Alors que les Européens s’apprêtent à faire quelques excès pour célébrer le passage à la nouvelle année, un débat se profile au sein de la nouvelle Commission européenne. La France revient à la charge pour imposer son Nutri-Score aux autres pays membres. Une initiative qui est loin de faire l’unanimité et risque encore d’attiser les accusations de tropisme bureaucratique bruxellois.
Une Saint-Sylvestre rouge-orange
De « D orangé » pour le pain surprise Tipiak[1] et la bûche glacée Picard[2] au « E rouge » pour le foie gras Labeyrie[3], le Nutri-Score voit rouge-orange quand on lui présente le menu traditionnel français de la Saint-Sylvestre. On savait déjà que le réveillon était l’occasion de tous les excès et ce système d’étiquetage nutritionnel introduit par les autorités sanitaires françaises semble en donner une confirmation.
Pour vérifier par vous-mêmes, il suffit de chercher sur le packaging le logo composé de cinq couleurs (de vert clair à rouge) associées à des lettres (de A à E). Cette petite étiquette prétend désormais guider le consommateur en France, en Belgique et en Espagne sur la base du volontariat. Introduit en 2017 dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé, elle s’inspire du traffic light rating[4] (étiquetage en feu de circulation), système mis en place en 2013 au Royaume-Uni, tout en étant différent de celui-ci.
En effet, alors que ce dernier donne des informations sur la quantité de gras, de sucre et de sel que contient un produit, le Nutri-Score, lui, repose sur un calcul issu des travaux de l’équipe du professeur Serge Hercberg. Sur 100 grammes de produit il s’agit de calculer « la teneur en nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits et légumes) et en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel). Chaque produit obtient ainsi une note globale en fonction de ces paramètres et se retrouve classé de manière catégorique comme bon ou mauvais pour la santé.
Mais à part nous confirmer que le menu de Nouvel An n’est pas ce qui se fait de mieux pour notre santé, que nous apprend vraiment ce système de notation ? Réalise-t-il cet idéal de transparence que le consommateur attend de ses vœux ?
Plus de transparence oui, mais attention aux simplifications trompeuses
Il semble évident que face à une industrie agro-alimentaire qui innove chaque jour pour délivrer un choix de plus en plus vaste, le consommateur a besoin d’être pris par la main. Pour autant, tous les systèmes de notation ne se valent pas. Aussi, il serait dommage d’inculquer au public de mauvaises habitudes sous prétexte d’un « message simplificateur ». Tel est bien pourtant l’ambition du Nutri-Score : simplifier – pour ne pas dire – pré-mâcher le travail de choix aux consommateurs. Ainsi, comme le souligne un des représentant des associations qui militent pour ce système de notation, « la mauvaise qualité nutritionnelle d’un trop grand nombre d’aliments industriels est (l’)une des principales causes du taux élevé d’obésité, de maladies cardio-vasculaires et de diabète », et que « la complexité des tableaux […] figurant sur les emballages aboutit à ce que 82 % des consommateurs ne les comprennent pas »[5].
Et pourtant, comme le remarquait déjà Guy André Pelouze dans Le Monde en 2014 à propos du Nutri-Score et bien avant qu’il soit mis en application : « les bonnes intentions ne font pas de bonnes politiques » [6]. D’après lui avec ce genre de système on risque de prendre le consommateur pour un « chien de Pavlov ». A la vue de certaines couleurs, des individus remettraient le produit sur la gondole pendant que d’autres, au contraire, « rempliraient leur caddie des produits “bien” colorés. Les comportements alimentaires sont, heureusement, plus complexes. »
Ensuite, il ne faut pas accorder à l’algorithme un pouvoir magique qu’il n’a pas et imaginer qu’il suffit de le suivre pour atteindre une santé optimale. Enfin, le chirurgien cardio-vasculaire, rappelle que ce qu’il considère comme « nouvelle couche de bureaucratie » est « inefficace compte tenu des enjeux que constituent l’obésité, la sédentarité, le tabagisme et les maladies chroniques qui y sont attachées. »
La scientificité « en question » des « profils nutritionnels »
Sur son blog, Serge Hercberg rappelle que « Le Nutri-Score, tant dans sa construction que sa validation, repose sur des bases scientifiques très solides (avec plus de 30 publications scientifiques dans des revues internationales à comité de lecture) démontrant son efficacité et sa supériorité par rapport à tous les autres systèmes de logo nutritionnel (qui n’ont pas un dossier scientifique aussi convaincant) »[7]. C’est un argument de poids. On se demande alors pourquoi il faut tant d’énergie pour le faire accepter par les autorités européennes ?
Ainsi, le Nutri-Score et le Traffic Light Labelling reposent tous les deux sur la théorie des profils nutritionnels qui classe les aliments en catégories « bonne » ou « mauvaise ». Or la scientificité de cette discipline a été questionnée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2008 déjà [8] dans un avis qui a fait jusqu’à présent autorité en Europe. Les arguments évoqués par l’autorité européenne sont assez simples à comprendre, en voici les principaux :
- La composition et les effets nutritionnels de chaque aliment varient en fonction de l’association avec d’autres aliments.
- La cuisson et le mode de préparation peut faire varier la composition des aliments.
Notons que les doutes de l’EFSA ont été confirmés par plusieurs études[9] aussi le fait qu’il existe une grande quantité de systèmes de notation développés par des états, des associations ou des entreprises qui s’appuient sur les profils nutritionnels est une preuve de plus d’un manque de scientificité.
Le régime méditerranéen à la trappe ?
En avril 2018, dans un éditorial intitulé « Une nouvelle révolution diététique en Europe ? » nous avions rapporté une conférence de presse donnée au Parlement européen par le docteur Aseem Malhotra. L’objectif de ce chirurgien cardio-vasculaire, auteur du Best-Seller Pioppi Diet[10] était d’interpeller les membres de la Commission européenne pour qu’ils lancent une campagne de sensibilisation afin que les citoyens préfèrent changer leurs habitudes alimentaires plutôt que d’être obligés de consommer une trop grande quantité de médicaments pour soigner les MCV ou des diabètes de type 2, par exemple.
Or la solution préconisée par l’auteur sur le plan alimentaire s’appuie essentiellement sur le régime méditerranéen et préconise que le gras, souvent montré du doigt, n’est pas forcément mauvais pour la santé[11]. Rappelons également que le régime méditerranéen a été inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2013[12] et que l’Italie et l’Espagne ont été considérées comme faisant partie des pays où le mode d’alimentation contribuait davantage à la bonne santé des habitants.[13]
On est alors en droit d’imaginer que les aliments qui font partie de ce régime sont signalés de manière positive par le Nutri-Score. Or étonnemment, ce n’est pas vraiment le cas. Alors que l’Espagne réfléchissait à adopter le système français pour ses produits, des rumeurs sont nées quand on a découvert qu’une canette de coca-cola obtenait la note « B vert clair », alors qu’une bouteille d’huile d’olive – produit local – obtenait un « D orangé » et donc se trouvait être moins bien notée ; un classement d’autant moins avantageux pour cet aliment local connu pour ses nombreuses vertus, qu’en plus, il le mettait au même niveau qu’une bouteille de ketchup[14]. On imagine la réaction des Espagnols. Là encore l’équipe de Serge Hercberg s’explique et tente de relativiser en montrant que dans tous les autres systèmes l’huile d’olive a ce genre de classement et que l’opinion ne s’en est préoccupée qu’avec le Nutri-Score[15].
La nouvelle commission sera-t-elle plus conciliante ?
Alors que le Règlement de l’UE sur l’information alimentaire pour les consommateurs (1169/2011)[16] a établi pour principe de fournir une information claire et transparente aux consommateurs sur la qualité nutritionnelle de chaque aliment, on vient de voir que ce n’était pas vraiment le cas des systèmes de notations qui s’appuient sur les profils nutritionnels. Simplifications trompeuses, scientificité questionnée (pour ne pas dire remise en cause) par les autorités européennes compétentes, aveuglement sur certains produits phares et hautement recommandés dans des régimes ancestraux… les reproches adressés au Nutri-Score s’accumulent ce qui peut expliquer pourquoi le système en question a déjà été rejeté deux fois par le Parlement européen en 2016[17]. Comme l’a titré Food Navigator : « le Parlement européen a voté pour se débarrasser des profils nutritionnels ». Ainsi, le magazine spécialisé explique que ce vote a laissé les associations de consommateurs, les activistes de la santé publique et certains industriels décontenancés par ce vote qui a affiché un score assez large de 402 voix en faveur de la disparition des profils nutritionnels et 285 voix contre. Les deux raisons principalement invoquées pour ce rejet étant « les problèmes persistants liés à l’implémentation » et une possible distorsion du marché. Les promoteurs de cette solution auront-ils plus de chance avec la nouvelle commission [18] ?
L’avenir appartient au système individualisé et non au « one size fits all »
Un sujet comme celui du Nutri-Score n’est pas seulement scientifique, il est aussi politique. On se doute en effet qu’imposer un système de notation à l’ensemble des pays de l’UE ne va pas de soi et peut laisser court à certaines rumeurs notamment ce serait un outil pour une forme de protectionnisme déguisé [19]. Surtout si le système en question accumule les critiques de la part de nombreux experts européens. Or il n’en reste pas moins que l’industrie agro-alimentaire se doit d’informer davantage les consommateurs.
La question qui se pose est alors celle du choix du système de notation. Or récemment, on sait que des progrès remarquables ont été faits, qui permettent à chaque individu de choisir de manière fine et adaptée les aliments qui lui conviennent. Ainsi, le Weizmann Institute of Science d’Israël a mené des études qui démontrent que chaque individu a une réaction personnalisée pour un type d’aliment donné.
Une solution qui semble aller largement à l’encontre des profils nutritionnels[20]. Si on s’oriente vers la possibilité de recommandations alimentaires « sur-mesure », alors on ne comprend pas bien pourquoi, il faudrait aiguiller en erreur les consommateurs avec des profils nutritionnels de l’ordre du « One size fits all » (la même taille pour tout le monde) … Imagine-t-on imposer le menu français gargantuesque de Nouvel An à tous les pays de l’UE ? Certainement pas, cela ne viendrait à l’idée de personne. Chaque pays tient à sa tradition et à ses propres excès… ainsi qu’à ses diètes et résolutions du lendemain pour repartir du bon pied.
Alors que la bureaucratie bruxelloise est de plus en plus sous le feu des critiques des différents pays membres pour les travers de sa législation « uniformisante » (voir à ce propos notre édito sur le Brexit), elle ferait bien de méditer sur ces quelques considérations avant d’imposer à tous les membres un seul et unique système de notation.
[1] https://fr.openfoodfacts.org/produit/3450350074188/pain-surprise-gourmet-tipiak
[2] https://fr.openfoodfacts.org/produit/3270160821235/buche-glacee-picard
[3] https://fr.openfoodfacts.org/produit/3033610048152/foie-gras-labeyrie
[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Traffic_light_rating_system
[5] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/alimentation-le-nutri-score-bientot-obligatoire-en-europe_3451943.html
[6] https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/13/etiquetage-alimentaire-les-bonnes-intentions-ne-font-pas-de-bonnes-politiques_4437595_3232.html
[7] https://nutriscore.blog/2019/04/20/incomprehensions-et-fake-news-concernant-nutri-score-comment-essayer-de-destabiliser-un-outil-de-sante-publique-qui-derange/
[8] https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2008.644
[9] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20515553
[10] https://www.penguin.co.uk/books/305991/the-pioppi-diet/9781405932639.html
[11] https://www.bmj.com/content/347/bmj.f6340
[12] https://ich.unesco.org/en/RL/mediterranean-diet-00884
[13] https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-24/spain-tops-italy-as-world-s-healthiest-nation-while-u-s-slips
[14] https://www.thinkspain.com/news-spain/31125/nutri-score-will-not-apply-to-olive-oil-as-it-shows-up-as-less-healthy-than-coca-cola
[15] « Quel que soit le système, l’huile d’olive est moins bien classée compte-tenu de son contenu en calories, graisses totales et graisses saturées. Mais curieusement si cette critiques revient fortement pour le Nutri-Score, personne ne s’est offusquée de ce problème de classement pour le Traffic Lights Multiples britannique et cela n’a d’ailleurs pas posé de problèmes pour les consommateurs des chaines de distribution qui utilisent déjà depuis de longues années ce type de logo (en Espagne, au Portugal ou au Royaume Uni) et qui positionnent également plus mal l’huile d’olive que le Coca-Cola zéro. » https://nutriscore.blog/2019/04/20/incomprehensions-et-fake-news-concernant-nutri-score-comment-essayer-de-destabiliser-un-outil-de-sante-publique-qui-derange/
[16] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32011R1169
[17] https://www.foodnavigator.com/Article/2016/04/12/European-Parliament-votes-to-scrap-nutrient-profiles
[18] https://epha.org/open-letter-i-call-for-eu-wide-nutrient-profiles-for-nutrition-and-health-claims/
[19] C’est ainsi qu’en 2016, par exemple, les Italiens avaient saisi la commission européenne pour dénoncer le fait que par le biais de leur système de notation les britanniques attribuant une mauvaise note à l’huile d’olive, les producteurs de cette dernière avaient vu les exportations chuter. https://www.foodnavigator.com/Article/2016/03/16/Italy-raises-red-flag-once-more-over-UK-s-traffic-light-label
[20] https://well.blogs.nytimes.com/2016/01/11/a-personalized-diet-better-suited-to-you/?smprod=nytcore-ipad&smid=nytcore-ipad-share
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