Bénéficiant d’une image plus favorable auprès du grand public, les dispositifs permettant de « chauffer » le tabac semblent pourtant bien nocifs pour la santé des utilisateurs en plus d’entretenir leur dépendance à la nicotine. Alors que la hausse des taxes sur le prix des cigarettes fait consensus comme mesure de santé publique visant à réduire le tabagisme, le tabac chauffé continue de bénéficier d’un passe-droit qui heurte un grand nombre de professionnels de santé publique.
La hausse des taxes sur le tabac est un outil éprouvé de lutte contre le tabagisme
Les taxes sur les cigarettes ont été l’un des éléments les plus déterminants dans la lutte contre ce que l’OMS appelle bien l’« épidémie » de tabagisme. Le dernier rapport de l’organisation internationale, publié cette année, estime qu’une hausse des taxes pour atteindre une augmentation de 50 % du prix du tabac au niveau mondial pourrait prévenir 27,2 millions de morts prématurées dans les cinquante prochaines années. L’OMS estime également que les fonds ainsi récoltés par les États peuvent ensuite être réinvestis dans d’autres programmes de santé, générant d’autres bénéfices en cascade : la même hausse de 50 % du prix du tabac pourrait rapporter 3 000 milliards de dollars à l’échelle internationale.
Pour prendre un exemple plus précis, le cas de l’Australie est particulièrement révélateur de l’efficacité de cette politique publique. Alors que le paquet de cigarettes est passé de 5 dollars en 1990 à 22 dollars en 2015, soit une augmentation de 440 %, la part de fumeurs dans la population a été divisée par deux sur la même période, pour atteindre 14 %. Une réussite qui conduit le Pr Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT), à conclure que la hausse des taxes sur le tabac est « clairement la mesure la plus efficace pour réduire le tabagisme : si l’on augmente le prix du paquet de 10 %, la consommation diminue d’environ 4 %. », à condition cependant que la part du commerce parallèle n’augmente pas.
Un constat qui a aussi, dans une large mesure, dicté la stratégie française en matière de lutte contre le tabagisme. Le Programme national de lutte contre le tabac 2018-2022 a ainsi eu pour conséquence la hausse continue du tabac depuis trois ans. En plus de la hausse en tant que telle, le plan quadriennal souhaite « agir sur la fiscalité de l’ensemble des produits du tabac afin d’éviter les reports de consommation entre produits. » En d’autres termes, il s’agit d’augmenter de la même manière les taxes sur les produits comme le tabac à rouler ou les cigarillos (petits cigares) que sur les cigarettes, pour éviter le report sur ces autres formes nocives.
Les dispositifs de tabac chauffés, encore peu connus et moins populaires que la cigarette électronique en France, sont absents du programme national. L’OMS, de son côté, considère qu’il est nécessaire d’être « vigilant » sur ces produits, et que de plus amples analyses sont nécessaires. Du côté de la littérature scientifique, un large consensus semble se dessiner et souligner la dangerosité de plus en plus avérée du tabac chauffé.
Haro de la communauté scientifique sur le tabac chauffé
En avril dernier, le CNCT publiait un communiqué particulièrement explicite sur le sujet, en appelant les pouvoirs publics à réagir. Ce communiqué se réfère à une enquête de nos confrères du Monde, datée du 14 avril 2021, à propos de la nouvelle stratégie des industriels du tabac pour continuer à assurer leur chiffre d’affaires dans un monde où le nombre de fumeurs diminue, notamment sur les très stratégiques marchés occidental et nord-américain.
Cette stratégie, dite de la « réduction des risques », repose officiellement sur la promotion de produits alternatifs comme le tabac chauffé pour sortir de la cigarette classique et de l’effet meurtrier du goudron, en se présentant comme partenaire de la santé publique. Officieusement, il s’agit surtout de dédiaboliser ces industriels tout en maintenant les fumeurs dans une forme ou une autre de dépendance à la nicotine, via des dispositifs dont l’usage n’est pas si bénin.
Comme le dénonce le CNTC, le tabac chauffé serait en fait plus qu’un simple substitut : il peut agir comme un outil d’initiation à la pratique tabagique, puis de maintien dans la dépendance. Or il bénéficie d’un avantage fiscal indu sur les cigarettes classiques : alors qu’un paquet de Marlboro est taxé en France à hauteur de 83 % de son prix de vente, un paquet de mini-cigarettes Heets (du même industriel) n’est taxé qu’à 70 %. Pourtant, la part du tabac chauffé ne cesse d’augmenter dans le chiffre d’affaires des cigarettiers : l’IQOS se vend dans soixante-quatre pays et génère près de 6 milliards d’euros par an, soit près d’un quart du chiffre d’affaires du leader du marché, le géant Phillip Morris International.
Le problème est d’autant plus grave que la dangerosité du tabac chauffé est désormais plus que probable : le CNTC affirme que « la consommation de tabac chauffé est associée à un risque modifié, et non réduit. » En effet, la fumée dégagée par le tabac à chauffer contient des éléments provenant de la pyrolyse et de la dégradation thermochimique qui sont les mêmes composés nocifs que dans la fumée de cigarette de tabac. Mêmes présents en moindre quantité et même sans combustion, ces éléments représentent bel et bien un danger pour la santé, ce qu’avait déjà soulevé la société francophone de tabacologie dans un rapport de 2018.
Face à ces éléments, la nécessité d’augmenter les taxes sur le tabac à chauffer s’invite de plus en plus dans les recommandations de la communauté scientifique aux débats sur la réduction des risques liés au tabac.
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