“Art au carrefour de plusieurs sciences”, la médecine en ce début de XXIe siècle est en passe de connaître une nouvelle révolution, à la manière de celle connue par le monde de la peinture au XIXe siècle. L’intelligence artificielle (IA) modifie les paradigmes médicaux, comme la photographie hier a renouvelé les fondements de la peinture.
Les soignants, aidés par les algorithmes, réinventent leur métier
La médecine est un art autant qu’une science, elle progresse autant grâce aux intuitions humaines qu’aux avancées techniques et technologiques. Les deuxièmes servant bien souvent à confirmer, affiner ou infirmer les premières. De nos jours, la médecine fait des pas de géants à la faveur de l’intelligence artificielle et ses algorithmes qui permettent d’améliorer les parcours de soins.
De plus en plus de spécialistes conçoivent cela comme une forme de nouvelle révolution médicale, au même titre que l’apparition des vaccins ou de la pénicilline, et à un changement de paradigme semblable à celui provoqué par la photographie dans la peinture où cette nouvelle technique avait mis un terme au courant réaliste et favoriser les mouvements impressionnistes ou surréalistes. En médecine, la révolution est en marche sur un vaste panel d’applications.
Au niveau de l’aide au diagnostic, l’intelligence artificielle permet de traiter un ensemble de données et de donner des indications cruciales aux soignants. L’algorithme peut s’avérer être un auxiliaire précieux, en particulier grâce à la méthode de l’apprentissage profond (deep learning). Grâce à cette dernière, des algorithmes sont, par exemple, capables de reconnaître des tumeurs et émettre des recommandations en analysant un scanner, de manière bien plus précise qu’un œil humain, même averti, mais surtout plus rapide. “Moi, radiologue, je mesure la taille du cancer, je décris où sont les éventuelles métastases, mais c’est une analyse très visuelle, dont je ne peux pas sortir beaucoup de paramètres. Alors que l’algorithme de l’IA, en prenant l’image à l’échelle du pixel et en l’analysant sans a priori, donne un résultat bien plus pertinent que ce dont est capable notre œil”, explique ainsi le professeur Olivier Humbert, praticien au centre Antoine-Lacassagne et chercheur à l’Institut 3IA, pour Nice-Matin. Quand on sait qu’un cancer détecté au plus tôt est un cancer mieux traité, l’intelligence artificielle pourrait permettre de faire progresser drastiquement l’espérance de vie des malades et de limiter les pertes de chance.
En 2018, une IA, baptisée BioMind, avait ainsi battu à plate couture une équipe composée de 15 médecins chevronnés des principaux hôpitaux chinois. Selon Wang Yongjun, vice-président exécutif de l’hôpital Tiantan où avait été menée cette expérience, l’entraînement reçu par l’IA lui avait permis de devenir compétente dans le diagnostic de maladies neurologiques telles que les méningiomes et les gliomes, avec un taux de précision de plus de 90 %, soit celui d’un expert reconnu. Sur des problématiques moins complexes mais tout aussi stratégiques dans un contexte toujours marqué de crise sanitaire liée à la Covid-19, l’IA est dejà pleinement opérationnelle. La société américaine Remark Holdings, l’un des leaders du secteur aux Etats-Unis, a ainsi mis en œuvre des capteurs automatiques de prises de température via des kits thermiques de biosécurité alimentés par une intelligence artificielle. Déjà opérationnels sur plusieurs établissements de la ville de New-York, les solutions de Remark Holdings sont aussi utilisées à Las Vegas pour rendre la prise de température moins invasive.
En matière d’innovation médicale, “sky’s the limit” pour l’intelligence artificielle
Le 16 décembre dernier, l’IA faisait ses preuves en matière de détection de la démence, une maladie neurodégénérative courante, mais dont l’apparition reste encore difficile à prévoir pour l’humain. D’après une nouvelle étude à grande échelle, elle pourrait prédire quelles personnes risquent de développer une démence deux ans à l’avance. Développé par des chercheurs anglais de l’université d’Exeter, ce modèle d’IA a été conçu à partir de l’analyse de patients, entre 2005 et 2015. Si aucun participant n’était atteint de démence au début de l’expérience, un sur dix (1 568) a reçu un nouveau diagnostic dans les deux ans qui ont suivi leur visite. Prévenus, ces derniers ont pu être pris en charge précocement, mais également prendre leurs dispositions.
Aujourd’hui les spécialistes du domaine médical sont très enthousiastes concernant les apports de l’IA à leur expertise.
Le Dr Ghanimi Rajae estime ainsi que dans le futur, “la médecine sera plus préventive que curative”. Les futures prouesses algorithmiques devraient accentuer la personnalisation de la médecine et par la même, produire “des modèles (…) capables de nous (les médecins, NDLR) accompagner à déterminer les interventions les plus efficaces, qu’il s’agisse de médicaments, de choix de vie ou même de simples changements de régime alimentaire” afin d’améliorer la santé des patients. Changement de paradigme complet, la médecine du futur sera une médecine améliorée “qui s’adresse non pas à des malades, mais à des individus sains susceptibles de développer une maladie donnée” : plus besoin d’attendre le symptôme pour guérir le patient.
Autre défi à relever, la formation des personnels soignants, encore peu habitués à travailler avec l’intelligence artificielle. Certaines filières universitaires ont ainsi d’ores et déjà pris les devants. “Les algorithmes, les médecins doivent avoir la capacité de les comprendre et de les critiquer. Or, ils ne font pas de mathématiques ni d’algorithmique dans leurs études. Nous avons donc mis en place un diplôme universitaire pour les former à la compréhension des mécanismes de l’IA. Cette filière a rencontré le succès, avec vingt-cinq inscrits dès la première année”, explique ainsi le professeur Olivier Humbert.