Alors que le monde est frappé par la pandémie, TheEuropeanScientist lance un tour d’Europe des mesures prises par les différents pays européens. Pour la Belgique, nous avons interviewé Marc G. Wathelet, chimiste de formation et docteur en Biologie Moléculaire (ULB). Il a travaillé sur l’interaction entre les virus et la réponse immunitaire innée, en se concentrant sur la réponse antivirale naturelle de la cellule humaine, avant de se tourner vers le virus SRAS. Il a également effectué cette recherche aux États-Unis, d’abord à l’Université d’Harvard, puis au collège de médecine de l’Université de Cincinnati et enfin à l’Institut Lovelace qui se consacre exclusivement aux maladies respiratoire et la biologie des aérosols.
Comment la Belgique a-t-elle fait face à la crise ?
C’est difficile de donner une bonne note à la Belgique. L’erreur originelle et la plus grave est l’absence de réserve stratégique de l’équipement nécessaire pour faire face au surcroit de patients dans le cas d’une pandémie. Ni le matériel de protection personnelle, ni celui nécessaire au dépistage n’est disponible dans les quantités requises, et cela handicape considérablement la réponse du gouvernement à la crise et limite les options d’intervention. Dans ce contexte, ne pas recommander à la population d’éviter de voyager dans des zones à risque, et surtout ne pas mettre en quarantaine ceux qui revennaient des congés de carnaval, est une deuxième erreur aux conséquences lourdes. Je calcule qu’environ mille personnes sont revenues infectées et que nous aurions gagné 3-4 semaines sur la propagation du virus en Belgique si nous avions mis en quarantaine les quelques dizaines de milliers de voyageurs qui nous revenaient des régions à risque. Ensuite nous avons un cafouillage insensé qui continue au niveau du dépistage, comment un pays peut-il dépendre d’un seul laboratoire limité à l’analyse de quelques milliers de cas par jour? On étend cette capacité aux laboratoires de biologie clinique du pays, avant de leur retirer l’analyse pour la confier au privé, mais on reste bien en de ça de la capacité requise et énormément de cas qui devrait être testés d’un point de vue santé publique ne sont toujours pas analysés. De même un dépistage sérologique s’impose mais on traine à le faire. Devant cette faillite, il aurait fallu instaurer un confinement plus tôt et interdire toute activité économique non essentielle, car les mesures de distanciation sociales sont inefficaces pour un virus qui se transmet par des personnes asymptomatiques et par le mode aérosol. Ces modes de transmissions sont bien établis scientifiquement et pourtant les scientifiques qui conseillent le gouvernement refusent de les prendre en compte sous prétexte que l’OMS ne les reconnait pas. L’OMS a une part de responsabilité très importante dans la mauvaise gestion de la crise par la Belgique et la plupart des pays, en minimisant le danger posé par ce nouveau coronavirus. L’OMS considère que COVID-19 est peu contagieux et se transmet comme SRAS ou MERS, à savoir seulement par surfaces contaminées et par les gouttelettes émises lors d’un éternuement ou d’une toux. L’OMS n’a pas considéré que SRAS et MERS étaient des exceptions parmi les virus respiratoires: les individus infectés n’étaient contagieux que 4 ou 5 jours après l’apparition des symptômes. Au contraire, les patients COVID-19 sont contagieux au moins un jour avant l’apparition de symptômes, et 80% des infections sont dues à des personnes contagieuses mais asymptomatiques. Les méthodes qui avaient permis de contrôler SRAS et MERS sont donc complètement inadéquates pour contrôler COVID-19, ce qui explique sa propagation beaucoup plus rapide à travers le monde.
D’après-vous y a-t-il un/des pays en Europe qui s’en sortent mieux que les autres ?
Il faudra attendre pour comparer la performance des pays européens, et pour faire une bonne comparaison il faudra comptabiliser les différents décès et leur relation au COVID-19: les personnes en relative bonne santé décédées suite à une infection COVID-19, les personnes présentant une ou plusieurs co-morbidités décédées suite à une infection COVID-19 et les personnes non-infectées par COVID-19 mais décédées suite à l’indisponibilité de soin de santé normaux. C’est l’excès de décès toutes catégories confondues comparé à la norme saisonnière qui est la vrai mesure de l’impact de la pandémie en Europe. La structure démographique de chaque pays va affecter le bilan total au vu de l’impact de l’âge sur la mortalité associée aux infections COVID-19, ainsi que la constitution génétique de ces populations. Une fois que ces facteurs seront établis, l’impact de la structure hospitalière de chaque pays et des décisions prises par chaque gouvernement pourra être estimé. Il semblerait que l’Allemagne, avec sa stratégie de dépistage massif et sa plus grande capacité hospitalière générale et de soins intensifs, est la mieux placée pour faire face à cette pandémie en Europe.
L’UE semble être la grande absente ? Avez-vous un avis ?
L’Union Européenne est avant tout une union économique et financière, et elle n’est donc pas structurellement en position de répondre efficacement à cette crise. L’union politique a toujours été illusoire et cette crise expose l’absence de vrai solidarité européenne au niveau des décideurs; le spectacle de ministres européens qui ne peuvent pas se mettre d’accord et décident de ne rien décider et de se revoir une semaine plus tard alors que le virus n’en a cure et continue à se propager est affligeant, tout comme les disputes sur ou les détournements de matériel sanitaire. Le modèle néo-libéral qui domine l’Europe a sapé les systèmes de santé au point de les rendre si fragiles qu’un surcroit relativement modeste de cas nécessitant une hospitalisation suffit à le déborder. On se cache derrière des « valeurs européennes » de liberté de mouvement pour justifier le laisser-faire sanitaire, alors que le risque d’une pandémie justifie pleinement la fermeture temporaire des frontières. La liberté individuelle s’arrête là où celle d’autrui commence, notamment le droit à la vie. L’Europe doit être repensée pour servir la population européenne avant les intérêts financiers des « élites », et cette crise qui démontre les failles du projet européen est l’occasion d’imaginer et de créer une Europe plus juste.
Certains pays d’Asie semblent faire mieux que nous. Est-ce normal ?
Oui, si des pays comprennent les principes de santé publique et de solidarité sociale mieux que d’autres, et les appliquent, ils vont bien sûr mieux s’en tirer dans une crise sanitaire. Taiwan est le seul pays qui ne fait pas partie de l’OMS et est celui qui s’en est le mieux tiré malgré leur proximité à l’épicentre de la pandémie. De fait, leur système de surveillance est tellement bon qu’ils étaient les premiers à avoir détecté l’épidémie en provenance de Wuhan. Ils ont du développer par eux-même leur système de santé publique lors de l’épidémie de SRAS en 2002-2003, car c’est le seul pays qui ne fait pas partie de l’OMS suite à des pressions de la Chine. Taiwan a non seulement bien appris les leçons de SRAS, mais aussi ils ont tout de suite reconnu que COVID-19 était fort différent de SRAS, et ils ont adapté leur réponse aux propriétés de COVID-19, contrairement à l’OMS. En réalité, la seule chose qui nous empêche de faire aussi bien que Taiwan, Singapour et Hong Kong est simplement notre idéologie du profit avant tout, au détriment de l’intérêt commun, qui conduit à une faiblesse systémique des institutions qui supportent la population.
Que pensez-vous de la Chloroquine ? Est-elle autorisée en Belgique ?
L’hydroxychloroquine, qui est 7-8 fois plus efficace que la chloroquine, est autorisée en Belgique dans le milieu hospitalier. De la même manière qu’il faut prendre des mesures drastiques le plus tôt possible dans une épidémie pour la limiter, il faut donner un antiviral aussi tôt que possible, mais ce n’est pas le cas en Belgique et dans d’autres pays d’Europe, et donc l’efficacité clinique de cette molécule n’est pas testée de manière qui puisse la démontrer ou l’invalider. Étant donné son profil d’effets secondaires rares et bien compris, il est absurde qu’en absence d’alternative et du temps nécessaires pour faire les études normalement faites avant d’approuver l’utilisation d’un médicament, et dans une situation où l’équipement de protection personnelle était absent, l’hydroxychloroquine n’ai pas été mis à la disposition du personnel de première ligne comme prophylactique pour ceux qui l’auraient souhaité. De même, l’hydroxychloroquine aurait du être mise à la disposition des médecins généralistes et pour les résidents et le personnel des maisons de repos, cela aurait probablement évité bien des morts dues à ce virus.
Lire les autres interview de notre série « L’Europe face au Covid-19 » :
L’Europe face au Covid-19 (série) I De Kervasdoué : « La France fait ce qu’elle peut »
Totalement paradoxal d’expliquer le fait que Taiwan Singapour et la Corée du Sud s’en sont mieux sortis par le fait que la Belgique aurait « une idéologie du profit ».
Ces pays sont bien plus « capitalistes » que la Belgique.
« En réalité, la seule chose qui nous empêche de faire aussi bien que Taiwan, Singapour et Hong Kong est simplement notre idéologie du profit avant tout, au détriment de l’intérêt commun, qui conduit à une faiblesse systémique des institutions qui supportent la population. »
Au-delà de cette déclaration, pouvez-vous davantage argumenter ce point?
Merci.