Dans la crise de Covid, plus que jamais, la nutrition est devenue un enjeu majeur. Avec la stratégie «De la ferme à la fourchette», l’Union européenne entend «assurer une transition vers un système alimentaire durable garantissant la sécurité alimentaire et l’accès à une alimentation saine produite sur une planète saine». C’est pourquoi la Commission envisage de mettre en place un nouveau système d’étiquetage nutritionnel pour toute l’Europe. C’est dans ce contexte que nous avons interviewé Raphael Sirtoli, co-fondateur de l’application Nutrita, candidat au doctorat en sciences de la santé, diplômé de l’université de Staffordshire. Raphael répond à nos questions sur l’étiquetage des aliments en général et propose sa propre vision en proposant des conseils concrets.
The European Scientist : En tant qu’expert en nutrition, vous semblez accorder beaucoup d’attention à l’étiquetage alimentaire. Pourquoi aider les consommateurs à prendre des décisions dans le choix de leurs aliments est essentiel? Et comment faire ? Vous avez créé une application pour cela. Pouvez-vous nous en dire plus.
Raphael Sirtoli : Pour être franc, on trouve énormément de mauvaise science imbriquée avec la thématique de l’étiquetage alimentaire. C’est un problème d’autant plus important que nous nous appuyons sur ces étiquettes pour savoir quels ingrédients nous ingérons et comment ils pourraient affecter notre santé. Un étiquetage alimentaire “scientifique”, digne de ce nom, doit, être pertinent et précis, mais hélas nous en sommes très loin.
Cette réalité m’a motivé mon équipe et moi pour créer Nutrita Pro, une application qui aide les consommateurs à faire des meilleurs choix par rapport à ce qu’ils mangent. Ils sont guidés par nos scores qui quantifie la valeur nutritionnelle réelle de dizaines de milliers d’aliments (nutrient density score), ainsi que leurs effets sur notre métabolisme (keto score et insulin score). Nos scores sont construits à partir de données cliniques humaines et de techniques d’apprentissage d’intelligence artificielle.
TES: Vous vivez au Royaume Unis où les autorités sanitaires ont instauré un système de feux tricolores qui permet de noter les aliments. Le système en question est en place depuis huit ans, quels enseignements peut-on en tirer ? Dispose-t-on aujourd’hui d’éléments tangibles qui permettent d’affirmer que cela a eu un impact véritable sur le comportement des consommateurs?
RS : Il n’y a pas vraiment de preuves de l’efficacité du système de profilage des nutriments mis en place par la British Food Standard Agency (autrement appelé étiquetage en feu tricolore). Il existe seulement quelques études observationnelles peu concluantes qui utilisent des données de régime auto-déclarées, mais pas vraiment d’études interventionnelles jusqu’à présent.
Pour ce qu’il en est des effets du système d’étiquetage sur le comportement des consommateurs, une étude interventionnelle a été réalisée à Bogota en Colombie. Elle a montré que le système d’étiquetage mis en place a poussé les consommateurs à dépenser 0.18$ de plus en moyenne et dépensé 21% en plus pour des aliments soi-disant « sains », que le groupe contrôle, mais sans aucune différence pour les aliments considérés comme moins sains. Aucun changement notable n’a été enregistré pour les consommateurs du groupe contrôle qui n’était pas exposé à l’étiquetage. Les dépenses estimées étaient également plus élevées pour les consommateurs qui avaient une connaissance du système d’étiquetage et ils étaient 10% plus susceptibles d’acheter des aliments plus sains. Il est intéressant de noter que la concentration de protéine dans les achats de ces consommateurs était plus haute en moyenne [étude].
TES : L’Union européenne débat actuellement de la possibilité d’instaurer un système d’étiquetage alimentaire à l’échelle de l’UE, l’un des principaux concurrents étant le Nutriscore français. Que pensez-vous de ce système d’étiquetage d’une part, et de l’idée de l’imposer à tous les pays européens d’autre part ?
RS : Le Nutri-score est le résultat d’une forme de “science par consensus”. Autrement dit, c’est un méli-mélo de propagande d’industrie agroalimentaire et de directives gouvernementales archaïques. Ceci est également vrai pour le système d’étiquetage Britannique et tout les autres systèmes futurs qui se reposeront sur ces fondations scientifiques erronées.
Je suis contre l’imposition légale d’un standard scientifique pour l’étiquetage alimentaire au sein de l’Union Européenne, parce que, quand nous ferons une erreur, et nous en ferons certainement, puisque nous n’avons toujours pas appris de nos erreurs passées, il nous sera alors possible de limiter l’étendue des dégâts, plutôt que de les accentuer. Je préférerai qu’on propose aux consommateurs différentes méthodologies et qu’on les fasse voter pour le système qu’ils trouvent le plus efficace. Dans ce contexte on donne sa chance à la bonne science d’être mise en concurrence.
TES : En février, le médecin et nutritionniste français Philippe Legrand nous a expliqué que « le pilier lipidique de cet algorithme du Nutriscore est erroné (car daté) et en contradiction totale avec les ANC de l’ANSES. » Y-a-t-il encore trop d’a priori négatifs sur les régimes alimentaires, notamment sur le gras. Et peut-on se fier à un système qui renforce certains a priori négatifs ?
RS : Philippe Legrand a raison de rappeler que le Nutriscore ne devrait pas pénaliser les aliments avec un taux de gras “élevés”. Par contre, je suis en désaccord sur l’ANC lipidique de l’ANSES défini entre 35 et 40%. C’est écart est fictif du point de vue scientifique, puisque nous savons pertinemment que des diètes riches en gras (par exemple la diète cétogène) peuvent être non seulement saines et même plus très efficaces du point de vue thérapeutique (voir à ce sujet les études Virta Health). Tout en disant cela, il est important de nuancer car elles peuvent aussi être malsaine, en fonction du type de gras que l’on choisit, par exemple. Il faut apporter de la nuance dans cette discussion, un élément totalement inexistant dans l’ANC lipidique de l’ANSES ou encore dans le Nutriscore.
TES : Une alternative italienne, baptisée Nutrinform, s’efforce de se limiter à fournir des informations objectives sur les quantités de nutriments par rapport aux valeurs quotidiennes recommandées. Comment évaluez-vous cette approche ?
RS : Le Nutrinform opte pour les niveaux de charge de batteries plutôt qu’un système de codage de couleur façon Nutriscore. Il n’utilise pas de portions standardisées et rend donc la comparaisons entre plusieurs aliments difficile, voire, impossible. Il y a un effort visible de ne plus systématiquement pénaliser tout aliment avec un teneur en gras élevé. Le Nutrinform est une tentative de faire mieux que le Nutriscore, et surtout de ne pas pénaliser la nourriture traditionnelle Italienne grasse comme le Parmesan. Malgré cela, les fondamentaux scientifiques sur lequel Nutrinform se fonde sont tout aussi erronés.
TES : La pandémie de COVID-19 va obliger les consommateurs à repenser leur façon de s’alimenter. Dans nos colonnes le professeur Aseem Malhotra a évoqué le lien entre obésité, diabète de type deux et cas sévère de Covid et insisté sur la nécessité de prévenir la maladie en faisant davantage attention à son régime alimentaire. Quels conseils généraux donneriez-vous aux personnes qui souhaitent avoir une alimentation saine et équilibrée ?
RS : Je suis en parfait accord avec le Dr Malhotra sur le rôle fondamental que joue l’alimentation dans notre santé et conséquemment notre capacité de résilience aux virus, y compris le SARS-COV-2. Trop peu de médecins parle de l’importance des ‘lifestyle choices’ (facteurs de style de vie) dans notre résilience face au COVID-19.
Je résumerais mes recommandations de la manière qui suit
Nourriture
Évitez les produits à base de farine (ex. pain, pâtes), d’huiles végétales avec beaucoup d’oméga-6 (ex. huile de soja, de colza, huile de maïs) et de sucre (e.g. soda, jus de fruits, bonbons). Mangez des repas riches en produits d’animaux (ex. boeuf, fruits de mer, poisson, oeufs). Mangez deux à trois fois par jour et donc éviter de grignoter.
Sommeil/lumière
Dormez sept à huit heures régulièrement, en vous couchant de préférence avant minuit. Prenez le soleil autant que vous pouvez au long de la journée (sans prendre de coups de soleil), et commencez dès le matin si possible.
Temperature
Habituez-vous progressivement aux douches froide et à l’exposition au froid plus généralement. (voir la méthode Wim Hof). Maintenir une température corporelle appropriée, que ce soit dans un contexte froid ou chaud, est fondamental au bon fonctionnement de notre système immunitaire. Selon moi, ceci n’est pas assez étudié dans le champ de l’immunologie.
Le sport/l’activité
Evitez la sédentarité (ex. utiliser des alertes pour vous rappeler de vous lever et marcher). Si possible, vos activités prioritaires devraient vous aider à acquérir suffisamment de masse musculaire : par exemple, plutôt la gymnastique, la natation ou l’haltérophilie que la course à pied ou le yoga.
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Bonsoir,
je suis très étonné de découvrir une altération de ce que signifie « science par consensus ». La bonne science qui correspond aux connaissances du moment est établie « naturellement » par consensus (usage justifié que rejette le professeur Raoult, mais ce n’est pas l’objet de mon commentaire). Or l’interprétation négative donnée ici va à l’encontre de la concrétisation de la connaissance scientifique. Je comprends, bien entendu, que dans cet article on mélange et critique, à juste raison, les désirs de l’industrie et le comportement supposé archaïque du pouvoir politique: ce n’est plus, effectivement, de la science. Mais il est malsain d’y accoler la qualificatif de « consensus », collusion ou autres termes probablement meilleurs seraient préférables. Le consensus, en science – et non pas le savoir d’une personne ou une décision prise par vote majoritaire, par exemple, qui n’ont aucun sens – est un élément essentiel pour qualifier la bonne direction choisie et l’état des lieux sur un sujet donné, étant bien entendu que les connaissances scientifiques continueront à évoluer et pourront probablement être remises en question à juste raison par « consensus scientifique ». En résumé, prenons grand soin de na pas utiliser des expressions inappropriées qui restent d’affaiblir leur bon usage.
Cordialement
François Vazeille