European Scientist a eu le plaisir d’interviewer Bernard Durand, ancien directeur de la division Géologie-Géochimie de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles, puis de l’École nationale supérieure de géologie.
ES : Dans votre nouvel ouvrage Petroleum, natural gas and coal (nature, formation mechanisms, future prospect in the energy transition), vous affirmez que les combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon) sont les grands oubliés des débats sur la transition énergétique. Quelles en sont les raisons ?
BD : On a pu le constater lors du Débat National sur la Transition Energétique (DNTE) de 2013, et à nouveau lors du Débat Public sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) qui a eu lieu au Printemps de cette année, les discussions sur l’énergie, en France, mais sans doute aussi ailleurs en Europe, deviennent rapidement pour l’essentiel un affrontement entre partisans des électricités dites renouvelables, éolien et solaire, et partisans de l’électricité nucléaire. Au point que les Français et leurs représentants en sont arrivés à confondre constamment énergie et électricité, laquelle n’est pourtant qu’une forme d’énergie parmi d’autres. Cela est dû essentiellement à la crispation entretenue depuis des années au sujet de l’électricité nucléaire. Mais cette discussion passionnelle masque aux Français que 80% de l’énergie primaire (celle produite à partir de sources naturelles) provient dans le monde des combustibles fossiles (en France, environ 50 % seulement, à cause de l’importance du nucléaire). La question centrale dont il faudrait débattre est en réalité la disponibilité future de ceux-ci, et c’est un des objets de cet ouvrage. Cette question n’a à ce jour jamais fait l’objet d’un véritable débat public, peut-être à cause de son caractère « explosif ».
ES : Les prix à la pompe ne cessent d’augmenter. Avez-vous une explication ?
BD : Les prix à la pompe résultent en grande partie de l’application de taxes gouvernementales, fort élevées, sur les «produits pétroliers », c’est-à-dire les produits du raffinage du pétrole brut, et en particulier sur les carburants. Récemment, de nouvelles taxes dites «climat-énergie » ont été ajoutées, et sont programmées pour augmenter lentement avec le temps. Une partie de ces nouvelles taxes est destinée à financer en sous-main le développement des électricités renouvelables, éolien et solaire, ce qui est hypocrite car ceux-ci ne contribuent pas à la diminution de nos émissions de CO2, donc à l’amélioration du climat. Il y a aussi l’augmentation des taxes sur le diesel pour rattraper celles sur l’essence. Cela étant dit, le prix de marché des produits raffinés, qui dépend en premier lieu du prix de marché du pétrole brut, est la base à laquelle s’appliquent ces taxes, et les fluctuations de prix à la pompe dépendent donc en premier lieu de celles du prix du pétrole brut.
Ce prix est fixé par des arbitrages boursiers qui sanctionnent les déséquilibres à court terme de l’offre et de la demande. Ceux-ci peuvent avoir de nombreuses origines : conflits dans les grands pays producteurs, difficultés économiques dans les pays consommateurs, interventionnisme des pays producteurs, en particulier de l’Arabie Saoudite, qui peut selon sa politique diminuer sa production, mais aussi l’augmenter (ce qu’elle est maintenant pratiquement la seule à pouvoir encore faire). En fait ce prix fluctue d’une manière beaucoup plus importante que la production mondiale, et les prix à court-terme, on le constate, sont impossibles à prévoir, étant donnée la multiplicité des facteurs en jeu. Par contre, sur le long terme, la disponibilité du pétrole va jouer un rôle croissant dans les années qui viennent et c’est cette disponibilité qu’il faut scruter. Dans cet ouvrage, on explique qu’il y une forte probabilité que cette disponibilité commence à plafonner, sinon même à diminuer d’ici cinq à dix ans, alors qu’il y a une forte probabilité que la consommation mondiale augmente d’ici-là, en particulier du fait des pays émergents qui entrent dans la civilisation de l’automobile. Par conséquent, à moins que l’on sache substituer rapidement une autre source d’énergie au pétrole dans sa principale utilisation, qui est le transport, ce qui est loin d’être évident, il faut s’attendre à une montée progressive de ce prix en moyenne, avec d’importantes fluctuations.
ES : Selon vous, la transition énergétique est inéluctable mais impliquera des difficultés de nature existentielle pour notre société industrielle. Qu’entendez-vous par là ?
BD : Cet ouvrage le montre : Une diminution substantielle de la disponibilité globale des combustibles fossiles à l’échelle mondiale est très probable bien avant le milieu de ce siècle, et, du fait de l’augmentation de population, elle sera encore plus grande par habitant de la planète. Du fait de leur importance dans le fonctionnement des sociétés industrielles, celles-ci devront «transiter» de sociétés «accros» aux combustibles fossiles à des sociétés ayant appris à s’en passer, et nul ne peut prédire si elles pourront s’adapter dans leur forme actuelle. Il s’agit donc bien d’une question existentielle.
ES : Dans la première partie vous détaillez la nature et la variété des combustibles fossiles. Pourquoi il est important à vos yeux que tout le monde comprenne ce sujet ?
BD : La culture dans ce domaine est très peu répandue, et cela provoque de joyeux mélanges de genre et des confusions regrettables, en particulier dans les médias. Pour bien comprendre les difficiles transformations à venir et en discuter de manière sensée, il vaut mieux avoir une idée assez précise de ce dont on parle.
ES : Dans la deuxième partie vous faites des estimations sur les réserves restantes et évaluez les conséquences . Pensez-vous qu’il faille tirer la sonnette d’alarme ?
BD parmi les messages que je souhaite faire passer, il y a celui que ce n’est pas tant des réserves existantes ou encore à découvrir dont il faut discuter, mais surtout de l’évolution future de leur vitesse possible de production. Cette vitesse possible conditionne en effet étroitement nos possibilités de croissance économique d’une année sur l’autre. Pour faire une comparaison: la vitesse possible d’une voiture de dépend pas sur l’instant du volume de son réservoir, mais de la taille de son carburateur. C’est aussi cette vitesse qui va contraindre la rapidité et l’importance des efforts à faire pour réussir la transition énergétique, c’est-à-dire, rappelons-le, le passage de sociétés vivant des combustibles fossiles à des sociétés ayant appris à s’en passer.
Cela étant dit, évaluer les réserves restantes est cependant indispensable pour évaluer les vitesses de production sur le long terme. Or, et c’est un deuxième message que je voudrais faire passer, les valeurs «officielles» qui circulent dans les médias et sans doute aussi dans les ministères me paraissent très surévaluées, comme je l’explique dans cet ouvrage. Alors oui, je tire la sonnette d’alarme.
Petroleum, natural gas and coal: nature, formation mechanisms, future prospect in the energy transition, par Bernard Durand (Préface de Jean-Marc Jancovici), vient de paraître chez EDP Sciences.
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