Des documents fuités révèlent que la Commission européenne avait l’intention de modifier en catimini la portée du règlement européen sur les perturbateurs endocriniens.
La législation de l’UE sur l’autorisation des biocides (pesticides et herbicides), qui est basée sur le principe de hazard (« danger potentiel »), est une exception du fait de son haut niveau de protection. Elle s’inspire de fait du controversé principe de précaution. Seulement, s’il ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique, il partage aussi visiblement la classe politique. Quelques 660 documents confidentiels que la justice européenne a partagé avec l’ONG Pesticide Action Network (PAN) révèle le positionnement plus qu’ambigu de l’exécutif européen pour infléchir la législation sur les perturbateurs endocriniens.
La Commission aurait ainsi secrètement tenté d’affaiblir le règlement européen 1007/2009 sur les produits phytopharmaceutiques, qui prévoit d’interdire tout pesticide perturbant le système hormonal, en aval de sa publication. Il revenait en effet à l’institution de poser les critères retenus pour définir ces derniers. Or, après une attente de cinq ans à compter de la publication du texte (2013) – un délai clairement injustifiable au vu de la tâche – les directions générales (DG) de l’agriculture, de l’entreprise, du marché libre et même de la santé, ont retenu des critères jugés très restrictifs par les ONG et de nombreux scientifiques.
Dans un mail datant de janvier 2014 la DG de l’entreprise avait déjà révélé ses intentions dans une note interne : « Comme l’étude d’impact comprend différentes options qui nécessitent des changements des textes législatifs, il n’y a aucune raison de ne pas inclure comme option « l’évaluation par le risque », c’est-à-dire assumer la suppression de « l’évaluation par le danger » ». Une prise de position contraire à la lettre du règlement. Deux mois plus tard, dans un email, la direction de la santé persistait et signait : « L’étude ne remet pas en question directement la validité de la législation originelle mais donne une analyse qui justifie de la changer. » Autrement dit, une contradiction.
Ces révélations ont provoqué un tollé parmi les défenseurs de l’environnement et de la santé humaine. « Un certain nombre de fonctionnaires de la DG Santé [de la Commission], jusqu’à des gens occupant les postes les plus élevés au sein de la Commission, ont utilisé leur position pour servir les intérêts de l’industrie » a ainsi réagi l’eurodéputé vert Bart Staes, après avoir lu les documents révélés par la justice européenne. « La Commission a choisi le camp de l’industrie ; pas celui de la santé alors que les effets nocifs des pesticides sont connus depuis les années ’90 », a pour sa part réagi Hans Muilerman coordinateur des campagnes relatives aux produits chimiques de PAN Europe.
Si les perturbateurs endocriniens ne font en effet pas l’objet d’un consensus scientifique, il semble bien illégitime que la Commission puisse ainsi fausser la donne, et altérant le choix du parlement – et donc indirectement des citoyens européens. Ce n’est pas le rôle de la Commission de modifier les législations votées par les Etats membres et le Parlement. Elle doit seulement les appliquer loyalement et scientifiquement », estime ainsi Hans Muilerman. Si le rejet du principe de précaution était finalement acté, il serait tout à fait possible de modifier le règlement. Mais pour ce faire, encore faudrait-il respecter la procédure et non le faire en catimini, sans consultation du public.