Déclaration de conflit d’intérêts: L’auteur n’a reçu aucune rémunération ni subvention pour ce commentaire. Il est personnellement omnivore et pratique la chirurgie thoracique et cardiovasculaire.
DEPUIS LA FIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE, IL Y A VISIBLEMENT UNE BATAILLE DANS LE DOMAINE DE LA NUTRITION HUMAINE : LES PRODUITS ANIMAUX SONT ATTAQUES PAR CERTAINS AUTEURS ACADÉMIQUES QUI ONT RECOURS A DES ETUDES QUI POUR LA PLUS PART DU TEMPS RESTENT OBSERVATIONNELLES
Ce sont ces mêmes universitaires qui ont pris le pouvoir et ont fortement influencé les directives nutritionnelles. C’est pourquoi les recommandations officielles concernant la santé humaine et les décisions politiques suscitent des affirmations très controversées. Ce court avis publié dans le BMJ [1] les résume de manière très intéressante. Tim Spector et Christopher Gardner (ci-après nommés les «auteurs») ont discuté des recommandations récentes émises par des chercheurs canadiens de la Mac Master University [2] selon lesquelles rien ne prouve qu’il faille réduire la viande rouge en raison des risques pour la santé. Ils mettent en garde contre le travail de ces chercheurs canadiens qui ont récemment démontré qu’on pouvait rester sceptique face aux preuves scientifiques du dénigrement de la viande rouge. On ne sera pas surpris qu’une attitude aussi sceptique soit insupportable pour ceux qui considèrent comme indiscutable le fait qu’il existe des associations faibles et irrégulières entre la consommation de viande et les maladies chroniques – y compris la mort. Cela ne semble pas important pour eux que dans les études en question, le type de viande n’était pas précisé, ni même le type de transformation, ou encore que ces associations ont été principalement détectées dans des quartiles pour lesquels la consommation de viande est forte et dans des groupes de personnes ayant un mode de vie risqué (sexe masculin, tabagisme, consommation d’alcool). Plus généralement, ce débat, quelle que soit sa polarisation, n’est pas seulement un problème méthodologique ou une question de civilisation ; c’est simplement une question d’efficacité dans la lutte actuelle contre le diabète. En tant que médecin, c’est l’objectif de notre engagement envers les patients, car le diabète est une priorité de santé publique. La prévalence mondiale du surpoids et de l’obésité a presque doublé depuis 1980. Près d’un tiers de la population mondiale est actuellement en surpoids ou obèse. Les taux d’obésité ont augmenté à tous les âges et chez les deux sexes, indépendamment de la localité géographique, de l’ethnie ou du statut socio-économique. Cette tendance est similaire dans les régions et les pays, bien que les taux de prévalence absolue du surpoids et de l’obésité varient considérablement. Dans cette bataille, les auteurs universitaires et les gouvernements n’ont pas réussi à s’attaquer au problème en faisant la promotion de leurs pyramides alimentaires bien connues, et ce n’est pas juste une opinion [3]. En revanche, la consommation de viande rouge n’est pas à l’origine de ce problème numéro un en santé publique.
C’EST SIMPLE, MAIS, POUR LES SCIENTIFIQUES, IL EST FONDAMENTAL DE CONSTATER QUE LES AUTEURS ONT COMMENCÉ LEUR TRAVAIL EN FAISANT UNE CONFUSION SIGNIFICATIVE.
Le bacon n’est pas de la viande rouge. Par ce genre de confusion, les auteurs ont parfaitement illustré le risque énorme d’erreur inhérent aux études observationnelles. C’est la raison pour laquelle ces études sont imprécises, faibles et sans aucune preuve de causalité. Au contraire, la randomisation équilibrera ce type d’erreurs et le contrôle de l’alimentation les supprimera. En mélangeant bacon, viande rouge, viandes transformées et problèmes environnementaux, les auteurs ont délibérément commencé à ajouter de l’insaisissable à un problème déjà complexe. Et puisque c’est leur mantra, ils ont continué dans cette voie. «Les critères sont bien adaptés aux études de produits de type pharmaceutiques lorsque des essais randomisés, en double aveugle, contrôlés par placebo sont disponibles, mais pas pour les études de viande, d’œufs, de légumes ou de tout aliment spécifique.» Non. Il est absurde de faire une règle pour les médicaments et une autre pour les régimes. Alors que c’est le coeur même du problème. Les auteurs de renom, évoqués dans cet article, ont fait leur carrière en présentant ce double standard comme une connaissance évidente et en vendant leurs études observationnelles basées sur un lien faible entre des facteurs aussi flous que le régime méditerranéen, les céréales, les graisses, produits laitiers ou viande… Il est honteux que des études observationnelles portant sur un régime alimentaire de 10 ans ou plus aient été publiées, avec seulement une ou deux évaluations au moyen de questionnaires auto-déclarés au début de l’étude «prospective». Outre le fait que d’autres universitaires et organisations ne sont pas d’accord avec cette idée selon laquelle il serait impossible de réaliser des ECR (Essai randomisé contrôlé) dans des régimes alimentaires, plusieurs articles de très haute qualité ont été publiés et récemment. Kevin D. Hall a réalisé un tel ECR qui montre que la malbouffe entraîne une prise de poids à court terme [4]. Les patients et les médecins méritent donc des études de grande qualité. Il existe plusieurs voies novatrices pour se débarrasser des études observationnelles. Le premier est le ECR. En tout état de cause, le ECR apporte des informations de qualité pour aider à résoudre les épidémies d’obésité que les nutritionnistes de haut niveau n’ont pas réussi à freiner. Il est faux d’affirmer par exemple que : « Étant donné que les ECR avec des aliments ou des groupes d’aliments ne sont pas possibles ». En concevant un ECR, il est possible d’évaluer avec précision chaque type d’aliment ou de groupe d’aliments dans le cadre d’une hypothèse claire. La seconde est l’utilisation de variants génétiques comme instruments pour tester les associations causales [5]. La troisième est la nutrition personnalisée qui permet de discriminer les effets des nutriments ou des carcinogènes sur différents génomes et épigénomes [6].
D’autres auteurs ont choisi les preuves les plus faibles, autrement dit l’association de facteurs, car ils hésitent à se lancer dans des études de causalité.
DE PLUS, LES AUTEURS ONT FAIT DEUX AFFIRMATIONS DANS LA MÊME PHRASE QUI NE SONT PAS PERTINENTES PAR RAPPORT À LA VIANDE ROUGE.
«Les auteurs ont également choisi de laisser de côté toutes les études de laboratoire artificielles ex vivo et les études animales, incluses dans d’autres méta-analyses, impliquant par exemple des nitrites ou des acrylamides en tant que cancérogènes. » Les agents cancérigènes cités sont totalement hors du sujet. Est-il nécessaire de signaler que la viande rouge ne contient ni nitrites ni acrylamide ? Comment cela pourrait-il être possible dans un avis revu par des pairs ? Techniquement, on entend par viande transformée : du porc, du bœuf ou du canard salé et traité, fumés ou non fumés. Une livre fraîche de viande rouge n’est pas traitée. Un morceau de salami l’est. Le risque pour la santé liés au bacon, le cas échéant, est en grande partie lié à deux additifs alimentaires : le nitrate de potassium (également appelé salpêtre) et le nitrite de sodium. Par ailleurs, les principales sources d’acrylamide sont les frites et les chips ; mais aussi des crackers, le pain et les biscuits ; les céréales pour le petit déjeuner sont les derniers aliments que les nutritionnistes réputés conseillent de manger s’ils sont composés de «farine entière». De plus, les études sur les animaux et les autres «études mécanistes» ne sont pas pertinentes pour la nouvelle analyse stricte des études observationnelles sur la viande rouge par les auteurs canadiens. En effet, les études animales et mécanistes ne sont que des études d’alerte pour le lancement d’essais cliniques. Ni plus ni moins. Et encore une fois, les grands carnivores ne présentent ni cancers ni maladies cardiovasculaires après avoir consommé de la viande toute leur vie. Un exemple d’étude sur des animaux défectueux consiste à donner de la viande à un non-carnivore, car il s’agit d’une étude mécaniste médiocre qui consiste à donner un régime riche en graisses aux lapins pour expliquer l’athérome. Enfin, ils n’ont pas mentionné la revue de 2010 qui montrait que manger de la viande rouge carbonisée, fumée et bien cuite était associé à un risque plus élevé de cancer colorectal chez les fumeurs [7] ! Il est intéressant de noter que l’une des études examinées dans ce document [8] n’a trouvé aucune association entre une viande bien cuite ou très cuite (transformée ou non) et des problèmes de santé inférieurs à une consommation de cinq steaks / semaine. Nous sommes très près du conseil des auteurs canadiens qui ont conclu que jusqu’à trois steaks par semaine, il n’y a pas de risque mesurable. Afin de comprendre la complexité du problème du cancer et de la consommation de viande, nous devons définir clairement les causes potentielles. Il est plutôt surprenant qu’ils n’aient pas mentionné les cancérogènes avérés dans la viande rouge ou transformée cuite à haute température: amines hétérocycliques et hydrocarbures aromatiques polycycliques. Ces composés organiques, qui sont également produits par la cuisson à haute température de viandes blanches, de protéines de poisson et de légumes, bien que moins abondants, ne sont présents ni dans la viande fraîche ni dans la viande cuite à basse température.
ENSUITE ILS EN VIENNENT À LA DÉMONSTRATION QUE LES AUTEURS CANADIENS FONT DU CHERRY PICKING ET CHOISISSENT LES ÉTUDES QUI LEUR CONVIENNENT DANS LE CADRE DE LEUR META-ANALYSE
Les auteurs ont fait valoir que les chercheurs canadiens avaient éliminé certaines études observationnelles afin de biaiser les résultats finaux. Ils soulignent l’éviction de l’étude cardiaque Lyon et PREDIMED mais ne prouvent pas que la prise en compte de ces études aurait modifié les conclusions de la méta-analyse de révision sur la viande rouge. Faisant cela, ils ont à nouveau délégitimé les études observationnelles. En effet, les méta-analyses de ECR sont beaucoup moins sujettes à contestation ; si la consommation de viande rouge est l’hypothèse qu’on doit tester, il est impossible d’éliminer un ECR qui l’a déclaré. Dans les études observationnelles, la sélection est un processus très complexe car leur conception et la modélisation de l’analyse multifactorielle influencent les résultats. Finalement, ils partagent un point de vue avec les auteurs canadiens: « Les résumés précédents, plus inclusifs, montraient des risques modestes pour la santé pour la consommation de viande rouge, mais établissaient des liens clairs entre la viande transformée, les maladies cardiovasculaires et la mort prématurée. Les preuves de la cause du cancer sont moins claires et plusieurs essais de réduction de la viande n’ont pas permis de réduire les risques de cancer. » Dans le même paragraphe, ils reconnaissent également qu’il ne s’agit pas de viande rouge, mais de malbouffe, un point sur lequel nous sommes tout à fait d’accord. Néanmoins, les ECR sont très rares bien qu’ils soient plus puissants que des dizaines d’études observationnelles.
VIENNENT ENSUITE LES DECLARATIONS SUIVANTES QUI NE REPRÉSENTENT QUE L’OPINION DES AUTEURS.
Ils écrivent : « Mais, selon nous, nous devrions tous manger moins de viande et davantage d’aliments riches en fibres et en nutriments, qui comprennent de nombreux légumes, légumineuses, fruits, noix et graines.» Nous attendions un meilleur fondement que ce rêve qui relève du politiquement correct. Cette recommandation n’est rien de plus qu’un simple copier-coller des directives nutritionnelles habituelles, standardisées et non personnalisées, qui se sont révélées dénuées de sens et inefficaces. Quelle absurdité.
RETOUR À L’AVIS : JE VEUX SOULIGNER DEUX ERREURS QUI ONT ÉTÉ FAITES À LA FIN.
PREMIER POINT : POURQUOI RELANCER UNE CONTROVERSE D’UNE MANIÈRE POLITIQUE ?
Ils comparent les articles de synthèse sur la viande à – selon eux – un papier subventionné et complaisant sur le sucre qu’aurait écrit l’auteur principal. En résumé, la méta-analyse canadienne de la viande aurait été corrompue par une étude précédente sur le sucre en raison de conflits d’intérêts cachés. C’est une préoccupation. Mais on peut se demander pourquoi l’initiative EAT-Lancet qu’ils ont également citée ne fait pas l’objet du même examen minutieux. N’est-il pas suspect de laisser entendre que les fonds gouvernementaux, les subventions d’organisations à but non-lucratif ou toute autre subvention sont neutres… Ce genre de suspicion ne nous aidera pas à sortir de ce débat biaisé. Ce n’est qu’une question de bon sens ou de preuve bayésienne: nous mangeons du sucre depuis environ 1800 et de la viande depuis au moins 500 000 ans. Cet indice pourrait servir de guide pour découvrir la vérité.
DEUXIÈME POINT : IL EST DIFFICILE DE CROIRE QUE LES AUTEURS ONT DÉCIDÉ DE CONCLURE LEUR ANALYSE PAR UNE ENTREPRISE DE GREENWASHING SI PRÉVISIBLE
L’initiative EAT-Lancet qu’ils ont citée n’est pas une nouvelle étude. Ce n’est pas une méta-analyse. Il s’agit bien d’une manipulation statistique très sophistiquée mais biaisée visant à imposer non pas moins de viande, mais un régime végétalien. Leur opinion est respectable tant qu’ils défendent ouvertement. Je pense que ce type de raisonnement est réducteur, car il conduit à reprocher à tous les peuples de la planète de manger trop de viande. Alors qu’il est plus juste d’affirmer que, les Européens du Sud consomment une quantité très modérée de viande et de nombreuses autres populations ne mangent pas suffisamment de produits d’origine animale et souffrent de plusieurs carences. C’est le même raisonnement que celui utilisé par les mauvais enseignants qui punissent toute la classe au lieu de cibler ceux qui font du chahut. Encore une fois, cette affirmation n’est pas étayée par des preuves. Toutes les pratiques agricoles se sont avérées avoir divers effets sur l’environnement. Certains des effets environnementaux associés à la production de viande sont la pollution due à l’utilisation de combustibles fossiles, le méthane animal, les effluents, la consommation d’eau et de terres. Le problème est alors une agriculture destructrice, pas celui de savoir si vous mangez de la viande, des produits laitiers, des légumes ou des céréales. Un autre problème concerne l’ampleur de ces impacts. Contrairement aux différentes affirmations dans les différents articles d’EAT-Lancet, la question des émissions anthropiques est extrêmement complexe et encore mal connue dans les détails. En particulier, la production de viande est un processus multifactoriel géré de manière très différente selon les pays et selon les pratiques ancestrales ou industrielles. La quantité d’émissions directes de GES de l’élevage est de 2,3 Giga-tonnes d’équivalent CO2 (soit 5%) et les émissions indirectes de GES liées à l’ensemble de la viande, des œufs et des produits laitiers sont de 4,8 gigatonnes d’équivalent CO2 par an, soit 9,5%, de l’ensemble des émissions anthropiques. Il est important de traiter ces émissions avec rationalité, c’est pourquoi les émissions indirectes sont la véritable cible, et non les animaux. Les émissions indirectes sont les plus importantes et peuvent être largement améliorées grâce à la transition énergétique et à d’autres pratiques agricoles, les mêmes moyens que ceux utilisés dans d’autres secteurs de l’agriculture. Les émissions directes sont moins évitables mais ne représentent que la moitié des émissions indirectes de GES.
Il est un fait important à prendre en considération, enfin : aux États-Unis, 60% des calories proviennent du sucre raffiné, des céréales raffinées et des huiles de graine oméga-6 raffinées, ce qui signifie que la consommation de viande ne joue pas un rôle prédominant dans l’obésité et le diabète de type 2. Il est remarquable que les pyramides alimentaires recommandent les glucides et les huiles végétales. Dans un article récent [9], C. Christie et al. Ont apporté la preuve que les calories excédentaires, quelles qu’elles soient, ont un impact important sur l’environnement. Parmi ces excès de calories, les aliments transformés ont généralement un impact plus important, car ils nécessitent plus d’énergie pour être produits, emballés, transportés et finalement traités plus souvent en tant que déchets. Les pays développés consomment un excès de calories [10], mais ce n’est pas la viande qui apporte trop de calories car la viande et la volaille sont composées d’eau, de muscles, de tissu conjonctif, de graisse et d’os naturels. Le muscle contient environ 75% d’eau (bien que différentes coupes puissent en contenir plus ou moins) et 20% de protéines, les 5% restants représentant une combinaison de lipides, de glucides et de minéraux. Au contraire, le sucre et les matières grasses dans les aliments transformés, qui sont en excès, et sont contenus dans des aliments très denses avec un minimum d’eau, ce qui augmente considérablement le nombre de calories par jour.
[1] https://blogs.bmj.com/bmj/2019/10/09/bacon-rashers-statistics-and-controversy/?fbclid=IwAR2453O8TZURygfDz3cz4871bsXTAHhHJ16mhKDHnq7p_3-zjJacTRMmnII
[2] https://annals.org/aim/fullarticle/2752328/unprocessed-red-meat-processed-meat-consumption-dietary-guideline-recommendations-from
[3] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30253139
[4] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31105044
[5] https://diabetes.diabetesjournals.org/content/early/2019/06/05/db19-0153
[6] https://www.bmj.com/content/361/bmj.k2173
[7] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2769029/
[8] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0027510702001641?via%3Dihub
[9] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5799208/
[10] http://www.fao.org/faostat/en/#data/FBS/visualize
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Merci pour ce texte.
Une remarque sur les essais randomisés contrôlés :
Ils ne sont effectivement pas impossibles en nutrition, mais leur coût est bien plus élevé que celui des études épidémiologiques. Il est par conséquent difficile de mener de tels essais sur des durées longues. On retrouve alors des ECR sur quelques semaines à quelques mois, parfois jusqu’à 18 mois ou 2 ans.
Etant donné que l’impact d’un choix alimentaire sur la santé peut être très différent à court terme et à long terme, il faudrait des ECR sur des durées beaucoup plus longues pour avoir des réponses définitives à certaines questions.
Le problème est alors que les chercheurs se rabattent sur l’épidémiologie, commettant « the best map fallacy » : la carte que nous avons (l’épidémiologie) ne représente pas le territoire (la santé réelle), mais c’est la seule carte un peu détaillée (et pour être détaillée, elle l’est) que nous ayons. Alors, nous utilisons cette carte fausse, parce qu’elle donne l’illusion que nous maîtrisons la question.
Un point sur la préhistoire de l’alimentation : cela fait 2 millions d’années que nos ancêtres sont devenus pleinement omnivores, et les consommations de viande rouge au paléolithique ont pu être considérablement plus importantes qu’aujourd’hui.
Votre commentaire soulève des questions auxquelles je souhaite apporter les réponses suivantes.
Cet article d’ES est tout autant au sujet de la viande que des études observationnelles. Ma première réaction publiée dans le BMJ ici (https://www.bmj.com/content/367/bmj.l5989/rr) est basée sur des constatations cliniques de bon sens. Nous n’avons pas dans les 40 dernières années réussi à stopper l’épidémie d’obésité. C’est un fait. Pourtant jamais l’interventionnisme étatique et médical en matière de recommandations nutritionnelles n’a été aussi présent. C’est pourquoi il faut être particulièrement irrationnel pour résumer la situation par « c’est la faute des citoyens qui n’écoutent pas ce que les experts ou l’état leur disent de manger ».
Il y a une autre cause principale et d’autres causes secondaires à cette épidémie.
Comment en est-on arrivé là?
La constatation qui apparaît de plus en plus évidente est la suivante: les pyramides alimentaires, les feux tricolores, les recommandations répétées à longueur de journée ne sont pas efficaces; encore une fois il ne suffit pas de répéter que ces initiatives ne sont pas suffisamment observées pour expliquer la situation. La croisade contre les graisses saturées, la viande, le cholestérol alimentaire et le gras en général y compris laitier est-elle basée sur des évidences issues de la littérature scientifique? La réponse est oui et il s’agit d’études épidémiologiques observationnelles. J’explique ces études et leur construction dans l’article. Tout ceci est très mal connu du grand public pour qui ce qui est publié est garanti. Hélas non.
Comment mettre en évidence les causes réelles?
L’étude observationnelle en épidémiologie est une vaste construction pseudo-scientifique qui est aveugle des causes des événements mesurés ou dénombrés. Tout a commencé avec Ancel Keys. Observant avec bon sens que les pays méditerranéens avaient une incidence plus faible de maladies coronariennes que les USA, lui et son équipe ont cherché à associer des marqueurs de cette différence en tenant compte des données macroscopiques et chimiques des plaques d’athérome c’est à dire leur contenu lipidique. Après quelques contorsions méthodologiques la lipid heart hypothesis était née et validée. Nous vivons encore dans ce dogme à la fois au niveau des résultats que Keys a publiés et de la méthode employée, l’étude observationnelle. Or les résultats quels que soit leur exactitude ne valent pas relation de cause à effet et la méthode est totalement aveugle des véritables causes de l’athérome.
Dans ce contexte la question n’est plus de savoir si les ECR sont chers.
La question est plutôt: voulons nous des recherches basées sur des preuves ou bien des recherches malléables à souhait pour que chacun y trouve un peu son compte? En effet l’affirmation selon laquelle les ECR sont chers n’est jamais soulevée quand il s’agit d’un traitement instrumental ou médicamenteux. Or les recommandations nutritionnelles sont un des piliers du traitement préventif des maladies chroniques. À ce titre elles doivent répondre aux mêmes exigences méthodologiques. C’est à dire avoir recours à des preuves et non des associations corrélatives la plupart du temps tellement faibles, notamment en terme de risque absolu, qu’il ne faut pas s’y attarder.
Mais au fait les ECR coûtent ils plus cher?
Rien n’est moins sur. En effet il faut discuter deux points. Tout d’abord la question du coup facial. Je n’ai pas de données issues de la littérature qui permettent d’évaluer le coût total de la constitution, l’entretien, les mises à jour de ces immenses bases de données qui alimentent les études épidémiologiques observationnelles publiées périodiquement par les journaux médicaux.
Ensuite la question du coût comparé qui fait intervenir le coût humain du temps. Quand en 4 semaines Kevin Hall et son équipe apportent la preuve que l’alimentation transformée est obésogène c’est un avantage considérable. Par exemple l’étude qui a impliqué 104 707 participants dans l’étude en ligne (biais) NutriNet-Santé en France, dont la majorité étaient des femmes (79,2% contre 20,8%) (biais), d’âge de référence moyen de 42 ans, qui ont fourni des enregistrements alimentaires répétés sur 24 heures sur leur consommation de plus de 3 500 aliments (biais majeur) n’a pu rapporter que des associations. Cette étude a duré 6 ans. Les résultats au sujet du diabète ont été confirmés en utilisant des données sur le remboursement des médicaments (biais). Les taux de diabète de type 2 parmi les consommateurs d’aliments ultra-transformés les plus faibles et les plus élevés étaient respectivement de 113 et 166 pour 100 000 années-personnes soit une différence de risque absolu de 53/100000 ce que l’on peut appeler un effet absolu faible qui est en grande partie la conséquence des biais multiples des études observationnelles.
Les ECR sont de nature différente des études observationnelles et leurs résultats aussi.
C’est pourquoi la qualité des résultats en terme de cause des grandes maladies chroniques est à prendre en compte en priorité. Si nos études sont trop incertaines, alors nos recommandations n’ont plus de sens. Comment accepter de voir se multiplier les messages sur le gras par exemple et les graisses saturées plus particulièrement alors que nous n’avons conduit aucun ECR sur ces nutriments? C’est insensé. Comment peut on encore lancer et donc financer des études de plusieurs années avec des questionnaires alimentaires très peu fiables et renseigné deux fois en 5 ou 10 ans? C’est de l’argent gaspillé.
Le coût astronomique des recommandations basées sur des associations de risque.
Ces études observationnelles sont du pain béni pour l’industrie agroalimentaire mais aussi pour les gouvernements qui sont très réticents à toute conséquence économique des recommandations nutritionnelles. Ainsi on aura provoqué des maladies coronariennes avec les acides gras trans des margarines qui ont été vendues sur la base de la théorie lipidique de l’athérome après la fin de la deuxième guerre mondiale et encore aujourd’hui. On aura par cette croisade contre le gras et les graisses saturées encouragé la consommation de glucides notamment de glucides rapides qui, c’est maintenant établi, sont chez les individus sensibles obésogènes et diabétogènes. Le coût humain est tel qu’il faut arrêter et donner aux recommandations nutritionnelles le poids d’une médecine basée sur des preuves. Les mêmes qui nous incitent à recommander un antibiotique pour une septicémie ou bien un anticorps monoclonal pour la maladie de Crohn. Primum non nocere.
L’argument du temps s’est inversé grace à la génétique et au métabolome.
Le dernier argument contre les ECR est celui du temps. Comment recruter des individus sur des années? C’est tout à fait possible il suffit d’y mettre les moyens, mais surtout ce n’est plus aussi nécessaire qu’avec des études aussi biaisées et imprécises que les études observationnelles. L’alimentome ou le métabolome permettent combinés aux variants génétiques de l’individu de préciser les interactions causales et les conséquences fines sur le métabolisme sur des temps assez courts.
De même la randomisation mendélienne peut améliorer les études observationnelles. J’ai développé ce point ici (https://www.atlantico.fr/decryptage/3585159/pourquoi-en-nutrition-presque-toutes-les-etudes-observationnelles-sont-elles-erronees–dr-guy-andre-pelouze).
Les études en nutrition humaine doivent rapidement se mettre au niveau des standards scientifiques au risque d’une perte de confiance des citoyens.