La loi de Brandolini énonce l’asymétrie entre l’énergie nécessaire à la formulation d’une proposition et celle, infiniment supérieure, qui est nécessaire pour la réfuter. Les proportions de cette asymétrie ont le second inconvénient de rendre toute réfutation point par point considérablement moins médiatique que la proposition initiale, surtout lorsque celle-ci flatte un dogme dans l’air du temps. Et le seul titre d’un rapport conservera naturellement un impact médiatique bien supérieur à celui d’un examen critique de ses conclusions.
Le modèle renouvelable existe, une ministre l’a rencontré
Le titre accrocheur de son fameux ouvrage « Dieu existe, je l’ai rencontré » a imprimé le nom d’André Frossard jusque dans les mémoires de ceux qui n’en ont rien lu.
C’est dans le sens d’une telle accroche qu’il faut attendre la publication du rapport conjoint de l’AIE et RTE supposé affirmer la viabilité d’un mix électrique basé sur une grande part d’énergies renouvelables (EnR) et dont le média « Contexte » a pu se procurer la synthèse.
Il convient, en premier lieu, de remercier Contexte d’avoir exceptionnellement laissé cet important article [1] en accès libre.
Selon ses informations, ce rapport serait en lien avec la volonté de la ministre de « leur montrer que nous décidons » en réaction aux projets présidentiels de nouveaux réacteurs nucléaires.
Car l’Europe peine toujours autant à réduire la puissance de ses centrales pilotables conventionnelles, en raison du risque de période prolongée de vague de froid sans vent ni soleil, qui correspond malheureusement aux plus forts besoins en énergie. Or le nucléaire est, avec l’hydraulique, la seule filière pilotable exempte d’émissions de CO2.
Selon Contexte, la synthèse prévient « Le rapport n’examine pas la question de savoir si ces scénarios sont socialement souhaitables ou attrayants ni celle de leur coût et de leur viabilité financière. » Et ce mix décarboné et renouvelable serait conditionné à la réalisation de certaines conditions technologiques encore hors de portée, notamment :
- Parvenir à compenser la stabilité dynamique du réseau
- Parvenir à stocker l’énergie à grande échelle et à piloter la flexibilité de la demande
- Parvenir à dimensionner des réserves suffisantes pour compenser les aléas de production
- Parvenir à étendre et renforcer une restructuration en profondeur du réseau pour permettre de transporter les flux spécifiques aux énergies renouvelables.
Selon la lecture de la note par Contexte, il s’agirait là de « quatre ensembles de conditions strictes » indispensables à l’intégration d’une grande part d’énergies renouvelables.
Quoi qu’il en coûte
En d’autres termes, il s’agit de montrer la viabilité d’un modèle de transition énergétique « quoi qu’il en coûte » et sans en maîtriser encore les conditions pourtant strictement nécessaires à son fonctionnement.
Or, par delà les interrogations sur sa viabilité financière, la maîtrise des « quatre ensembles de conditions strictes » est nécessaire pour éviter le risque d’incidents majeurs.
De la difficulté de dimensionner les réserves
Serge Zaka, docteur-chercheur en agroclimatologie, a relevé les données de RTE sur la production d’électricité [2] et celles de l’indicateur thermique journalier [3] pour illustrer la corrélation entre la production éolienne et les températures sur la période hivernale la plus récente : du 1er décembre au 19 janvier.
Le graphique obtenu, que nous reproduisons ci-dessous avec son autorisation est éloquent, et montre que plus on a besoin de courant et moins les éoliennes en fournissent.
En effet, les pics de consommation ont toujours lieu dans les périodes les plus froides, la thermo sensibilité de cette consommation étant évalué par RTE à 2400MW supplémentaires par degré de température en moins.
Le photovoltaïque, quant à lui, est systématiquement absent lors de ces pointes qui ont lieu vers 19 heures, soit bien après le coucher du soleil.
S. Zaka explique par ailleurs, que les points les plus écartés de cette corrélation éolienne avec les températures correspondent à des changements de régimes de vent en cours de journée, le flux glacial d’est étant toujours beaucoup moins venteux que les flux d’ouest qui amènent la douceur.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des scénarios allemands de l’Institut Fraunhofer [4], qui envisagent de multiplier au moins par 4 la puissance intermittente éolien/photovoltaïque, pour la porter à plus de 600 GW en 2050 – contre 27,6 GW actuellement [5] en France – n’en augmentent pas moins la puissance pilotable en même temps, pour résister aux pointes de consommation en cas de période prolongée sans vent ni soleil, malgré un important développement du stockage par batteries.
De la restructuration du réseau
Le récent rapport d’un groupe de réflexion [6] de l’Otan montrait que les plus dangereuses attaques qui menacent l’Europe, dans les nouvelles formes « hybrides » de conflits, concernaient les réseaux d’énergie. Le directeur de l’AIE, Fatih Birol s’inquiète effectivement [7] de cette vulnérabilité du système électrique liée à sa numérisation croissante, destinée à intégrer les énergies renouvelables et pointait le grand nombre de portes d’entrées non sécurisées que sont les petits producteurs d’énergie renouvelable.
Par leur éparpillement territorial, les EnR entrainent la multiplication des lignes et l’augmentation des interconnexions, ainsi que la complexification du système pour pallier les aléas de leur production.
De la stabilité dynamique
L’inertie des gros alternateurs des centrales conventionnelles, qui tournent de façon synchrone à 50 Hz, permet d’amortir les variations de fréquence en conférant au réseau une « stabilité dynamique » que ne permettent pas les EnR.
Cette stabilité dynamique facilite la réaction des gestionnaires de réseau en cas d’incidents tels que la surtension brutale, survenue le 8 janvier dernier sur les lignes du sud est européen, qui a entrainé la coupure du réseau en 2 parties [8] et privé le nord de la Roumanie de courant [9].
L’équilibre du réseau est fragile, et dans son excellente vidéo [10], RTE confesse : « Plus la part d’EnR est grande, plus cet équilibre est fragile. Leur introduction est un vrai challenge que RTE devra relever » Notamment via le projet européen MIGRATE, encore au stade expérimental. Dans cette vidéo, RTE ne cache pas la difficulté de cette intégration.
De la balle qu’on se tire dans le pied
L’électricité est la pierre angulaire d’une sortie des énergies fossiles. Le mix électrique français dispose de l’atout maître d’être décarboné à plus de 90% depuis ¼ de siècle [12].
Il serait irresponsable de risquer d’en mettre l’équilibre en péril en l’engageant vers des territoires inconnus au nom d’un modèle encore dépourvu d’analyses économiques et techniques permettant d’en mesurer aujourd’hui les avantages, les inconvénients et l’acceptabilité des risques induits.
Mais ce n’est pas la mission des gestionnaires du système puisque les Directives européennes ont amené la programmation de l’énergie (PPE) à s’engager dans cette voie. On attend uniquement d’eux qu’ils suggèrent comment on pourrait le faire.
L’histoire récente a pourtant montré des sommités scientifiques minimiser les risques d’une pandémie et se faire fort de l’enrayer. Avant que la vitesse de propagation du virus ne se charge de les désavouer. Tandis que le parc électrique européen qui n’avait toujours pas supprimé 1 seul MW pilotable [11] en 2017, malgré le développement d’un véritable doublon intermittent peut encore tromper sur la sécurité permise par les EnR.
La cannibalisation du système
Une récente étude [13] de l’AIE montrait que la prolongation du nucléaire était la solution la plus économique pour produire de l’électricité et reprochait aux énergies intermittentes leur cannibalisation du système, c’est-à-dire le fait de détruire leur propre valeur dès que les conditions météorologiques leur sont favorables. Cette cannibalisation, qui s’accroit avec le surdimensionnement nécessaire pour compenser leurs aléas, est déjà responsable de la nécessité d’injecter 121 milliards d’euros [12], prélevés par les taxes, pour soutenir les seuls contrats d’EnR électriques passés avant 2018, alors que ces EnR étaient réputées procurer une véritable « rente pour la collectivité » à partir de 2015, selon les déclarations de filière devant le Sénat en 2007 [14].
En tablant sur l’hypothèse qu’on arrivera bien à résoudre les problèmes soulevés par la réalisation des 4 ensembles de conditions strictes et indispensables au développement à grande échelle des énergies intermittentes et en éludant l’essentiel de la question de la viabilité économique, le rapport attendu sur l’intégration des énergies renouvelables semble avoir pour principale objectif de pouvoir dire et faire dire :
« Un modèle renouvelable existe, je l’ai rencontré ».
Plus dure sera la chute
Il ne faudrait pas confondre réchauffement global et disparition des hivers rigoureux. Le record historique de -35,8° dans une Espagne recouverte de neige ce début janvier devrait suffire à s’en convaincre et les déformations du vortex polaire [15], liées au réchauffement, à l’expliquer.
La défaillance du système électrique, dans un tel contexte n’est pas acceptable.
On en viendrait à souhaiter qu’un incident majeur intervienne le plus tôt possible, pour limiter la casse avant la disparition d’un trop grand nombre de centrales pilotables.
Le 22 juin 2007, André-Claude Lacoste Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) enjoignait le Gouvernement [16] à disposer de capacités de production électrique suffisantes pour gérer sereinement les réexamens de sûreté des réacteurs nucléaires. Et concluait « Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »
Malgré l’absence de prise en compte de cet avertissement par la fermeture de Fessenheim, pourtant jugée parmi les plus sûres du parc nucléaire [17] par l’ASN, la faute serait assurément reportée sur le nucléaire en cas de rupture d’approvisionnement électrique.
Et la loi de Brandolini interdirait de détromper l’opinion.
Mais du moins, une telle alerte pourrait susciter une remise en question.
Car plus le temps passe, et plus dure sera la chute.
2 https://www.rte-france.com/eco2mix/telecharger-les-indicateurs
5 https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-01/RTE-Mensuel-Electricite-Novembre-2020-V3.pdf
6 https://www.nato.int/cps/en/natohq/176155.htm
10 https://www.youtube.com/watch?v=i_QhVNMZIjI
11 http://lemontchampot.blogspot.com/2020/05/intermittence-et-charbon.html
12 http://lemontchampot.blogspot.com/2019/01/2019-la-fuite-en-avant.html
13 https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020
14 https://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-212.html
Image par Ralph Lindner de Pixabay
La plus grosse erreur et la plus répandue, ici comme dans toutes les publication pronucléaire et de classer le nucléaire dans le pilotable.
Il ne l’est pratiquement pas. Sa seule caractéristique intéressantes est justement de produire toujours la même quantité d’énergie qui correspond au besoin minimum permanent.
Si l’on a besoin d’un excèdent c’est ailleurs, dans le pilotable qu’il faut aller le chercher et si la puissance totale fournie est supérieur au besoin, c’est encore le pilotable qu’il faut diminuer jusqu’à l’arréter.
Donc le pilotable finira qu’à n’être que le renouvelable avec des éoliennes installées en surpuissance permanente qu’il faudra déconnecter de temps à autre pour rétablir l’équilibre du réseau.
c’est bien payé, vous intervenez sur tous les sites où l’on aborde le sujet, pour nous servir la même daube?
au moins vous faites du vent
il l’est devenu pour l’essentiel.. il peut s’adapter..
vous savez le système fonctionne, c’ets à ceux qui veulent le changer d’indiquer en quoi il ya progrès..
parler de pilotabilité quand on propose de remplacer le nucleaire par de l’éolaire..il faut un certain culot..
En matière d’énergie, on appelle pilotable une centrale susceptible de fournir du courant quand on lui demande. Et non d’arrêter à la demande car c’est le cas de tous le moyens de production, y compris éoliens.
Mais pour info, la plupart des réacteurs nucléaire français peuvent moduler leur production, en + ou en -, de plus de 80% en moins de 30’.
http://lemontchampot.blogspot.com/2017/03/le-defi-nucleaire.html
C’est pourquoi lors du 1er confinement, seuls les moins bien informés ont pu supposer que c’était le vent qui modulait sa puissance en fonction de la production nucléaire qui, à l’inverse, a considérablement modulé en fonction de l’éolien pour que l’économie de combustible permette de décaler des rechargements après le problématique mois de février.
https://www.europeanscientist.com/fr/redactions-choice-fr/covid-19-et-le-risque-de-black-out-energetique/
L’avantage dont vous disposez par rapport aux tenant de l’énergie nucléaire, c’est que vous avez la conviction que vous pourrez piloter le vent en fonction des besoins énergétiques du moment et du lieu.
Mais, cela ne relève pas de considérations techniques. Au mieux d’une foi, dans le meilleur des cas pour vous.
Ainsi, cela établit que l’avantage des promoteurs du nucléaire est en ce cas bien mince. Ne pouvant se reposer sur une foi ou des convictions personnelles, choses pouvant être honorables par ailleurs, ils ne disposent que de la rationalité. Il leur faut faire avec.
Quel dommage pour eux, n’est-ce pas ?