« Comme Aristote et tous les théoriciens sérieux de la nature humaine l’ont compris, les êtres humains sont par nature des animaux culturels… » (1)
Il est intéressant de paraphraser F. Fukuyama: l’individu nait d’une union génétique et l’évolution a développé l’intelligence et les capacités sociale et culturelle de l’espèce. Mais la génétique est aussi à l’origine de nombreuses maladies. Cette fatalité prévisible ou aléatoire des maladies génétiques est aujourd’hui bouleversée par la thérapie génique. Cette thérapie interroge d’autant que nous sommes passés en quelques décennies de l’impuissance tragique à l’intervention directe. La transition est rapide et brutale, les premiers résultats sont là et les risques sont nouveaux.
Corriger ou réécrire
La thérapie génique est une technique expérimentale utilisant les gènes pour traiter ou prévenir une maladie. Cette incroyable odyssée, a débuté avec la découverte de l’ADN par Miescher en 1869, de la double hélice par Watson et Crick en 1953, puis s’est poursuivie avec le décryptage du génome humain en février 2001, et récemment la découverte de CRISPR. En effet sans schématiser, on peut dire que les organismes vivants ont perfectionné leur génome au cours de l’évolution. Ainsi il y a souvent plusieurs gènes pour une même fonction et à l’inverse plusieurs fonctions pour un même gène.
De nombreuses techniques permettent de modifier l’anomalie génétique à l’origine d’une maladie. Il est possible de diminuer voire d’annuler l’expression d’un gène sans modifier le capital génétique de l’individu. À l’inverse, on peut augmenter l’activité d’un gène qui vient suppléer le gène déficient. Ensuite on peut modifier le capital génétique en utilisant un vecteur qui va insérer un gène dans le génome de cellules de différents tissus – il s’agit le plus souvent d’un virus. Enfin il est devenu possible de réécrire le code génétique, grâce à CRISPR-Cas9, un système dérivé des bactéries, qui supprime ou remplace un gène par un autre sur l’ADN, à un endroit précis.
Les trois mondes de la thérapie génique humaine dans la globalisation
En Europe existe une myriade de législations au sujet de la thérapie génique. 24 pays européens dont la France interdisent toute intervention sur la lignée germinale (cellules qui en s’unissant avec celle de l’autre sexe donne naissance à un embryon). Le Conseil de l’Europe appelle à l’interdiction du génie génétique pour la lignée germinale ou pour modifier le génome des générations futures. Pour autant le Royaume Uni a récemment autorisé une modification de la lignée germinale à travers le don mitochondrial.
Les États-Unis ont, quant à eux, un système de réglementation complexe qui rend très difficile toute modification de la lignée germinale, mais ne l’interdit pas. Il existe également des restrictions de financement sur la recherche sur les embryons qui pourraient avoir un effet très fort sur la science fondamentale sous-jacente nécessaire pour atteindre le stade de l’approbation réglementaire.
Enfin, le troisième monde n’est tout simplement pas régulé. Certains pays n’ont pas envisagé cette possibilité tandis que d’autres n’ont que des recommandations ou des réglementations ambigües (Chine, Inde, Russie, Japon…).
Considérant les essais cliniques déclarés jusqu’en 2015, les États-Unis ont entrepris 66,81% de ces derniers ; tous les autres pays ont des pourcentages modestes : 9,45% au Royaume-Uni; 3,95% en Allemagne; et environ 2% chacun en Suisse, en France, en Chine et au Japon .
Les risques de la thérapie génique
Comme toute thérapeutique efficace, la thérapie génique expose à des risques.
Le cas de Jesse Gelsinger en est l’illustration ; à 18 ans, il contrôlait son trouble métabolique génétique avec un régime alimentaire et des médicaments. Il est entré en 1999 dans un essai clinique de l’Université de Pennsylvanie testant un virus vecteur d’un gène normal pour l’enzyme déficiente. Le résultat fut désastreux. Gelsinger subit une réaction en chaîne que les tests n’avaient pas prédite – jaunisse, trouble de la coagulation du sang, insuffisance rénale, insuffisance pulmonaire et mort cérébrale. Plusieurs erreurs ont été commises lors de son inclusion mais son cas est resté emblématique de ces nouveaux risques.
Autre exemple, l’amyotrophie spinale (SMA) est une des maladies génétiques les plus mortelles chez les nourrissons. Le neurone moteur dégénère rendant impossible le fonctionnement musculaire et donc le mouvement, la posture et la respiration. L’arrivée de Spinraza a changé le pronostic de cette maladie en augmentant la production de protéine nécessaire à la survie des motoneurones sans modifier le gène malade. Parallèlement, AveXis a déposé une demande d’approbation auprès de la FDA pour une nouvelle façon de traiter la SMA, cette fois par thérapie génique. Le traitement, le Zolgensma, pose question. Les essais cliniques de Zolgensma ont porté sur de très petits groupes pendant de courtes périodes. L’essai de phase 1 du médicament AveXis n’a porté que sur 15 nourrissons ; l’essai de phase 3 a porté sur 20. Cette technique recèle deux types de risques : celui lié à l’introduction d’un nouveau matériel génétique et celui du virus vecteur. Le remplacement d’un gène par un autre provenant de l’extérieur pourrait affecter d’autres fonctions que celles pour laquelle le gène est remplacé, comme l’a montré l’expérience tragique de Gelsinger – une hypothèse qui devrait d’ailleurs alerter les régulateurs.
Calculer les risques
Les différents protagonistes de la thérapie génique conviennent d’un fait : les preuves d’efficacité des essais sont solides car les résultats sont rapides et faciles à mesurer, mais les conséquences à long terme, individuelles ou au niveau de l’espèce sont inédites. Quand la thérapie génique, quelle qu’elle soit, permet à des enfants de survivre, l’équation est simple. Quand il s’agit d’affections génétiques non mortelles ou disposant déjà d’un traitement, l’évaluation du bénéfice et du risque est difficile. Vaut-il mieux poursuivre une thérapie génique qui ne remplace pas le gène mais améliore le patient ou bien est-il raisonnable de choisir une thérapie plus radicale avec des risques moins identifiés ? Dans ce débat la transparence et les publications scientifiques approuvées par des pairs sont primordiales. Mais les patients et en particulier les parents dans le cas des enfants me paraissent avoir un rôle essentiel à jouer. Certaines thérapies géniques seront des échecs, d’autres survivront. Il est rationnel que les patients soient préservés au maximum mais que pour les plus graves ils puissent avoir accès rapidement à un traitement innovant.
Les autorisations de thérapie génique se multiplient c’est pourquoi le modèle pharmaco-économique classique doit prendre en compte sa spécificité. Il s’agit de ralentir l’utilisation clinique chaque fois que l’incertitude domine et d’être encore plus efficient sur la ligne de crête entre le bénéfice et le risque.
(1) Francis Fukuyama, “Biotechnology and the Threat of a Posthuman Future.” The Chronicle of Higher Education (22 March 2002): B7–B10.”
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