En Allemagne, le Bundesrat vient de voter une motion demandant au gouvernement fédéral d’interdire les cigarettes électroniques jetables. Aux Pays-Bas, des parlementaires ont proposé de mettre fin à l’attractivité des e-cigarettes en imposant qu’elles soient désormais commercialisées dans un packaging neutre et standardisé, aligné sur celui des cigarettes. Partout dans le monde, les nouveaux produits du tabac sont dans la tourmente. Jusqu’où ?
Les dangers des cigarettes, du tabac à rouler, du tabac à tuber ne sont plus à démontrer. Le tabac est la première cause évitable de mortalité par cancer, cause la mort prématurée de 700 000 personnes en Europe chaque année et de 8 millions d’individus dans le monde, dont 15% de non-fumeurs. La mortalité prématurée par tabagisme fait perdre 18 à 20 années de vie. Un décès d’adulte sur huit est lié au tabac. Le tabagisme est responsable d’une mort toutes les six secondes.
Et ce ne sont là que les effets délétères directs. Le tabac amène avec lui un ensemble de coûts induits qui, accumulés, pèsent sur l’ensemble de la collectivité. Les décès dus au tabagisme sont ainsi précédés de maladies longues et difficiles, nécessitant des traitements médicaux et chirurgicaux lourds et chers. En France, le coût social du tabac est ainsi estimé à 120 milliards d’euros par an, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Une somme composée de dépenses sociales et sanitaires, en très grande partie financées par les non-fumeurs. Inversement, les taxes sur le tabac ne rapportent que 17 milliards d’euros par an au budget de l’État. En bref, le tabagisme coûte -beaucoup- plus cher à la société qu’il ne rapporte. Une réalité mal-connue, 56 % des Français considérant que la vente de tabac rapporte plus à la collectivité qu’elle ne lui coûte en dépenses de santé.
Certaines mesures sont efficaces pour lutter contre le tabagisme
Depuis deux décennies, les mesures de santé publique, souvent impulsées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et mises en œuvre dans la plupart des pays ont contribué à faire évoluer l’image du tabagisme et de la cigarette. Conséquences : la prévalence tabagique est en chute libre, au moins dans le monde occidental et notamment chez les plus jeunes. Des succès attribués pêle-mêle à l’interdiction de la publicité pour les produits du tabac, à la prohibition des campagnes de sponsoring ou encore au déploiement des paquets neutres. Autre politique publique à l’efficacité aujourd’hui largement éprouvée si elle s’accompagne d’une lutte drastique contre le commerce parallèle : la hausse des taxes sur les paquets qui, mécaniquement, entraîne une hausse des prix. « La récurrence des hausses tarifaires multiplie les signaux négatifs auprès du consommateur », confirme en ce sens Pierre-Alexandre Kopp, professeur d’économie à l’Université Panthéon-Sorbonne.
Face à la perte d’influence des cigarettiers en Europe, les industriels se concentrent sur d’autres zones géographiques, désormais au cœur de leur stratégie de croissance, notamment l’Afrique, l’Inde et le Moyen-Orient. Une approche qui se double d’une stratégie agressive de promotion des « nouveaux produits du tabac », à savoir les cigarettes électroniques et le tabac chauffé, deux segments de marché à fort potentiel de croissance sur lesquels se sont positionnés les industriels. Depuis 2012, les quatre majors du tabac ont ainsi acquis massivement des entreprises de cigarettes électroniques et, à partir de 2015, ont lancé plusieurs produits « maison » : IQOS pour Philip Morris International, Glo pour British American Tobacco, Ploom pour Japan Tobacco International et Blu pour Seita-Imperial Brands. Des produits de « tabac chauffé », prétendument moins nocifs que la cigarette à la consommation, autour desquels les industriels déploient une stratégie marketing habile et agressive. Et, pour la communauté scientifique, des poisons comparables à la cigarette conventionnelle. « Le tabac chauffé est un pur produit marketing créé pour gagner de l’argent. L’industrie du tabac le présente comme un produit qui réduirait les risques pour la santé, mais il n’y a aucune étude qui le démontre », s’indigne ainsi le Professeur Yves Martinet, président du Conseil national contre le tabagisme (CNCT).
Selon l’OMS, les cigarettes électroniques « sont sans aucun doute dangereuses » et le tabac à chauffer doit être considéré comme une cigarette conventionnelle
Dans son rapport annuel sur l’épidémie de tabac, intitulé « WHO report on the tobacco epidemic », l’OMS a affirmé avec force que les cigarettes électroniques « sont sans aucun doute dangereuses ». Au Royaume-Uni, le Dr McKean alertait le 18 mars dans The Guardian sur les dangers de dommages pulmonaires irréversibles des cigarettes électroniques, devenues à sa plus grande consternation une porte d’entrée dans l’addiction nicotinique pour les adolescents. De nouvelles données qui poussent de plus en plus d’États à agir. Taïwan, Hong Kong, le Cambodge, le Brésil, le Vietnam et l’Australie interdisent ou limitent drastiquement la vente des cigarettes électroniques. Les États-Unis et les Pays-Bas prohibent la vente des arômes, jugés trop attractifs pour les adolescents, tandis que le Canada envisage de le faire également. L’Allemagne, la Belgique et l’Irlande ont demandé l’interdiction des cigarettes électroniques jetables, mesure déjà adoptée par les États-Unis. Un nombre croissant de pays fiscalisent les cigarettes électroniques à des taux équivalents aux cigarettes classiques, parfois en distinguant les produits qui contiennent de la nicotine de ceux qui n’en contiennent pas.
Pour les produits de tabac chauffé, la situation est aussi très claire. L’OMS les considère comme des produits du tabac et affirme qu’ils doivent être traités comme tels. En France, la justice a d’ailleurs condamné Philip Morris International le 3 décembre 2021, en rappelant qu’IQOS est clairement un produit du tabac et qu’il est interdit d’en faire la publicité, à l’instar des cigarettes. Conditionnement en paquet neutre, interdiction de la publicité, interdiction d’utilisation dans les lieux accueillant du public, interdiction des arômes, traçabilité pour mettre fin au commerce parallèle qui apparaît déjà sur ces nouveaux produits : les jours du statut particulier des nouveaux produits du tabac semblent comptés. À terme, la perspective d’un alignement fiscal et réglementaire des cigarettes électroniques et du tabac chauffé sur les cigarettes traditionnelles se dessine.