Alors que l’épidémie de Covid-19 recule en Europe, les médias, les politiciens et les intellectuels tournent la page Covid et partagent leurs réflexions sur l’avenir.
Certains veulent l’instauration de changements fondamentaux, font des propositions pour une société à l’écoute des hommes et de la nature. Ils prônent un contrat social plus généreux et appellent à la fin des divisions, des guerres de classes, des cultures, et au retour à l’élaboration de politiques fondées sur la raison et la science. D’autres sont plus pessimistes étant donnés les vastes défis causés par des perspectives économiques catastrophiques et un virus pour lequel nous n’avons toujours ni remède ni vaccin.
Généralement, les crises peuvent être moteurs de changements profonds. Mais toutes les crises ne se ressemblent pas. Quelles sont celles qui sont porteuses de changement et quelles sont celles qui ne le sont pas ? La réponse à cette question dépend de la nature de la crise en question, plus précisément selon qu’elle est d’origine humaine ou naturelle et selon qu’elle évolue rapidement ou lentement.
Crise d’origine humaine évoluant rapidement
Tout d’abord, examinons des exemples de crises à évolution rapide et d’origine humaine. Deux viennent à l’esprit: la Seconde Guerre mondiale (WW2) et la crise financière de 2008. Bien que leurs origines dataient de bien avant qu’elles ne se déclarent, ces crises ont été perçues comme soudaines. L’une, la Seconde Guerre mondiale, a été très meurtrière, traumatisante et ne pouvait être stoppée que par une alliance mondiale déterminée à anéantir le régime nazi. De ses cendres, un nouvel ordre mondial est né, celui des institutions internationales oeuvrant pour la paix et la prospérité (ONU, OMS, FAO, OMC, etc…), une diminution lente mais significative du nombre de conflits, une baisse rapide de la faim dans le monde et une augmentation des niveaux d’aides au développement international. Les domaines scientifiques et technologiques ont alors connu un âge d’or.
La crise financière de 2008 a eu des résultats opposés. Les causes de cette crise sont connues : les banquiers ont inventé de nouveaux outils financiers (Credit Default Swaps (CDS) and CDS leveraging, par exemple) qu’ils ne comprenaient d’ailleurs pas, mais sans prévoir les réserves énormes de trésorerie nécessaire pour gérer les risques extraordinaires qu’ils prenaient. Cela a commencé avec la faillite brutale de Lehman Brothers. À la suite d’effondrements bancaires en série, des centaines de milliards de dollars, de livres ou d’euros d’argent public ont dû être dépensés pour les sauver. Les États ont accumulé de vastes déficits. En réaction, les gouvernements ont lancé des programmes d’austérité qui ont conduit à des réductions brutales des services sociaux, de santé et d’éducation. Et, bien sûr, dans de nombreux pays, les budgets pour les sciences ont considérablement diminué.
Crise d’origine naturelle évoluant rapidement
Une crise à évolution rapide mais naturelle est celle que nous vivons actuellement: la pandémie de Covid-19. Il est difficile de trouver une crise d’une telle ampleur dans l’histoire sans avoir à remonter à plus de cent ans, l’épidémie de grippe de 1918. Mais ce fut une crise très différente car elle s’est déclarée très peu de temps après la Première Guerre mondiale. Des cendres de la Grande guerre, un monde nouveau a émergé. La Société des Nations, précurseur de l’ONU, a été créée. La science et l’innovation ont de nouveau prospéré et les gouvernements sont intervenus pour la première fois pour financer la science à grande échelle. Les deux crises (guerre mondiale et crise sanitaire) étant survenues en même temps, il est difficile de distinguer leur contribution respective aux développements positifs de l’après-guerre, mais il est très probable que le traumatisme de la Première Guerre mondiale aurait suffi à lui seul à créer le terrain pour les changements profonds qui ont émergé à sa suite. Malheureusement, en 1929 et durant la première moitié des années 30, la Grande Dépression a brutalement mis fin à cette période de prospérité. Là encore, une crise économique à grande échelle entraînant une inflation galopante et un chômage de masse a semé les germes de l’instabilité sociale et du blocage des budgets scientifiques. Il y a un fil conducteur ici: «it’s the economy, stupid !» (comme l’aurait dit Bill Clinton). Il n’y a rien de bon à attendre d’une économie qui s’effondre !
Crise d’origine humaine évoluant lentement
En ce qui concerne les crises à évolution lente et d’origine humaine, il y en a une, également aux proportions épiques : le réchauffement climatique. Les sciences du climat sont sans ambiguïté : le réchauffement climatique est d’origine humaine. C’est l’accumulation de gaz à effet de serre par l’humanité qui en est la cause. Chaque indicateur pointe que la crise climatique est d’une extrême gravité. L’OMS fournit une estimation prudente de 150 000 décès par an en raison du changement climatique et prévoit qu’entre 2030 et 2050, le réchauffement climatique entraînerait 250 000 décès supplémentaires par an dus au stress climatique. Des millions de personnes ont déjà été déplacées de leur pays d’origine : selon le Internal Displacement Monitoring Centre, 18 millions de nouveaux déplacements internes liés aux catastrophes naturelles ont été enregistrés en 2017. Plus près de chez nous, en Europe, le réchauffement climatique peut être constaté par tous: les glaciers disparaissent dans les Alpes, cet hiver a été l’hiver le plus chaud jamais enregistré, et nous avons connu un avril ensoleillé très inhabituel.
Pourtant, très peu est fait pour ralentir le réchauffement climatique et stabiliser le climat, et encore moins sera fait après la crise du Covid-19. Très peu est fait parce que la crise climatique évolue lentement et est donc à peine perceptible par la plupart des humains, en particulier ceux qui habitent le monde riche qui sont ceux (précisément parce qu’ils sont riches) sur qui pèsera la plus grosse part des coûts de la transition vers une économie décarbonisée. Seules les crises brutales à évolution rapide conduisent au changement, pas celles qui évoluent lentement. Nous savons que la calotte glaciaire antarctique fond à un rythme sans précédent. Nous connaissons les conditions météorologiques extraordinaires au Groenland, dans l’Arctique, et la frontière nord du Canada. Nous savons que la fréquence des conditions météorologiques extrêmes en Europe occidentale a augmenté. Mais, au quotidien, rien ou presque ne se passe : la plupart du temps, les conditions météorologiques sont plutôt calmes. Pour la plupart d’entre nous, il s’agit plutôt d’une amélioration, certainement au Royaume Uni où le beau temps au lieu d’une pluie incessante est le bienvenu. Dans le monde occidental, on s’accommode des intempéries extrêmes parce que, pour le moment, elles ne durent jamais très longtemps. Ce type de crise à évolution lente est le pire en termes de sensibilisation de l’humanité à la nécessité de changer ses habitudes et de s’engager dans l’exercice certes coûteux mais vitale de réorientation de notre économie. Malheureusement, la crise de Covid-19 ne fera rien pour nous aider à résoudre l’urgence climatique. Au contraire : face à des millions de chômeurs et à une économie qui s’effondre, devant gérer un avenir incertain marqué par une pandémie pour laquelle nous n’avons ni remède ni vaccin, les gouvernements ont bien d’autres choses à penser. L’industrie et l’agriculture réclament déjà l’assouplissement des réglementations environnementales afin de leur permettre de relancer l’économie. Qui peut leur en vouloir ? En fait, la crise climatique ne recevra l’attention qu’elle mérite que lorsqu’elle aura atteint des niveaux de brutalité comparables à ceux des guerres et des pandémies. Sera-t-il alors trop tard pour éviter une nouvelle catastrophe ? J’espère que non !
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GW> En fait, la crise climatique ne recevra l’attention qu’elle mérite que lorsqu’elle aura atteint des niveaux de brutalité comparables à ceux des guerres et des pandémies.
Vous êtes en train de nous dire qu’il n’y a pas de crise climatique.
Si le changement climatique ne produit aucun effet délétère perceptible par la population, c’est qu’il n’y a pas de crise. Est il besoin d’invoquer une urgence à agir alors que le principe de précaution recommande de ne rien faire ?
GW> Des millions de personnes ont déjà été déplacées de leur pays d’origine
Laissez les pays d’origine gérer localement.
Problème local, solutions locales.