du patrimoine et plus particulièrement d’Eglises anciennes
Suzana Demetrescu-Guenego : En effet, depuis 2003, date de la création de mon cabinet d’architecte, je compte à mon actif plusieurs interventions sur des églises en Ile de France, qui comprend à la fois les études et le suivi des travaux. J’ai travaillé sur des projets tels que la réhabilitation du Château de Ferrières-en-Brie, par exemple, ou encore l’église Saint-Saturnin de Chauconin-Neufmontiers, l’église Saint-Martin de Mesnil-Amélot, l’église Saint-Lambert de Varennes-sur-Seine, …. J’ai été confrontée dans ma carrière à un cas de figure du type de ce qui s’est passé à Notre Dame : il s’agissait du pavillon d’entrée de Fleury en Brie dont les combles avaient été détruits par un incendie et qu’il a fallu reconstruire à l’identique.
TES : Malgré votre grande expérience, vous ne semblez pas vous expliquer ce qui s’est vraiment passé à Notre Dame
SDG : En effet, ce drame, outre le fait qu’il soit catastrophique, est pour moi, de par sa nature et les conditions de son avènement, totalement surréaliste. C’est proprement inimaginable. On vient de perdre des pans entiers de l’histoire de France et cela va laisser des cicatrices dans notre mémoire. C’est d’autant plus étonnant que ce bâtiment, depuis sa restauration par Viollet Le Duc à la deuxième moitié du 19ème siècle, a toujours été bichonné. Je ne peux pas réaliser tant que je ne suis pas allée sur place pour me rendre compte de ce qui a pu se passer. Certes, je suis habituée aux bâtiments anciens et j’ai plusieurs exemples en tête. Notamment les toitures de deux églises qui se sont écroulées subitement à cause de l’humidité. D’ailleurs, il est intéressant de souligner que ces bâtiments s’écroulent sur eux-mêmes sans causer de dommage au voisinage, ce qui montre le souci qu’avaient les bâtisseurs de cette époque de construire en prévoyant les accidents éventuels. Ainsi comme les télévisions du monde entier ont pu le montrer, la flèche de Notre Dame s’est écroulée sur l’intérieur. Il n’en reste pas moins que tous ces commentaires ne permettent pas d’expliquer ce qui a pu se passer.
TES : Le monde entier découvre l’œuvre de cette charpente, invisible du public
SDG : Tous les étudiants en architecture qui passent par la célèbre Ecole de Chaillot étudie ce chef d’œuvre absolu qu’était la charpente de chevron-formant-fermes. C’était la particularité de Notre Dame et ce qui en faisait un ouvrage d’exception. Cette partie est généralement cachée du public, car cela exprime la modestie des Compagnons qui la réalisent. Tout les connaisseurs et amateurs d’ouvrages d’art savaient que celle de Notre Dame était en particulièrement bon état. Normalement cette partie était en permanence sous surveillance et particulièrement couvée.
TES : Qu’envisagez-vous pour la reconstruction ? Le président Macron a parlé de 5 ans, cela vous parait-il réaliste ?
SDG : Il y a toujours généralement deux écoles qui s’affrontent et c’est toujours comme cela pour tous les bâtiments du patrimoine. La première école souhaite une reconstruction à l’identique. Dans ce cas, on pourra faire une charpente en bois ou une charpente métallique comme cela a été fait déjà pour d’autres églises. Ce qui est certain c’est qu’il faudra au moins dix ans pour la restaurer, mais surtout réouvrir l’édifice et le faire vivre le plus rapidement, après la prise de toutes les mesures de sécurité, dans les cinq ans à venir. Je tiens à préciser que la cathédrale avait fait l’objet d’une importante restauration au dix-neuvième siècle, notamment la galerie des rois et la flèche. La seconde piste consiste en une restauration moderne. Cette solution serait une forme de péché d’orgueil de notre génération. Aussi, il faudra deux à trois générations pour apprécier la pertinence de cette proposition si jamais elle se trouvait retenue. C’est en effet plus tard qu’on pourra juger de la capacité de nos architectes contemporains à toucher l’universel. Ce qui est certain c’est que tout n’est pas possible en la matière, car les grandes lignes sont déjà données par la volumétrie et les murs qui subsistent sont de parfaits garde-fous. Il me semble de ce fait que la première piste serait la plus simple, d’autant que les matériaux et les techniques n’ont pas évolué.
TES : Quel rôle pour la science dans ce chantier à venir ?
SDG : Dans ce genre de situation, on mobilisera sans doute la modélisation et des outils de type BIM pour visualiser les archives et les plans de cette Cathédrale qui a été documentée sous toutes les coutures. Mais pour le reste, ce sont les métiers traditionnels qui continueront d’être à l’oeuvre. Certes, les artisans qui prendront en charge le chantier peuvent être assistés par des robots et des outils de découpe modernes, mais les Compagnons du devoir et autres maîtres insistent sur la nécessité d’avoir le plus possible recours à la main de l’homme. On peut compter sur eux pour insuffler toute la passion nécessaire à l’entreprise du chantier monumental à venir. Le résultat sera un édifice qui rayonnera de la puissance de toute l’âme qu’ils y auront mise.
This post is also available in: EN (EN)DE (DE)