Ces dernières années, des juristes ont pris position sur la problématique des champs électromagnétiques, et démontrèrent ainsi, dans des tentatives parfois non dissimulées de jeter le doute sur l’impartialité et la qualité de l’expertise scientifique, qu’il n’est jamais bon que des hommes de lois s’improvisent hommes de science.
Des experts maltraités…
Dans un article paru en Février 2017 dans le Monde Diplomatique[1], Olivier Cachard, Professeur de droit et auteur d’un ouvrage intitulé « le droit face aux ondes électromagnétiques », avoue ainsi douter de « la pertinence des études conduites par certaines agences nationales qui, placées sous la tutelle directe de l’Etat, ne disposent pas d’un vivier de chercheurs publiant dans le vaste domaine où elles prétendent exercer une expertise » et souhaite que « des chercheurs ayant directement travaillés sur ces sujets (…) fournissent un travail qualitatif d’information des gouvernants », discréditant de fait les travaux d’expertise d’agences comme l’ANFR, dont il précise qu’elle n’est « pas une autorité administrative indépendante »[2]. Cette idée que le travail des chercheurs peut être directement entendu par le politique sans filtrage par la communauté des pairs ne peut-être affirmée que sous l’influence d’une méconnaissance du fonctionnement de la science en général et de la problématique des effets faibles doses en particulier. En effet, contrairement aux études des effets thermiques des ondes, relativement simples à reproduire, avérés et contre lesquels nous protègent efficacement les normes en vigueur, l’étude des faibles doses est un domaine complexe où les biais peuvent entacher très significativement les résultats. Par exemple :
- L’évaluation de l’exposition peut être accompagnée d’incertitudes importantes, notamment dans les études cas-témoins.
- Les aléas statistiques permettent des erreurs d’interprétation.
- Les facteurs confondants peuvent être ignorés ou mal pris en compte.
- L’absence parfois de compétences multidisciplinaires des équipes de recherche peut introduire des erreurs expérimentales.
- Les biais de publication peuvent favoriser certains résultats plus vendeurs.
La présence potentielle d’un ou de plusieurs de ces biais dans les études rend nécessaire les revues systématiques, qui permettent de décider de la valeur de l’étude et de dégager la quantité d’études valides confirmant ou infirmant le phénomène étudié. Cette démarche permet de dégager un consensus autour de faits bien établis car vérifiés par les pairs. Demander aux chercheurs de présenter directement, sans le filtre de la confrontation aux pairs et de la réplication, leurs résultats aux politiques, c’est permettre à l’erreur de devenir un fait.
Pour certains cependant, comme Vincent Corneloup, l’avocat de l’association Reporterre, ce travail scientifique consensuel et pluridisciplinaire existe et démontre la dangerosité des ondes[3]. Il s’agit du rapport Bioinitiative. Pour rappel, une expertise scientifique consiste à mobiliser des scientifiques reconnus par leurs pairs pour:
- analyser les études publiées,
- éliminer les résultats non répliqués,
- analyser la force des protocoles expérimentaux et la significativité des résultats, notamment d’un point de vue statistique,
- et produire un rapport approuvé par tous les rédacteurs, ou mentionnant les avis minoritaires.
Or, le rapport Bioinitiative ignore certaines études récentes, se base sur des résultats non reproduits, et consiste en une succession de chapitres écrits « sous la seule responsabilité de leurs auteurs »[4]. Etre avocat ne suffit donc pas, semble-t-il, à distinguer un vrai rapport d’expertise d’un rapport partiel et potentiellement partial.
… remplacés par des avocats ou des juges sans légitimité scientifique.
Des cabinets d’avocats se spécialisent pourtant dans les préjudices liés aux ondes électromagnétiques. C’est le cas du cabinet Lexprecia qui se donne pour mission « de faire bénéficier aux clients d’une méthode de preuve éprouvée dans le cadre de contentieux techniques (inventions) afin de démontrer en justice – de la manière la plus rigoureuse qui soit – la réalité factuelle du lien de cause à effet entre expositions aux ondes électromagnétiques et préjudices physiques subis par les personnes», en considérant qu’ « un nombre croissant de personnes diagnostiquées électrohypersensibles à la suite de divers évènements (comme une surexposition aux ondes électromagnétiques, un remplacement de matériaux dentaires, une intoxication aux métaux lourds) implique que ces personnes doivent être défendues »[5]. Face à ces propositions de service, on rappellera simplement que le diagnostic d’électrohypersensibilité n’existe pas aujourd’hui, qu’aucun tableau clinique spécifique ne peut y être associé et qu’aucun consensus scientifique n’a encore abouti à la preuve d’une « réalité factuelle de cause à effet » entre ondes et symptômes ressentis. Mais peut-être faudrait–il, pour faire avancer la science, que les biophysiciens cèdent leurs places en laboratoire aux avocats…
Des décisions de justice remarquées sont également régulièrement mises en avant pour apporter des preuves là où la science n’en apporte pas… Mais les décisions de justice ayant donné gain de cause à des plaignants ne constituent pas un argument utilisable pour démontrer un effet sanitaire des ondes. Car l’analyse des juges, qui n’ont pas plus de compétence en science qu’en a le commun des mortels, n’est pas recevable d’un point de vue scientifique. L’expérience montre d’ailleurs qu’une cour peut confondre experts et charlatans. Par exemple, dans une ordonnance en référé en date du 26 Septembre 2016, le tribunal d’instance de Grenoble, devant statuer sur la plainte d’une personne déclarant être devenue malade après l’installation d’un compteur d’eau communiquant par Radiofréquence, a considéré qu’il résultait « des nombreux certificats médicaux versés aux débats que Mme (…) présente une hypersensibilité aux champs électromagnétiques, ce qui nécessite impérativement sa mise à l’abri d’un maximum de sources électromagnétiques même de faible intensité, sous peine d’atteinte à sa santé sous forme d’une détérioration cérébrale sévère» et tenait à préciser que, d’après une expertise réalisée au domicile de la plaignante, « la plupart des pollutions hautes fréquences étaient en partie dues aux divers connections Wifi des appartements de l’immeuble ». Or l’ expert était un … géobiologue. On rappelle que la géobiologie de l’habitat est une fausse science dont nous avons déjà dénoncé les mensonges[6], qui mélange des concepts ésotériques et un jargon scientifique pour se donner l’apparence de rigueur et qui entretient la confusion par son homonymie avec la géobiologie, une science de la terre qui n’a rien à voir.
Au 21° siècle, voir la justice française régler des litiges à coup de sorcellerie nous fait presque oublier que notre pays fut le berceau des Lumières et de la lutte contre l’obscurantisme… définitivement, la science ne se décide pas au tribunal, et les reconnaissances de handicap passés et à venir ne peuvent constituer un quelconque argument pour démontrer d’éventuels effets sanitaires des ondes en dessous des seuils d’effets thermiques.
La science condamnée
La science, avant toute chose, est affaire de scientifiques et les conclusions ou théories développées en dehors de la méthode scientifique par des non-scientifiques n’ont pas de valeur. Sur un sujet aussi complexe que celui de l’effet des faibles doses de champs électromagnétiques, seule l’expertise, c’est-à-dire la revue des travaux par les pairs dans l’objectif de construire un consensus, peut permettre de faire émerger la vérité scientifique qui ne sortira jamais d’un tribunal ni de l’opinion mal informée d’un avocat. Faire croire le contraire, c’est travestir l’esprit scientifique et condamner notre société, après plusieurs siècles de progrès, à sombrer dans l’obscurité de l’ignorance.
[1] https://www.monde-diplomatique.fr/2017/02/CACHARD/57119
[2] On notera que l’indépendance n’est jamais un gage de compétence. En 2007, le CRIIREM, qui revendique son indépendance, publie une alerte sur la dangerosité des champs émis par les lampes fluocompactes, en se basant sur une campagne de mesures erronées (S.Point, Lampes toxiques : des croyances à la réalité scientifique, Editions Book-e-Book)
[3] https://reporterre.net/Ondes-electromagnetiques-Il-faut-appliquer-le-principe-de-precaution
[4] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1133
[5] https://lexprecia.com/activites/ondes-electromagnetiques/
[6] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2654
This post is also available in: EN (EN)