Alors que le monde est frappé par la pandémie, TheEuropeanScientist lance un tour d’Europe des mesures prises par les différents pays européens. Pour la France, nous avons interviewé Jean De Kervasdoué, un économiste de la santé français, titulaire de la chaire d’économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et membre de l’Académie des technologies. Il a été directeur général des hôpitaux et titulaire de la chaire d’économie et de gestion des services de santé à l’Académie nationale des arts et métiers (CNAM). Il est également membre de l’Académie des technologies. Jean de Kervasdoué est enfin l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs sur la santé, le dernier en date paru en 2019 La sante rationnée : Un mal qui se soigne
The European Scientist : Comment la France a-t-elle fait face à la crise ?
Jean De Kervasdoué : Si vous permettez cette expression triviale : « elle fait ce qu’elle peut » et, comme la majorité des Français, je ne pense pas qu’un autre Gouvernement aurait fait beaucoup mieux. Du point de la médecine clinique, comme de la recherche, c’est très bien. Une réserve cependant pour la recherche, car le protocole du Professeur Raoult aurait dû être testé beaucoup plus tôt, dans les conditions qu’il propose, à savoir en début de symptôme. Pour les soignants je ne puis qu’exprimer ma grande admiration, car ils ont tous répondu présent ; le système hospitalier public et privé s’est adapté ; la télémédecine s’est développée, les transports se sont organisés… et ceci malgré le manque de masques, de blouses, de gel hydroalcoolique, de tests, de médicaments et de respirateurs…
Du point de vue des consignes de santé publique : information, distance sociale et confinement, il y a certes quelques retards, quelques décisions nationales ou locales discutables, mais mon appréciation est très positive. Ce n’est pas le cas, bien entendu, des masques, des tests et de la mesure de température dans tous les endroits ouverts au public. Il faut dire que le passif du quinquennat précédent était lourd. Il faut ajouter, au moins à Paris la faiblesse de la ville : Paris est sale, les conditions de distance sociale ne sont pas respectées dans les transports en commun, il n’y a pas de désinfection massive et les règles en matière de pratique sportive regroupent les amateurs en début et en fin de journée ce qui n’est pas très sage.
Enfin, le drame français est industriel au sens de l’industrie biomédicale. Non seulement, on a laissé notre industrie disparaitre, mais on a organisé sa disparition. En outre, en demandant des économies permanentes sur les achats hospitaliers, les PLFSS successifs ont poussé les établissements à acheter en Asie.
On retrouve là les forces et les faiblesses d’un système, qu’avec quelques autres, je décris depuis des décennies : bonne médecine, santé publique faible, sauf quelques exceptions et pas d’industrie.
TES : D’après-vous y a-t-il un/des pays en Europe qui s’en sortent mieux que les autres ?
JDK : Le classement est simple : les pays de l’est de l’Europe maitrisent mieux l’épidémie que ceux de l’ouest, à l’exception du Portugal. Toutefois, il n’est pas certain que cela soit seulement lié à la qualité de leur politique, car cette maîtrise de l’épidémie se manifeste du nord de la Baltique jusqu’à l’Adriatique, or tous les pays traversés n’ont pas la qualité du système allemand qui jouit, notamment, d’une très bonne médecine, d’une grande capacité hospitalière et d’une excellente industrie, mais ce n’est pas le cas des autres et je n’ai pas d’explication satisfaisante.
TES : L’UE semble être la grande absente ? Avez-vous un avis ?
JDK : La santé n’est pas de sa compétence, sauf pour l’industrie et la recherche. Il semble qu’elle ait son rôle dans la coordination des projets de recherche. On ne peut donc pas lui reprocher son absence du domaine de soins médicaux ou de la santé publique, responsabilités des états membres. En revanche, son avenir va se jouer sur le rôle qu’elle va, ou ne va pas, jouer dans le domaine économique et financier.
TES : Certains pays d’Asie semblent faire mieux que les pays européens. Est-ce normal ?
JDK : Je ne sais pas ce que pourrait être une norme en la matière, mais il y a sept ans, travaillant sur l’accueil de patients étrangers en France, j’avais été frappé par la qualité de leurs hôpitaux. En outre, je sais que depuis un an la Chine est le leader mondiale de la recherche en biologie.
TES : Que pensez-vous de la Chloroquine ? Quelle est la position du gouvernement en France ?
JDK : J’attends le résultat des tests, mais si j’avais été atteint, j’aurais suivi dès les premiers symptômes les prescriptions du Professeur Raoult, savant de grande réputation internationale, comme j’ai pu en juger en participant au jury de sélection des IHU.
TES : Comment la France se prépare-t-elle à la sortie de l’épidémie ?
JDK : Assez mal, faute de désinfection massive, de distance dans les transports en commun, de tests, de masques et de traçage des personnes infectées.
Contribution de Jean De Kervasdoué sur EuropeanScientist : Survie et propagation des idées fausses