Directeur général de Visiomed, opérateur des centres de santé high-tech « Smart Salem », implanté au Moyen-Orient, Clément Pacaud répond aux questions d’European Scientist. Amélioration de la prévention, secteur en expansion continue et intelligence artificielle, le marché est en pleine croissance.
The European Scientist : Vous êtes un expert de la santé numérique et un opérateur de centres de santé high-tech dans la région du Golfe. Ces notions sont souvent mal comprises. Comment pourrait-on décrire la santé numérique ?
Clément Pacaud : La santé numérique se construit autour de la notion des 5P, au sens où elle se veut personnalisée, préventive, prédictive, participative et fondée sur les preuves. Pour y arriver, la santé numérique se fonde sur l’extraction et l’analyse des données, qui sont véritablement la pierre angulaire de la santé de demain. La santé numérique promet de les exploiter et de les valoriser au mieux pour orienter la décision des soignants, l’approche thérapeutique et la connaissance-patient. Un centre de santé high-tech est l’application concrète de la santé numérique.
TES. : En tant qu’opérateur de centres de santé high-tech, vous n’êtes finalement qu’un maillon de la chaîne. Qui en sont les principaux acteurs ?
C.P. : La santé numérique ou high-tech est un concept d’abord largement pensé au niveau des gouvernements. Pas un pays, pas un hôpital, pas une société savante ne la perçoit pas comme un atout essentiel de la médecine de demain. En France, elle fait l’objet d’un plan stratégique d’accélération financé à hauteur de 650 millions d’euros lancé assez récemment. Pour ce qui est des Émirats arabes unis ou de l’Arabie saoudite, le développement de la santé numérique est largement encouragé par les pouvoirs publics, qui accordent une large place à l’innovation dans tous les domaines de la société.
Aussi nécessaire soit-elle, l’impulsion des pouvoirs publics reste insuffisante : la santé numérique est aujourd’hui très largement catalysée par un ensemble d’acteurs innovants de la « Medtech », par des centres de recherche et des établissements hospitaliers ou de santé qui la mettent en application chaque jour. Les études affirment que la valeur du marché global de la santé numérique pourrait atteindre environ 240 milliards d’euros. C’est un formidable vivier d’opportunités et d’innovations. Et surtout, elle change déjà la vie des patients. Dans tous les domaines de la médecine, de nombreux outils numériques sont déjà validés par la communauté médicale et ont une efficacité prouvée par les études menées.
TES. : Quels en sont les avantages concrets pour les patients ?
C.P. : J’en identifie deux : la rapidité d’exécution et la personnalisation de l’expérience-patient. Pour le premier, nous démontrons chaque jour dans nos centres médicaux que la numérisation complète des démarches permet une réduction notable des temps d’attente facilitant le flux logistique des patients, constituant un avantage pour nos clients mais aussi pour notre personnel soignant. Pour le second, le patient dispose de données de santé déjà numérisées et d’une offre de tests personnalisée en fonction de ses demandes et besoins, qu’il s’agisse d’un test médical administratif (visa, permis de conduire etc.) ou d’un bilan de santé complet. Si l’on s’intéresse plus généralement à la santé numérique, elle promet au patient une connaissance accrue de ses facteurs de risque, de ses chances de développer certaines maladies et des méthodes préventives à mettre en œuvre pour les éviter. C’est un évident atout pour allonger son temps de vie en bonne santé et limiter l’apparition de pathologies, dont certaines représentent un coût social majeur. C’est donc très logiquement aujourd’hui une priorité des autorités sanitaires de nombreux pays.
TES. : On évoque souvent l’apport de l’intelligence artificielle dans la santé numérique, sans arriver réellement à en déceler ses réalités…
C.P. : Il ne faut pas se tromper de prisme. L’intelligence artificielle est avant tout un outil au service des soignants et non une fin en soi. Elle est fondée sur une double approche. Elle est quantitative d’abord, au sens où elle permet un traitement rapide d’un très grand nombre de données de santé. Elle est qualitative ensuite, car elle permet de déceler des choses que la seule expertise humaine peut avoir des difficultés à identifier. L’intelligence artificielle en santé est déjà pleinement opérationnelle car elle est de plus en plus utilisée dans les stratégies de santé et de prévention des établissements publics comme privés, partout dans le monde. J’estime que nous n’en verrons jamais le bout — et c’est une bonne nouvelle — car, dans ce domaine, l’innovation est un processus continu et de nouveaux apports et potentialités arrivent à échéance régulière. Il suffit de se rendre dans un salon professionnel dédié pour constater à quel point l’innovation avance à une vitesse vertigineuse.
TES. : On peut donc supposer que vous y avez déjà recours ?
C.P. : L’IA est en effet déjà directement intégrée, au sein des centres médicaux Smart Salem, car nous avons par exemple actuellement recours à certains logiciels d’IA dans l’analyse des radiographies afin d’aider au diagnostic des médecins. Elle se décline aussi dans nos pratiques de développement. Nous réfléchissons en permanence à créer de potentiels partenariats avec des acteurs de la Medtech spécialisés sur l’IA en santé ou d’autres technologies sur tout un panel d’expertises comme les mammographies 2.0 pour optimiser le diagnostic du cancer du sein, l’amélioration de l’identification de l’exposition à certains cancers par des tests sanguins ou encore des laboratoires qui propose des tests sur le génome pour identifier la prédisposition à certaines maladies. Rester à l’écoute de l’écosystème innovationnel Medtech doit nous permettre d’intégrer, autant que possible, les meilleurs outils d’IA dans l’offre de santé de nos centres pour rester à la pointe de la santé numérique.
Quand on me demande quel serait le centre Smart Salem 2.0, je réponds que Smart Salem en est concrètement déjà un. Notre objectif est d’y ajouter petit à petit des briques d’innovation et de services. Dès que nous identifions une technologie opérationnelle, dont les résultats sont « evidence-based », et qui peut répondre à un besoin, nous pouvons l’intégrer à notre offre de services. L’écosystème Medtech spécialisé dans l’intelligence artificielle est formidable car il ouvre, dans le domaine médical, tout le champ des possibles.
TES. : Ce modèle santé high-tech peut-il se décliner ailleurs ?
C.P. : Le centre médical numérique a sa place partout dans le monde dans le sens où il promet un diagnostic plus rapide et plus sûr. Il doit en revanche être adapté aux besoins des pouvoirs publics ou des populations. Aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, la majorité de nos revenus est actuellement liée aux tests médicaux administratifs en vue de l’obtention des visas de résidence des expatriés. C’est propre à un pays où l’émigration de travail est extrêmement importante. Nous avons identifié plus de 80 pays dans le monde, comme l’Australie, le Canada ou encore Singapour, qui font face à des besoins similaires du fait de la présence de très nombreux travailleurs étrangers. Aux Émirats arabes unis, les tests administratifs étaient auparavant réalisés par des centres de santé publics en difficulté face à la demande, qui n’offraient que des délais très longs — parfois jusqu’à une dizaine d’heures — entre l’arrivée du patient au laboratoire et sa sortie, ainsi que des délais de plusieurs jours voire semaines pour le traitement des données médicales et donc la délivrance du visa. Nous avons en quelque sorte complété l’offre et fluidifié le processus avec des délais moyens de seulement 5 minutes pour effectuer l’ensemble de tests médicaux et moins d’une demi-heure pour l’obtention du visa de résidence.
Mais l’ADN d’un centre de santé high-tech est avant tout sa flexibilité et son adaptabilité. Il peut ainsi être pensé plutôt pour réaliser des check-up complets dans un cadre préventif pour identifier les facteurs de risque d’un patient ou encore intégré dans un centre de cancérologie. Un centre de santé high-tech, c’est avant tout des outils au service de besoins spécifiques. Sur nos futures implantations, nous avons fait le choix de ne rien nous interdire. Dans le même temps, nous aspirons évidemment à renforcer à l’avenir notre maillage sur nos implantations actuelles dans la région du Golfe car la région est en forte croissance et la demande pour nos services y est très forte.
TES. : Mais les Émirats arabes unis semblent un terrain particulièrement fertile…
C.P. : La qualité et l’efficacité des services prodigués dans nos centres sont reconnues des populations et des autorités locales comme le prouve notre croissance 2023 (avec des tests en hausse de 41 % en 2023, qui se traduisent par une croissance du chiffre d’affaires de 38 % par rapport à 2022). Les autorités font la promotion de nos services et nous font pleinement confiance pour assurer une mission hautement stratégique pour eux. Notre système IT est ainsi directement intégré à celui des autorités sanitaires de l’Émirat de Dubaï et nous sommes sur un véritable partenariat public — privé, ce qui dessine véritablement une relation de confiance de très long-terme.
Vous avez raison de décrire les Emirats comme un terrain fertile : la dématérialisation des démarches administratives, la numérisation de la santé et plus largement l’innovation dans le secteur médical sont des priorités inscrites dans les plans de diversification économique du pays. Il en est d’ailleurs de même en Arabie Saoudite, où nous sommes en cours d’implantation, et où notre offre de services est parfaitement en ligne avec le plan Vision 2030 actuellement déployé par les autorités locales. Il suffit de jeter un rapide coup d’œil à la gestion de la pandémie de Covid-19 pour comprendre à quel point la santé, innovante et numérique, est devenue prioritaire dans les Émirats et le Golfe en général. Face à la désorganisation qui prévalait en Europe, ils ont déployé une impressionnante capacité de testing et n’ont finalement que dû très peu réduire les déplacements dans le temps. En bref, Visiomed peut s’épanouir en tout point dans cet écosystème.
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