Remis en question par les constructeurs automobiles allemands, l’argument écologique en faveur de la voiture électrique est reconnu par plusieurs études récentes, qui tiennent compte du pays de production et d’utilisation des batteries. Leurs conclusions sont unanimes : la voiture électrique est (beaucoup) moins polluante dans l’immense majorité des cas, surtout quand elle repose sur une production électrique décarbonée comme en France.
C’est le genre d’information qui fait le bonheur des détracteurs de l’électromobilité : d’après plusieurs études scientifiques, la voiture électrique n’émettrait pas moins de CO2 que son pendant à essence ou diesel. Sur l’ensemble de sa durée de vie, elle serait même plus polluante si l’on tient compte de l’énergie consommée pour fabriquer les batteries et les recharger via l’électricité produite par les centrales thermiques. À en croire ces résultats, pousser à l’utilisation de véhicules électriques reviendrait simplement à se donner bonne conscience en déplaçant les émissions carbone loin de leur lieu d’utilisation. Il suffit pourtant d’approfondir la question pour entrevoir les failles de l’argumentation. À commencer par la source de ce fameux scoop sur les mensonges de l’électrique : les calculs sur lesquels se basent ces affirmations ont été réalisés par des constructeurs automobiles allemands, dont les intérêts économiques se situent (encore) du côté des moteurs à combustion. Et ils s’appuient uniquement sur un modèle en particulier : chez Volkswagen, c’est une Golf diesel de motorisation récente qui a été comparée à son équivalent électrique, aux batteries provenant de Chine où l’électricité est majoritairement issue de centrales à charbon. Pour une utilisation en Allemagne, dont la production électrique repose aussi principalement sur les énergies fossiles depuis la sortie progressive du nucléaire, le professeur Hans-Werner Sinn, qui enseigne l’économie à l’Université de Munich, estime à partir des données fournies par le constructeur que la Golf électrique devrait parcourir 219 000 km pour compenser ses émissions carbone, soit près de 30 000 km de plus que la durée de vie moyenne d’un véhicule électrique en Europe… Alors « est-ce que cette politique d’électrification pourrait avoir l’effet inverse que prévu en encourageant sa diffusion avant que l’électricité soit décarbonée ? »
Le véhicule électrique d’autant plus pertinent que l’électricité est décarbonée
C’est pour répondre à cette interrogation légitime sur l’intérêt écologique réel du véhicule électrique que les chercheurs des universités de Radboud (Pays-Bas), d’Exeter et de Cambridge (Angleterre) ont voulu comparer les émissions de CO2 des deux types de motorisation sur le terrain et de manière aussi exhaustive que possible. Pour ce faire, les scientifiques ont découpé la planète en 59 régions homogènes selon des critères de développement économique, d’usage de l’automobile et de mode de chauffage, qui entrent en compte dans un processus d’électrification de masse. Ils ont ensuite intégré des données telles que le mix électrique local, l’état du parc automobile et des systèmes de chauffage ainsi que l’évolution de la production électrique pour mettre en parallèle les cycles de vie respectifs des voitures thermiques et électriques. Résultat : dans 53 des 59 régions, soit 95 % du marché automobile mondial, le match tournait en faveur des véhicules à batterie, le seuil d’équilibre entre les deux technologies se situant dans les zones où l’électricité est produite par d’anciennes centrales thermiques fonctionnant au charbon (1 100 g de CO2/kWh). Parmi les pays dépassant ce plafond, notamment la Pologne et l’Inde, l’évolution du mix énergétique vers une plus grande efficacité devrait améliorer le bilan carbone de sorte à rendre la voiture électrique plus éco-responsable que son homologue thermique, estiment les chercheurs. À l’autre extrême, la France fait figure – une fois n’est pas coutume – de paradis pour l’électromobilité avec un ratio de 130 g/kWh. La raison : un mix électrique parmi les plus décarbonés au monde, grâce à une production assurée majoritairement par ses centrales nucléaires, mais aussi hydrauliques, solaires et éoliennes. Dans l’Hexagone, la très faible teneur en CO2 du système électrique fait donc du véhicule électrique une solution réellement pertinente pour décarboner le secteur des transports.
Émissions carbone : la fabrication des batteries compensée dès 11 000 à 30 000 km
Pour mieux comprendre cette situation si favorable de la France en matière de mobilité électrique, une autre étude réalisée par le think tank Transport & Environnement s’est également intéressée aux lieux de production des batteries et de l’électricité utilisées pour alimenter les véhicules électriques. Et ses enseignements rejoignent ceux des chercheurs néerlandais et britanniques, à savoir que la France (- 77 %) et la Suède (- 79 %), dont le mix électrique s’appuie également sur le nucléaire et l’hydraulique, sont les deux pays d’Europe où la voiture électrique émet le moins de CO2 par rapport aux moteurs thermiques. Dans l’Union européenne, elle en rejetterait ainsi trois fois moins en moyenne. Même en Allemagne et en Pologne, pays pourtant très dépendants du charbon, l’avantage irait clairement aux watts. « Dans le pire des cas, une voiture électrique avec une batterie produite en Chine et conduite en Pologne émet toujours 22 % de moins de CO2 que le diesel et 28 % de moins que l’essence », dévoile le rapport. De quoi prédire que « les voitures électriques réduiront par quatre les émissions de CO2 d’ici à 2030 grâce à un réseau européen qui dépend de plus en plus des énergies renouvelables », fait valoir le think tank européen. Toujours en réponse aux calculs des constructeurs allemands, une autre étude de l’Université de technologie d’Eindhoven (Pays-Bas) a tenté de déterminer le nombre de kilomètres à parcourir pour qu’une voiture électrique compense la production de sa batterie. Là aussi, le résultat est sans appel : il ne faudrait parcourir que 28 000 km pour une citadine (Volkswagen eGolf 54 vs. Toyota Prius 1,8L) ; 30 000 km pour une berline de grande taille (Tesla Model 3 vs. Mercedes C 220d) et à peine 11 000 km pour une voiture de luxe (Porsche Taycan S électrique vs. Bugatti Veyron). Sur leur durée de vie totale, les voitures électriques auraient ainsi un bilan carbone plus léger de 50 à 80 %, soit des résultats conformes à l’étude de Transport & Environnement. Le même constat était de mise dans le rapport de RTE et d’Avere-France publié en 2019 sur les enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique. Même avec des batteries fabriquées en Chine, les émissions de CO2 d’un véhicule électrique en France seraient divisées par quatre par rapport à celles d’un véhicule thermique, et par 20 pour sa seule utilisation. Autant d’arguments qui confirment que le passage à l’électrique permet de lutter contre le réchauffement climatique, et ce, dès à présent.